Cette soirée consacrée à Anne Teresa de Keersmaeker, dite ATK, commençait par Quatuor (Hilaire, Park, Bauchmon, Ranson), sur une musique de Bartok.
J’avais été mise en appétit par une petite vidéo postée sur le facebook de l’opéra de Paris qui montrait les quatre demoiselles de près dans le passage le plus réussi du Quatuor… je me suis fait avoir, mais je ne le regrette pas. Malgré l’insipidité du propos, les filles arrivent à tirer leur épingle du jeu ; Hilaire est sensuelle à souhait, Bauchman, puissamment lyrique, Ranson, diaphane et aussi précieuse qu’un Sèvre, et Sae Eun Park, c’est le feu qui couve sous la glace. Avec sa silhouette tellement fine, et sa grande pudeur et retenue quand elle danse, elle cache un tempérament incroyablement fougueux et puissant, comme un volcan en sommeil ; la voir dans ce répertoire était magique.
Contrairement à ce que j’ai lu à droite et à gauche, la construction est scolaire, poussive, et très peu inventive. Beaucoup trop longue aussi. ATK s’acharne à dire en 30 minutes ce qu’elle pourrait dire en 10 et comme si cela ne suffisait pas, il faut qu’elle rajoute ensuite d’une façon systématique des moments dansés dans le silence ! C’est tellement tendance depuis les années 1980 !
Donc entre chaque mouvement (et il y en a cinq) on a de longs passages dansés en silence, où on sent les filles sur le fil du rasoir, pas à l’aise, bref, des moments pénibles !
D’ailleurs l’œuvre commence dans le silence, puis, tour à tour, chaque fille va être meneuse dans le groupe, chacune sur un mouvement, en fonction de sa personnalité, et ensuite, - comme il y a cinq mouvements en tout – on redit la même chose mais toutes ensemble sur le cinquième.
La scène est sagement utilisée : en long, en large, en travers ! Comme c’est inventif !
Il faut donc beaucoup de patience au spectateur pour qu’il ne s’ennuye pas ferme pendant ces trente minutes de redites, où l’on voit une bande de gamines, sauter, marcher, courir, faire des galipettes, montrer sa culotte ( une fois, deux fois, trois fois, dix fois ! N’ayons pas peur de le refaire encore et encore !) ATK se croit sans doute investie d’un talent à la Steeve Reich dont elle ne donne hélas qu’une pâle copie ; tout le monde n’a pas assez de génie pour tenir en haleine un auditeur ou un public avec un minimum de moyens, comme c’est le cas ici !
C’est sans doute grâce au charisme des danseuses que j’ai pu m’intéresser malgré tout à la vacuité de ce propos ; il faut dire que les demoiselles mènent le dernier mouvement tambour battant et que du coup, il se passe enfin quelque chose : on dirait que tout à coup, tout prend vie, devient vivant et authentique : il était temps, 28 minutes ont déjà passé !
Pour ne rien arranger, on sentait les danseuses quelques peu stressées, parfois crispées, et du coup, souvent peu synchrones.
A noter que les musiciens, dont le rôle est quand même ingrat, ont donné du relief et de la vivacité à ce quatuor de Bartók ( E. Lacrouts, Gulot, Lenert, C Lacrouts)
Voilà qui ne mettait guère en appétit pour le morceau suivant, « Grosse Fugue », un quatuor de Beethoven. D’ailleurs, un public froid, qui n’applaudit pas, et fait des remarques à haute voix sur l’insipidité du propos, des éclairages et des costumes !
Après la cour de récréation, la sortie de bureau. Mais là, attention, on change de « niveau ».
Il faut tout le génie des danseurs de l’opéra pour rendre une fois encore intéressant une sempiternelle répétition de bonds et de roulades au sol, par des gens en costumes cravates qui finiront en tee shirt. Encore un peu on entendrait Zebda « Tomber la chemiiiiise !! »
Pauvres genoux des danseurs !
Là non plus, pas une grande inventivité ; mais la vélocité, la fulgurance, la félinité, de Renavand, Paquette, Magnenet, Bullion, Chailley, Paul, Couvez et Gasse pour nous emporter dans ce petit « délire » de fin de semaine où enfin on se lâche ! ça « hip-hoperait « presque à certains moments, mais sans la casquette à l’envers quand même ! C’est beaucoup plus « smart » - ( Note : B M ne communique qu’en anglais sur son facebook, il faut bien que je m’y mette !) La joie des danseurs et leur plaisir sur scène est réellement communicatif et on partage leur petit grain de folie pendant ces trente minutes ; est-ce ce qu’a voulu ATK ? Si tel était son désir, alors on peut dire que c’est une vraie réussite ! La jeunesse et l’impétuosité de cette bande, menée tambour battant par l’irréelle Alice Renavand au visage, à la chevelure et à la silhouette parfaites, nous met dans un véritable état d’allégresse !
Après cette pièce, la moitié de la salle a gardé les bras croisés en guise d’applaudissement, et un bon dizième n’est pas revenu !
Et ils ont eu raison : le pire restait à venir !
Nous servir cette soupe de Verklarte Nacht, digne d’un roman de Barbara Cartland, sur la musique rendue complètement sirupeuse dans sa version pour orchestre du sextuor de Schoenberg avait de quoi faire prendre la danse en grippe !
Dès le début, ce ne sont que jérémiades de filles par terre – la Gillot s’en donne à cœur joie, et qu’est ce qu’elle le fait bien ! - et de garçons qui les repoussent
Elles se jettent à leur cou, ils les repoussent, elles se roulent par terre…. Et cela pendant au moins 30 minutes !
J’avais déjà vu des pièces analogues au théâtre de la Ville dans les années 1990. Ces choses enfièvrées et échevelées ou tout le monde se secoue dans tous les sens dans une hystérie collective de mauvais goût.
Même commentaire que précédement, ces danseurs sont tellement extraordinaires qu’on est fasciné par eux, et non par ce qu’ils dansent ; on ne savait pas que les corps pouvaient se tordre jusqu’au bord de la rupture, ni les corps se tendre jusqu’à l’infini…. En revanche, les cheveux qui volent ici et là, on y a déjà eu droit il y a bien longtemps dans la terrible scène où la pauvre Mélisande se fait maltrairer par l’infâme Golaud !...
N’empêche, ces danseurs de l’opéra de Paris, ils sont fascinants, et c’est parce qu’ils le sont que je me suis décidée à aller voir ce programme ; quatre mois sans les voir sur scène – je ne suis pas allée à la soirée mixte du début de saison – cela crée un manque terrible, et il fallait bien que je les revoie pour que ce manque se comble un peu.
Et à la fin de cette histoire qui se passe dans la forêt, les violoncelles « vibratent » à en faire trembler le plafond de Chagall, - ils font même concurrence au métro qui fait trembler le sol - le chef ( excellent Vello Pahn) décolle en fusée, tout le monde s’aime : alleluia !
Je suis ressortie de là en même disant qu’ATK n’a pas sa place à l’opéra de Paris ; la grandeur de la scène la dessert, le manque d’intimité aussi ; on est trop loin des danseurs, la salle est trop grande pour que cela serve son propos.
Après, il reste de fugitifs moments, où le visage bouleversant de Letizia Galloni se fige dans notre mémoire, - on la verrait bien dans la compagnie d'Alvin Ailey, du temps de sa splendeur, car elle a la puissance, l'élégance, et ce délié du corps propre aux anciens danseurs de cette illustre troupe, telle J Jamison - où les blondeurs conjuguées de Paquette et Baulac se mêlent comme en un rêve, ou la puissance de MA Gillot, véritable Ovni de la danse, nous fige sur place… quelle incroyable danseuse…!
J'avais pris deux places, mais je ne sais pas encore si je retournerai voir ce programme dimanche prochain; si j'y retourne, je partirai à l'entracte, c'est sûr!