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  • : Un jour, une œuvre
  • : Créé en 2006, ce blog rédigé par Valérie Beck autrefois consacré à la danse et à ma compagnie se diversifie davantage.
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Noureev

 

Danser, telle la phalène sous la lune, le pinceau du calligraphe, ou l'atome dans l'infini 

                                              

marie-taglioni-in-zephire.jpg

31 décembre 2023 7 31 /12 /décembre /2023 09:40
Casse-Noisette. Noureev. Marine Ganio et Marc Moreau. 28 décembre 2023

 

A la représentation du 28 décembre,  la magie du spectacle vivant a enchanté toute la salle, aussi bien les petits que les grands, car le public ce soir là était en partie familial. Quand la joie de danser anime tout un plateau, surtout pour un spectacle comme celui là,  tout devient magique et le  public retrouve son regard d’enfant, émerveillé.  Quel magnifique cadeau les artistes nous ont fait là, soutenu par un orchestre au diapason !

Cela commence dès le lever de rideau sur une rue un peu sombre et brumeuse, animée par les silhouettes de la vendeuse de marron chaud qui grelotte sous son châle, et du joueur d’orgue de barbarie qui compte sur la générosité des passants. Les invités arrivent, on dit aux enfants de bien se tenir. Le décor est installé. Dans la grande maison bourgeoise, les adultes adoptent une bonne humeur de bon ton imposé par les conventions de leur statu social.

Noureev a planté le décor de son Casse-Noisette à la fin du 19ème  siècle, date à laquelle

Tchaikowsky a composé la musique. Les enfants s’ennuieraient ferme si un personnage étrange, un bandeau sur l’œil, ne faisait tout à coup irruption  dans ce grand salon ; la fantaisie qu’il apporte avec lui donne vie à cette soirée de Noël et les enfants de l’école de danse s’en sont donnés à cœur joie.

 Comment peut-on dire que les ballets de Noureev sont à bout de souffle quand ils contiennent autant de poésie et de sensibilité, portés sur chaque détail ?

A eux seuls, les décors et les costumes, (légèrement modifiés), traduisent sa pensée : une bourgeoisie empesée dans ses principes, des enfants plein de vie qui auraient passé une soirée bien ennuyeuse sans l’arrivée de Drosselmeyer et de ses créations aussi fascinantes qu’inquiétantes.

 

Dès le premier acte, Marine Ganio affirme des qualités exceptionnelles : musicalité, aisance, grâce, précision ; c’est une enfant sensible, aimante et généreuse, pleine de tendresse pour Casse-Noisette dont les adultes raillent la laideur,  qui devient courageuse face à l’armée des rats qui attaquent son Casse-Noisette la nuit quand tout le monde a disparu. Sa danse traduit tous ses sentiments avec une telle facilité qu’on oublie qu'elle danse et qu'on suit son personnage qui évolue tout au long du ballet : adolescente à peine sortie de l’enfance, elle s’épanouit en une jeune femme amoureuse sous la guidance de Drosselmeyer-Prince. Et là, autre bonheur : celui de voir Marc Moreau, qu’on avait beaucoup aimé dans le Lac l’an passé, s’en donner lui aussi à cœur joie, pour composer cet oncle fantasque, au grand cœur, puis le double sublimé surgi de l’imagination de sa nièce, un prince initiatique empli d’ardeur amoureuse.

 

Animés du même souffle, de la même, ardeur, de la même joie à danser, les pas de deux de ces deux artistes expriment la jeunesse et les battements d’un cœur qui aime pour la première fois. Marc Moreau exploite toute la palette de son registre expressif et technique.  Elégance, bel élévation dans les sauts, batterie incisive,  vivacité, et une joie à danser qui se communique à tout le plateau.

 

Le premier acte passe avec une rapidité déconcertante et s’achève  magiquement sur les Flocons qui étaient une perfection. Là encore, la joie de danser illuminait tous les visages devant ce grand pont inspiré de celui Prague aux statues angéliques derrière lequel apparaît la forêt. Les tutus scintillants argents et blancs, les diadèmes, la neige qui tombe, toute cette poésie slave est portée par l’une des plus belles pages de Tchaikowsky.

Viendront au deuxième acte les craintes de la transgression, car Noureev s’est inspiré des analyses psychanalytique des contes, sans doute déjà pour comprendre sa propre psyché puis ensuite, pour donner sens et profondeur et une lecture personnelle à ses ballets : les monstrueuses chauve-souris, explique le Prince à Clara, ne sont rien d’autre que les parents, la famille, auxquels les crainte de la jeune fille qui devient femme ont donné cette allure horrifique ; elle est rassurée ; et ceux-ci peuvent alors réapparaitre, déguisés et inoffensifs,  pour offrir un moment de divertissement fantaisiste. Roxane Stojanov et Antonio Conforti nous offre un magnifique duo sur une page musicale pleine de douceur et de mystère ;  Roxane déroule ses arabesques et ses développés comme un grand serpent, elle s’enroule à son partenaire qui la met généreusement en valeur et le duo hypnotise toute la salle.

 

Dans  la Valse des fleurs,  l'énergie des garçons parfois en groupe de 4, donne de l'éclat et de la fougue à la partition tout en formant un parfait contrepoint à la danse ciselée de leurs partenaires féminines.

 

Le dernier pas de deux, redoutable, fut animé par le même plaisir de danser : Marine Ganio apparut presque irréelle au son du célesta, et Marc Moreau prit son envol dans le dernier grand manège.

 

Pour finir, il faut parler de l'orchestre et de l'exceptionnelle chef d'orchestre, Andrea Quinn, qui est spécialiste de la musique de ballet. Elle fait sonner l'orchestre avec une énergie, une fougue extraordinaire, donne mille couleurs aux cordes, des phrasés onctueux ou percutants, et la partition se renouvèle avec magie ( à part un piccolo qui n'a rien compris à ce qu'il devait jouer et un tuba qui n'a pas digéré son repas de Noël et a encore des hocquets) La chef applaudissait même les artistes entre deux numéros avec le public.

 

Public qui a fait une vraie ovation à l'ensemble des artistes.

 

Je suis vraiment ravie d’avoir retrouvé la compagnie en pleine forme, et je remercie tous les artistes pour ce moment de pure poésie, de magie,  si généreusement offert.

 

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31 octobre 2022 1 31 /10 /octobre /2022 08:57
Trois bonnes raisons pour ne pas voir Mayerling de Kenneth Mcmillan !

Un mot pour résumer ce ballet : c'est un gros navet. Et j'ai du mal à comprendre l'engouement général ! La narration est inexistante, on assiste à une succession de saynètes aussi vides les unes que les autres, sans aucune tension dramatique ni montée en puissance. La psychologie des personnages est grotesque et caricaturale. Du Freud mal digéré.

 

Raison 1 : Les personnages ? Il y en a tant sur le plateau, que si on n’a pas lu le synopsis trois fois avant de voir le ballet, on ne comprend rien. Parmi eux,  Rodolphe, pas aimé par son méchant papa castrateur, l’empereur François-Joseph, ni par sa libidineuse maman, Sissi, qui se tape une tripotée d’amants. Alors, le pauvre Rodolphe est obsédé par le sexe et la morphine. Et il est très violent ! Bad boy ! Il joue tout le temps avec une tête de mort façon Hamlet et un pistolet! 

Face à lui, une tripotée de femmes : des ex-amantes,  baronne, comtesse, des prostituées, et Mary Vetsera.

Raison 2 : Les pas de deux s’enchaînent avec les jambes tendues dans tous les sens, des dos cambrés dans tous les sens, et ça pirouette à droite et ça pirouette à gauche... et vas-y que je te mets la tête en bas, que je te grimpe dessus, et puis c'est à ton tour... ça n’évolue jamais…

Raison 3 : Et puis encore des prostituées ? Il nous en a déjà servi dans Roméo, resservi dans Manon... mais là, audace suprême,  on voit un officier qui se fait faire une pipe derrière une table et les filles écartent leurs gambettes et montrent leurs fesses. Haha, quelle audace ! On aura encore droit à des viols comme dans Manon : dites-moi, il avait pas un problème sexuel, le Mc Millan ?  

Bref, vous l'aurez compris : tout cela ne m’intéresse pas vraiment parce que la chorégraphie se répète encore, et encore, et encore quand elle n’est pas d’une naïveté à pouffer de rire comme la ridicule scène de la chasse, le grotesque tirage de carte, les officiers qui jouent à « coucou c’est moi » avec les rideaux. On s’ennuie ferme ! Racontée autrement, chorégraphiée autrement, peut-être aurais-je pu entrer dans ce ballet mais là, vraiment non...

Et pourtant, la troupe est toujours aussi excellente : à commencer par Mathieu Ganio, écorché vif, neurasthénique, malade, à bout de son mal de vivre. Toutes ses variations sont intenses, on sent quasiment battre son cœur malade-  où l'on sent d'une façon palpable la vie lui peser de tout son poids. Ensuite, il y a l'excellente Laura Hecquet, façon Me de Merteuil dans les Liaisons. Elle manigance, elle intrigue. Mais quel dommage que cette magnifique danseuse n'ait rien à danser! Battistoni, charismatique, et Bourdon impériale avec des bras d'un délié à tomber en pâmoison parviennent à insuffler un peu de vie dans leurs personnages creux.
Mais là encore le manque cruel d'imagination de la chorégraphie me laisse sans voix. Ça tient de l’héroïsme pour ces danseuses d'arriver à être convaincantes avec un texte vide.

Petit bémol pour l'interprétation et non la danse de Pagliero qui passe d'une jeune fille sautillante de 17 ans à une fille suicidaire folle furieuse sans aucune progression. Guérineau sourit pendant tout le pas de deux de sa  nuit de noces alors qu'elle vient d'être terrorisée par un mari brutal et sans tendresse.

J'avais vu quelques extraits par le Royal ballet qui ne m'avaient pas convaincue non plus, même si j'avais été époustouflée par la fluidité des portés, et c'était encore le cas hier.
Une fois encore, l'engagement des danseurs, leur beauté et celle de la danse n'est pas à remettre en cause.
Mais tout ce déploiement de costumes pour ça ? Alors oui, on met du sexe et de la violence factice pour sauver le tout, mais là, on est au niveau des mauvais films américains.

 

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27 juin 2022 1 27 /06 /juin /2022 08:07
Giselle : Gilbert/Marchand/ Révillion/ Colasante 24 juin 2022 ONP

Lors de la dernière série de Giselle en 2020,  j’avais eu le bonheur de voir  la Giselle de Dorothée Gilbert aux côtés de Mathieu Ganio.  Audric Bézard complétait le trio et le corps de ballet se mettait à l’unisson pour servir la narration. Vous pouvez retrouver le compte rendu ICI. La représentation avait été poignante et d’une maîtrise éblouissante.

J’avais donc hâte de découvrir Gilbert aux côtés d’Hugo Marchand, son partenaire de prédilection, car j’avais été profondément bouleverseé par leur Roméo et Juliette de l’été dernier. Voir ICI.

Fabien Révillion qui est un artiste que j’affectionne particulièrement campait Hilarion : tout s’annonçait au mieux.

 

Hélas, lors de cette première, le premier acte fut un beau gâchis ! Non pas chez les solistes, bien au contraire, c’est même Dorothée Gilbert véritable prima ballerina assoluta qui a sauvé le tout, mais le corps de ballet a montré une technique approximative, avec ses décalages constants les uns avec les autres, le summum étant lorsque les amies de Giselle, 8 au total, offre d’un côté un trio parfait et de l’autre un quintette en retard sur le tempo et peinant à aligner les pas.  Par ailleurs,   les danses paysannes ont perdu leur charme champêtre, n’offre aucune fraîcheur, aucune joie, et je préfère ne pas parler du pas de deux des paysans : le tout fait plus penser au laborieux spectacle d’une école de danse en fin d’année qu’à l’opéra de Paris et on se demande ce que Dorothée fait là, au milieu de ce spectacle indigent. Comment avec un premier acte calamiteux au possible, la scène de la folie peut-elle prendre toute sa puissance ?     
J’avais beau être éblouie par   Dorothée, je regrettais presque d’être venue, surtout si l’on rajoute les fausses notes de l’orchestre, notamment des cordes médiums et des vents.

Il était donc vraiment difficile pour Hugo Marchand de donner une réplique parfaite à Dorothée au premier acte et Fabien Révillion n’est pas plus aidé, puisque le plateau bafouille à leurs côtés : on a de la peine de voir de tels artistes dans un tel contexte, le tout ne prend pas.

Heureusement, un miracle est toujours possible et il a eu lieu au deuxième acte.

 

 Des Giselle, j’en ai vues, à commencer par Pontois et Atanassoff, inoubliables, en 1974.  Giselle reste l’un de mes ballets préférés car le drame explose de façon complètement inattendu et en peu  de temps au premier acte, et le deuxième acte offre la quintessence même du romantique : mort, pardon, sacrifice, monde de l’au-delà inaccessible mais dont on peut malgré tout capter un écho, une voix, une image dans la nuit.    
 

 Dorothée Gilbert devenue  totalement immatérielle, n’est plus qu’un peu de brume que le vent façonne à sa guise : ses équilibres, ses tours planés, ses arabesques, sa merveilleuse petite batterie prennent une beauté qui n'est plus de ce monde. Seule Bessmertovna  a su rendre sa Giselle aussi fantomatique. Ses bras évanescents s’arrondissent ou se meuvent comme les volutes de fumée dans un courant d’air. Transparente, volatile,   humble mais puissante tout à la fois, c’est un esprit que la force de son cœur anime.   

À ses côtés,  Hugo Marchand est un Albrecht  poignant, plein de remords ;  sa danse magistrale aux lignes magnifiques malgré sa grande taille, à la fois puissante et  terriblement humble, crée un contrepoint d’une infinie poésie à celle de Giselle.
Il est bien vivant lui,  de chair et de sang, mais rongé de chagrin.

Leur pas de deux a suspendu le temps, et leurs corps qui ploient, se déploient, se rencontrent et s’effleurent comme en rêve est un summum de beauté et de poésie.

À leurs côtés, le corps de ballet implacable, a la beauté à la fois immatérielle et minérale comme si des gisants de pierre s'étaient animés, leur compose un écran idéal. Ces Willis évoquent les cruelles  filles du roi des Aulnes, qui conduisent la ronde nocturne, ou encore l’hymne à la nuit de Novalis incarné ici dans toute sa perfection : « Un jour je répandais des larmes amères ; la douleur avait dissipé mon espérance, et j’étais seul auprès de ce tombeau sombre qui cache tout ce qui faisait la force de ma vie ; seul, comme personne ne pouvait l’être, sans appui et n’ayant plus qu’une pensée de malheur ; j’appelais du secours sans pouvoir aller ni en avant, ni en arrière, et je m’attachais avec ardeur à cet être que j’avais vu mourir. Alors, des lointains bleuâtres, des lieux témoins de mon ancienne félicité, un doux rayon vint à poindre ; la pompe terrestre s’enfuit, et avec elle ma tristesse ; je m’élançai dans un monde nouveau, immense, tu descendis sur moi, inspiration de la nuit, sommeil du ciel ; la contrée s’éleva peu à peu, et sur la contrée planait mon esprit dégagé de ses liens. Le tombeau près duquel j’étais assis, m’apparut comme un nuage, et à travers ce nuage j’aperçus les traits rayonnants de ma bien-aimée. L’éternité reposait dans ses yeux, je pris ses mains, et mes larmes coulèrent en abondance. Les siècles s’en allèrent au loin comme un orage, tandis que, suspendu à son cou, je versais des pleurs délicieux. Ce fut là mon premier rêve, et depuis j’ai senti dans mon cœur une foi constante et inaltérable au ciel de nuit, et à ma bien-aimée, qui en est la lumière. »

Le corps de ballet froid, lunaire, minéral et glaçant et pourtant d’une éblouissante poésie offre un contraste saisissant avec la mort du malheureux Hilarion, être pour qui on éprouve une profonde compassion, car il n’a jamais espéré être aimé de Giselle et ne peut ni l'oublier ni se consoler ; il l’aime par delà la mort, qu’il trouve lui-même d’une façon cruelle. On aime cet être banal, qui a passé comme un rêve dans la vie et meurt sans que quiconque se soucie de lui. Cela change des Hilarion brutaux, parfois odieux.

 

La dernière variation de Gilbert avec sa batterie ciselée, ses sauts vers l’arrière qui évoquent l’envol des phalènes au clair de lune, sa légèreté absolue, nous rend le temps trop court ;  à cette infinie poésie succède peu de temps après le cœur battant d’Hugo Marchand qui vibre avec amour, avec abandon, dans une série d’entrechats 6 emplie d’une émotion poignante ; notre cœur bat à l’unisson et on oublie l’extraordinaire prouesse physique.

 Enfin, félicitations aux lumières, car cette année, c’est merveilleusement éclairé  

Citons encore la très belle Willis de McIntosh. En revanche, la Myrtha de Colasante excessivement puissante, ne nous convainc pas vraiment. On voit une danseuse qui en fait trop et plus un personnage. Sa Myrtha de 2020 était plus nuancée.     

Un petit mot sur la rayonnante Giezendanner, toujours aussi radieuse sur scène, poétique, musicale, vivante. Quand on voit les 7 autres amies de Giselle dont 5 le soir de la première ont du mal à s'accorder et à suivre le tempo, on se demande vraiment ce qu'elle fait " encore"  là... 
 

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12 juillet 2021 1 12 /07 /juillet /2021 08:34
Roméo et Juliette. Noureev. Hugo. Gilbert. Ganio. Révillon. Legasa. Vello Pähn. 10 juillet 2021

Malheureusement, je n'ai pas trouvé de belles photos sur le site de l'ONP de ce couple là et j'en suis désolée... j'ai donc mis l'unique que j'ai réussi à faire...

En 2016, j’avais vu Roméo avec Marchand et Gilbert dans les rôles-titres, quelques jours après avoir vu Heymann et Baulac, (en remplacement de Ould-Braham), et, si le premier acte ne m’avait pas vraiment convaincue, j’avais été emportée par l’émotion aux deux actes suivants, celle-ci allant crescendo jusqu’au dénouement final.

Cinq ans plus tard, les voici à nouveau réunis pour ce ballet aux diffucultés techniques redoutables, véritable marathon dansé de 2h30, dans lequel le couple doit faire face au terme de leur danse à des escaliers qui leur compliquent enocre la vie.  Mathieu Ganio était Tybalt,  Pablo Legasa Mercutio, et  Fabien Révillon Benvolio, rôle qu’il avait déjà dansé en 2016 avec toute la sensibilité qu’on lui connaît.

Dès le début, l’orchestre sonne nerveux, intense, lyrique. Après avoir trouvé les orchestres des  précédentes reprises bien mollassons et sans couleur, la baguette de Vello Pähn enchante cordes et bois parfaitement équilibrés et pondère les cuivres, qui a Bastille, font toujours trop de bruit.

Et puis le rideau se lève… de noires silhouettes jouent une partie de dés, la vie n’est-elle pas plus que cela ? Une partie où tout d’un coup tout peut être perdu ou gagné d’un seul coup ? Où les surprises tombent du ciel sans crier gare, et disparaissent tout aussi brutalement ? La compagnie qui a retrouvé sa superbe,    parle   ce samedi 10 juillet son Shakespeare couramment.

Aux scènes d’affrontement au marché, nerveuses comme celles de West side story, succèdent des scènes d’épée virtuoses, un bal aux danses guerrières, véritables parades avant la mise à mort, des solos lyriques ou comiques, des duos, trios, quatuors qui déclament en une langue truculente, fluide, gouailleuse, poétique, agressive, compatissante, virtuose, la tragédie des deux enfants de Vérone.

Dans sa chambre, Juliette-Gilbert, élevée par des parents au cœur débordant de haine et un cousin a l’épée leste, a développé un caractère franc et une force physique peu commune de garçon manqué que traduisent des gestes qui ne recherchent ni la pureté des lignes, ni la beauté des formes comme en 2016. Ah, cette Juliette me séduit d’emblée. On lui présente son futur époux ? « Bon d’accord, je vais le saluer pour vous faire plaisir, mais je préfère lutter avec Tybalt ! »

Par contraste, Roméo-Hugo, aux ports de bras légers, aux inclinaisons du cou fluides, aux sauts élastiques à la réception légère, aux attitudes qui se vrillent comme les volubilis autour des arbres, au regard empli d’une profonde humanité, révèle une âme sensible, rêveuse, féminine. Avec Benvolio, posé, calme, bon garçon et Mercutio qui se met en quatre pour amuser la galerie, il compose un trio profondément vivant, attachant.  Ce ne sont nullement les « bad boys » Capulet, mais un groupe de jeunes hommes tout juste sortis de l’adolescence qui ne se sont pas encore trop frottés aux réalités de la vie.

La rencontre avec Juliette bouleverse : la danse juvénile de celle-ci et la douceur un peu rêveuse de celui-là se métamorphosent dans le jardin en un pas de deux d’une intensité amoureuse non égalée depuis Hilaire-Guillem en 1991. De la rapidité d’exécution des pas de Gilbert et Marchand, vertigineuse, qui nous laisse littéralement bouche bée naît un puissant sentiment d’abandon amoureux que celle-ci devrait interdire. Les deux danseurs ne cèdent en rien à la facilité, bien au contraire, car les deux artistes au sommet de leur art qui se portent une confiance absolue, enchaînent des figures, des portés, des lancers qu’on croirait impossibles.

Avant cette merveille, on aura assisté pendant le bal aux chaises musicales, ou les yeux bandés, chacun doit reconnaître le partenaire qui lui échoit : la cocasserie en plein drame, c’est tout Shakespeare.

Et tout à coup, je réalise que ce Roméo de Noureev emprunte beaucoup au West Side Story, c’est tout à fait frappant ce soir : un joyeux chaos qui finira en drame. Quant au prodigieux travail avec le sol, il était dû au travail que Noureev faisait avec Martha Graham qu'il exportait ensuite dans la création de la chorégraphie. Patricia Ruane en parle merveilleusement.

Photo Julien Benhamou 2016 ONP

Photo Julien Benhamou 2016 ONP

Le premier éclate juste après le mariage secret : la mort de Mercutio – excellent Legasa qui n’en fait jamais trop, cisèle les pas et les sauts comme un orfèvre, bondit et tourbillonne léger comme une plume, rit et grimace de douleur au moment de sa mort semant le trouble dans l’esprit du spectateur — provoque la mort de Tybalt qui comprend trop tard que sa haine la conduit à sa propre destruction. C’est poignant et  Ganio s'empare d'un registre bien loin de tout ce qu’il avait dansé jusqu’à présent et donne un ton personnel à ce Tybalt qui ne peut combattre la haine qui l'habite. Il n'est pas méchant, il est le jouet de forces plus grandes que lui. Au moment de mourir, sa gestuelle, pointue et féroce comme son épée, mais avec des épaules où s'exprime son allergie viscérale aux Montaigus, se recroqueville au fur et à mesure que la vie l’abandonne : elle l'a trahie, il le comprend en mourant : un coup de dés.

Écartelée entre son amour et son chagrin, une Juliette moins forte que Gilbert perdrait la raison. Mais c’est coupée en deux qu’elle pleure son Tybalt chéri, et après un premier et violent mouvement de colère, cède à l’amour qu’elle porte à Roméo. Gilbert concentre toute l’intensité de sa douleur dans des gestes maîtrisés ; elle n’agite pas les bras comme je l’ai vu souvent faire, ceux-ci se tendent comme des flèches à la fois reproche, supplication, pardon, souffrance.

Les adieux dans la chambre de Juliette annoncent déjà le drame final où le pas de deux du jardin ne s’envole plus vers la nuit étoilée, empli d’espoir, mais retombe toujours vers le sol, emporté par la pesanteur de la douleur de la séparation qui annonce déjà la mort.  Que la chorégraphie de Noureev est lisible ce soir !

Les deux fantômes qui surgissent dans la chambre de Juliette, l’un tendant une fiole, l’autre un poignard, ont une immatérialité rarement égalée par leurs prédécesseurs. Ganio/ Legasa donne à leurs corps une transparence spectrale, lugubre, terrifiante, comme si de leurs corps en décomposition parvenaient déjà les échos du  caveau de Juliette.  Et puis c'est le message qui n'arrive pas, Benvolio dévoré de chagrin qui annonce la mort de Juliette... 

Dans le dernier pas de deux, la force de l'amour se brise sur  un dernier mauvais tour du destin. Juliette, endormie dans les bras de son Roméo qui la croit morte et tente désespérément de la ramener  à la vie, se réveillera trop tard.  Les joueurs de dé ont encore le dernier mot.

Je ne peux pas refermer cet article sans mentionner Dame et Seigneur Capulet  - Sarah Koya Dayanova et Arthus Raveau, parfaits dans leur rôle, l’extraordinaire nourrice, pleine de sollicitude et de gouaille de Miho Fujii, les acrobates qui ont magnifiquement fait virevolter les immenses les drapeaux, jamais aussi bien maniés ces 15 dernières années, sans oublier l’excellence du corps de ballet, qui a dansé de toute son âme.

La salle retenait son souffle, applaudissait rarement, prise qu’elle était par le récit, mais la dernière note résonnait encore qu’elle s’est levée d’un seul bond et a offert en retour une ovation à toute la troupe.

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14 novembre 2017 2 14 /11 /novembre /2017 17:41

 

 

Bien que je n’aie jamais vu Agon sur scène, l’œuvre m’était étrangement familière à cause de cette photo qui figurait dans un livre qu’enfant, j’adorais.  A partir de ce cliché datant des années 60, j’avais récréé  tout un ballet aussi « moderne » que possible. Quelque chose m’intriguait dans l’entrelacement des développés quatrième, dans les ports de bras, et même dans les costumes. J’étais fascinée par ces danseuses figées pour l’éternité dans cet instant étrange qui semblait promettre une œuvre unique et incomparable à tout ce qui existait déjà en danse.

Plus tard, j'appris que Stravinsky avait composé la musique à la demande de Balanchine, à une période où il s'intéressait aux trois Viennois, au sérialisme et au dodécaphonisme.

 

 En découvrant Agon pour la première fois  50 ans plus tard, je retrouve intacte ma curiosité enfantine. Voilà un Balanchine qui me ravit ; tout interroge, questionne, étonne. On croit suivre les danseurs dans une histoire, ils nous en servent une autre. La lumineuse Charline Giezendanner offre fraîcheur et spontanéité, tandis que Germain Louvet, peut-être tout juste échappé d’une fête galante à la Watteau, badine et danse avec impertinence ;  un peu plus tard,  Paul Marque et Pablo Legasa bondissent joyeusement à côté d’une Hannah O Neil espiègle, qui les taquine de ses pointes et décoche du coin de l’œil à ses deux chevaliers-fervents-servants,  des regards malicieux. Lorsque Ould Braham et Paquette entrent en scène,  l’air devient plus dense, et, comme dans les contes, la scène rétrécit. La belle Myriam, merveilleuse de sensualité,  fait languir Karl Paquette  en enroulant sa silhouette-liane autour de lui, comme le lierre autour du chêne ; il est à ses pieds – et on le comprend-  et, amoureux transi,  répond à toutes les propositions de la belle qui le repousse, le rappelle, l’ordonne, le console, l’ensorcèle, puis s’abandonne. Leur pas de deux est d’une fluidité et d’une langueur à la fois extravagante et lyrique ; les jeux pour rire des couples, trios ou quatuors qui les ont précédés laissent place à un moment hors temps, intense, où la beauté esthétique de leurs figures amoureuses rend la musique, à laquelle, jusqu’à présent, on n’avait pas trop prêté attention, (on aurait pu voir toutes ces scènes dansées sans elle) -  tout à coup complice. Elle devient le spectateur silencieux, ou le troisième danseur invisible ;  comme si  musique et les artistes se révélaient l’un l’autre. On   aurait bien gardés sous nos yeux plus longtemps ces deux artistes exceptionnels, qui, malheureusement, nous font prendre conscience qu’avant eux, tout le monde  a fait beaucoup de bruit pour rien !  

Agon m’a réconciliée avec Balanchine dont la Valse sirupeuse m’était restée sur l’estomac.

Agon/ Grand Miroir/ Le Sacre du printemps 12 novembre 2017

Grand Miroir de Teshigawara, chorégraphié sur un concerto pour violon d’Esa-Pekka Salonen (2009) qui n’offre rien de bien nouveau mais reste agréable à l’oreille, est une œuvre qui, pendant trente minutes, nous fait croire que quelque chose d’extraordinaire va se passer. Un drame couve, on le sent bien. Les scènes s’enchaînent les unes aux autres ; au départ, ce n'est qu'un simple tourbillon de danseurs isolés qui traversent la scène, comme des phalènes sous levothyrox. Ce n’est pas désagréable, on se laisse peu à peu emporter, comme lorsque nos yeux fixent les tourbillons qui se forment dans une rivière, puis disparaissent. Il y a quelque chose d'hypnotique qui nous met dans un état particulier. Alors on attend... Tout à coup, la fragile Lydie Vareilhes agonise tout à coup, dans des tortillements de corps convulsifs,  tandis qu’en arrière-plan un groupe glisse du fond de la scène sur le devant, en répétant à l’infini une pavane macabre ; on pense alors à  Dream de Kurosawa et à cette étrange Tunnel dans lequel un soldat retrouve ses camarades morts au combat.

L’intensité dramatique de Juliette Hilaire, puissante, extatique, donne  tout à coup de l’ampleur à la musique, qui  semble jaillir du corps de la danseuse : on est fasciné et notre regard ne peut plus quitter l’artiste, si juste dans sa danse que tous les autres ont l’air de  faire semblant de danser.  Un peu plus tard,  la poétique silhouette d’un Mathieu Ganio rongé par des souvenirs hallucinés, ondule bizarrement, entre remord et douleur.  Un climax approche, on attend d’être emporté, mais l’œuvre ne trouve pas son point culminant. Le climax n’aura pas lieu et l’œuvre se termine en queue de poissons, nous laissant frustrée sur notre fauteuil,  malgré la beauté et/ou l’intensité de biens des passages.

Agon/ Grand Miroir/ Le Sacre du printemps 12 novembre 2017

Et puis vient le Sacre du printemps de Pina Bausch, qui m’avait laissée en 2010 presque aussi anéantie que les danseurs. Miteki Kudo  était l’élue, mais j’avais surtout été fascinée ce jour-là par Abbagnato.  Là, curieusement, aucune émotion n’a jailli. Tout le monde est super en forme, aucune fatigue ne pointe, et les émotions sont forcées. Elles ne passent pas la rampe. Il faut dire que les danseurs ne sont guère portés par un orchestre poussif, qui a perdu son agressivité. La baguette molle de Benjamin Shwartz, étouffe  les bois, musèle  les percussions, amollit l’ensemble. Plus de rugissement, de cris, de chocs, ou de murmures lancinants ; plus de pas feutrés, d’appels joyeux, de réponses à contre sens ; plus de martellement, de halètement, de plaintes ; plus rien en fait. Un discours lissé, policé, assagit, raboté ! Un comble pour cette pièce ! On se console    en regardant  la beauté des ensembles des filles ou des garçons, sans qu’aucun drame ne pointe le bout de son nez.  Lorsque l’Elue-Baulac danse les dix dernières minutes, on est impressionnée par son corps devenu une percussion. Pas une plainte ne s’élève de la danseuse mais une rage qui explose comme une bombe. Sa danse est tout en nerf, sa précision rythmique hallucinante. Les tressautements de son corps n’appellent pas à la compassion, mais libère une fureur de fauve capturé malgré lui qui luttera jusqu'à sa dernière griffe. Malheureusement, malgré tout le talent de cette danseuse,  cette transe finale tombe à plat car elle n’a été préparée ni pas le groupe, bondissant et lyrique, ni par l’orchestre mollasson et muselé.  Dommage. Malgré tout, j’ai admiré chacun et chacune, sans jamais entrer dans l’œuvre, juste heureuse de voir tous ces merveilleux artistes jouer dans ce bac à sable géant !

Les techniciens disposent la terre pour le Sacre

Les techniciens disposent la terre pour le Sacre

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18 juillet 2017 2 18 /07 /juillet /2017 08:04
Hannah O'Neill - Vincent Chaillet : la Sylphide ( Pierre Lacotte) 16 juillet 2017 Palais Garnier

N’ayant pu pour différentes raisons assister à aucune Sylphide prévue, j’avais pris deux jours avant une place pour voir la distribution O' Neill, Chaillet, Colasante sans  autre attente que celle de revoir un ballet qui m’avait vraiment émue lorsque je l’avais revu 13 ans plus tôt dansé par Ganio-Ciaravola après l'avoir boudé lors des précédentes reprises car, faut d’interprètes convaincants, je m’étais ennuyée. La représentation du 16 juillet a été bien au-delà de ce que j’espérais et je suis ressortie du Palais Garnier des ailes au pied, voletant au dessus de l’asphalte brûlante, sans même me rendre compte que Paris grouillait de monde, de chaleur et de bruit parce que j’étais encore au cœur de la forêt profonde, émue par le destin tragique de  James et de la pauvre Sylphide. Mais je raconte cette histoire à l’envers.

Tout au long du 1er acte, James, déchiré entre ses deux amours lutte contre lui-même pour ne pas sombrer dans la folie. C’est un être tourmenté, qui n’entend pas se laisser séduire par ses propres chimères et se raccroche de toutes ses forces à Effie, sa fiancé, qu’il aime tendrement et à qui il ne souhaite surtout pas faire de mal. Si par colère, il met à la porte la sorcière venue lui annoncer qu’il n'épousera pas la fraîche Effie, c’est parce qu’il sait que la vieille femme a raison et  qu'il tente par ce geste dérisoire de reprendre le contrôle de lui-même. Il s’efforce d’opposer au monde irréel qui l’attire comme un aimant et causera sa perte, - tout comme l’Onuphrius de Théophile Gautier,- le monde rassurant de sa demeure, de ses amis, de sa vie simple mais concrète. Mais toutes ses résolutions cèdent sous le charme évanescent de la Sylphide qui lui laisse entrevoir un monde d’une poésie infinie dans lequel elle veut l’emmener bien qu’il tente toujours de lui résister.  

La composition de James  de Vincent Chailley est donc loin du jeune homme rêveur de Mathieu Ganio par exemple, mais tout aussi convaincante. Vincent Chailley possède un ballon impressionnant, une belle présence scénique, des pirouettes d’une grande rapidité d'exécution, des sauts d’une belle élasticité qui met en valeur ses longues lignes, de l’énergie.  Il s’est engagé de toute son âme dans son personnage qu’il a rendu touchant car on le voit lentement sombrer peu à peu dans un rêve qui ne le mènera qu’au malheur.

 

 À ses côtés,  Effie-Colasante a tout ce qu’il faut pour le rassurer : de cette fiancée attachante, bonne fille, émane un petit air frais campagnard qui ancre James dans sa vie présente et doit lui faire le plus grand bien. Effie danse avec un naturel confondant de simplicité et de tendresse, ce qui permet un contraste saisissant avec la fille de l’air qu’incarne l’extraordinaire Hannah O ' Neill. Cette dernière  est sans doute arrivée par la fenêtre, par hasard,  poussée par  un courant d’air et, comme Tribly, a  jeté son dévolu sur James sans raison. Elle s’est attachée à lui et trouve naturel qu’il fasse de même, abandonnant tout pour  lui consacrer chaque seconde de sa vie. Hannah O Neil est une Sylphide simple, presque naïve, qui  ignore tout du monde de James et ne s’y intéresse d’ailleurs pas du tout. Au dessus de ses pieds qui effleurent à peine le sol dans une batterie vertigineuse et une succession de petits pas à la précision millimétrique et pourtant d’une infinie poésie, le buste ondoie souplement comme les branches d’un grand saule tandis que  la jupe blanche flotte comme la corolle de grandes fleurs bercées par le vent. Hannah O Neil est l’incarnation parfaite de la poésie, de la douceur, du rêve, de la beauté, du féminin inaccessible.  Immatérielle, désarmante parce qu’elle semble à peine avoir conscience d’elle-même, elle n’est heureuse qu’en étant près de son James chéri et le serait plus encore s’il voulait bien la suivre dans la forêt.

Ces trois artistes ont donné une intensité dramatique poignante à la fin du 1er acte, lorsque James, déchiré entre les deux modèles du féminin, blesse sans le vouloir Effie qui ne comprend pas se passe.  Bien qu’il tente de toutes ses forces de repousser la Sylphide, il finit par succomber presque malgré lui à son appel et laisse sa fiancée éplorée. Et à cette intensité dramatique faisait écho une beauté visuelle à couper le souffle : un véritable instant de grâce artistique servie par trois artistes qui se mettent en valeur l’un l’autre pour notre plus grand plaisir de spectateur.

 

Hannah O'Neill - Vincent Chaillet : la Sylphide ( Pierre Lacotte) 16 juillet 2017 Palais Garnier

Au second acte, dans la forêt, Hannah O'Neill  tout à son aise, oublie trop souvent que son amoureux  n’a pas d’ailes pour la suivre dans les arbres.  Et voilà James à nouveau déchiré après avoir goûté quelques rares plaisirs à danser près de celle qu’il aime  dans la clairière,  réalisant tout à coup qu’il a tout abandonné pour aimer un être volatile, impalpable, insaisissable qui ne lui offre que l’illusion de l’amour. Chaillet est très expressif : son visage exprime tour à tour la joie, l’amour, le désarroi, la désillusion, la consternation, la colère, les reproches qu’il se fait à lui-même. Toutes les affres de la condition d’un humain qui rêve de l’autre monde mais ne peut le rejoindre s’inscrivent sur son visage et le rendent terriblement touchant.  Comprenant que malgré tout son amour et sa bonne volonté, le monde de la Sylphide lui reste inaccessible, il s’en remet alors à la méchante Sorcière-Houette (qui a réjoui le public avec ses mimiques) qui lui laisse croire qu’il pourra aimer la Sylphide comme une femme.

Privée d’ailes à cause de l’écharpe maléfique, la Sylphide meurt sous ses yeux comme elle est née : sans le vouloir, presque sans le savoir, dans un léger souffle de vent. Ce qui la peine le plus n’est pas la perte de ses ailes qui la chagrine à peine, ni sa propre mort qu’elle accepte, mais ses adieux à son James chéri, tellement malheureux et qu’elle essaie de consoler avec le peu de forces qui lui reste.  Elle regarde ses ailes en acceptant son destin puis s’effondre sur le sol, comme ses papillons blancs au jardin à la fin de l’été, qui tentent quelques derniers battements d’ailes avant que le vent ne les emporte au loin, sans vie et comme fanés.

 

Le corps de ballet fut impeccable, tant pour la poésie des Sylphides – quel magnifique travail d’ensemble – que pour les danses enjouées des Ecossais.

Le chef a su tirer le meilleur parti de l’orchestre, malgré des cuivres calamiteux.

On entend déjà dans la partition les futures échos de Giselle et aussi de Sylvia. (Thème d’Aminta à la flûte).

 

Je reviens sur les deux artistes Vincent Chaillet, premier danseur,  qui campe toujours des personnages très travaillés. C’est d’autant plus admirable que la plupart du temps, il ne danse qu’une seule fois le rôle-titre, qu’il aborde donc tout neuf sur scène mais qui montre à chaque fois une vraie intelligence car cet artiste apporte toujours quelque chose de personnel à ses personnages. En outre, sa technique est vraiment très belle.

 

Quant à Hannah, et bien elle éclipse pour moi toutes les étoiles actuelles. D’ailleurs, Pierre Lacotte l’adore. Sa Paquita était pleine de fraîcheur,  son Odette poignante et son Odile fascinante. Sa Titania, ce printemps, était un pur  délice d’humour et de féminité.

Elle n’a que 24 ans, est une véritable virtuose, et surtout a ce petit quelque chose de plus qui ne s’acquiert pas par le travail. Sa danse d’une beauté à couper le souffle, possède autant de force que de douceur   parce ses bras, son buste, son cou sont complément libres par rapport au puissant travail des jambes et des pieds, ce qui fait qu’on ne voit jamais le moindre effort.

Hannah O'Neill - Vincent Chaillet : la Sylphide ( Pierre Lacotte) 16 juillet 2017 Palais Garnier
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1 janvier 2017 7 01 /01 /janvier /2017 10:47
Léonore Baulac nommée étoile le 31 décembre 2016

Léonore Baulac nommée étoile : Aurélie Dupont crée son équipe (deuxième !)

 

La nouvelle était attendue depuis pas mal de temps et lorsque le nom de Baulac a figuré sur la distribution en date du 31 décembre, les rumeurs se sont amplifiées ; elles n’ont pas décru même après la nomination de Germain Louvet le 28 décembre. Ces deux artistes ont d’ailleurs dansé ensemble les rôles de Roméo et Juliette et les personnages principaux de Casse-Noisette ( Drosselmeyer/ Prince et Clara) que nous voulions voir, car nous avons toujours adoré Léonore, mais cela n’a malheureusement pas été possible.

 

Il est remarquable de se rappeler que dans l’émission « La danse à tout prix » qui date de 2012, suivre ce lien pour lire l’article correspondant - cette danseuse qui préparait le concours passait son grade de coryphée pour la 4ème ou 5ème fois sans se décourager. Elle était guidée par Aurélie Dupont pour le rôle du Cygne noir, et la petite séance de travail filmée en disait long sur la ténacité, la pugnacité de cette artiste. Elle ne changera pas de grade cette année-là non plus, mais à partir de 2013, tout va s’enchaîner pour elle : elle passé coryphée, puis sujet en 2014, et enfin première danseuse en 2015 ; elle a 25 ans. Heureusement, malgré ces années difficiles, elle a déjà abordé un certain nombre de rôles, car B. Lefèbre tout comme B. Millepied l’ont généreusement distribuée ce qui a permis au public de ces trois dernières années d’avoir eu de multiples occasions de la voir, soit dans le corps de ballet, où on la remarque toujours, soit dans un petit ou grand rôle ; on se souvient par exemple très bien de sa Fée dans la Belle au bois dormant, toute d’ incandescence féérique, de sa présence lumineuse dans le Chant de la Terre de Neumeier, ou encore de sa danse flamboyante dans le Daphnis et Chloé de B Millepied.

Et même dans l'affreux Nuit transfigurée de ATDK, elle irradiait aux côtés du blond Karl Paquette!

 

La Saison dernière, on a pu la découvrir dans le rôle de Juliette, aux de M Heymann, MO Braham s’étant malheureusement blessée ; elle a donc remplacé au pied levé la Ballerine et a incarné une Juliette " garçon manqué" dans le sens où élévée au milieu des querelles et des combats quotidiens, la jeune fille a acquis un caractère fort,tout de passion, qui comme ses pères ou cousins, prend les rênes de son destin en mains.

 

Ce qui enchante en elle, c’est cette façon si personnelle de s'exprimer en scène. Il y a en elle un contraste saisissant entre son visage elfique, sa grâce cristalline, son apparente fragilité qui cache en réalité une énergie peu commune et une grande force. Léonore danse comme si sa vie en dépendait. Elle est toute de générosité, de spontanéité, très vive. C’est une travailleuse acharnée que l’échec n’amollit pas. Elle est toujours prête à relever les défis, et se plaît autant dans le registre contemporain que dans les rôles classiques.

Tout cela a dû séduire Aurélie Dupont qui la connaît bien, et doit saluer sa capacité de travail hors norme, ainsi que sa très grande sensibilité, que possède également la directrice de la danse.

 

En même temps qu’elle en 2015, une autre artiste a été promue Première danseuse, Hannah O Neill que nous adorons pour la perfection de son placement, de ses lignes, pour son élégance et sa classe exceptionnelle, pour sa grâce d’une beauté froide, sa technique précise, toutes qualités qui signent les Etoiles. On ne pourrait imaginer deux personnalités plus opposées : l'une tout de chair et de sang, l'autre, presque surnaturelle mais très solide techniquement. Deux beautés différentes, deux artistes attachantes. Nous espérons que la seconde accèdera aussi au titre suprême. 

Les Saisons prochaines, très avares en ballets narratifs lui permettront de danser si elle le souhaite la Sylphide, à qui elle donnera beaucoup d’esprit, Kitri qui sera pleine de panache et de verve latine, et sans doute Tatiana, dans lequel il sera difficile d'oublier Isabelle Ciaravola!

 

On se réjouit donc de l’étoilat de cette artiste attachante, qui montre sur la vidéo de sa nomination une humilité sincère et touchante. Que les 16 prochaines années soient pour elle emplies de découvertes, de rencontres chorégraphiques, de rôles qui lui apporteront tout le bonheur de danser qui est le sien et la couronneront véritablement « Etoile de l’opéra de paris ».

 

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29 décembre 2016 4 29 /12 /décembre /2016 10:38
photo sur le site de l'ONP

photo sur le site de l'ONP

Germain Louvet nommé étoile

 

 

La nouvelle flottait dans l’air depuis quelque temps puisque Ariane Bavelier avait platement -mais l’annonce n’en était pas mon claire pour autant -  titré son papier sur le Lac du 25 décembre : « Un Prince est né » anticipant donc la nomination de ce jeune danseur de 23 ans, tout fraîchement promu premier danseur.

 

La première remarque que l’on peut faire, c’est que Dame Dupont a du caractère ; comme un Noureev autrefois, elle utilise la hiérarchie  et la  contourne en même temps ! Elle nomme bien un premier danseur, donc elle la respecte, mais celui-ci n’a pas encore pris ses fonctions, donc elle la contourne ! Il y a eu des antécédents à ce genre de nomination : Guillem avec Noureev par exemple. Héhé ! Voilà ce qui s’appelle être un capitaine ! 

 

La deuxième, c’est qu’elle veut absolument se démarquer des directeurs et directrices qui l’ont précédée : pour former sa nouvelle équipe, elle va donc puiser dans les nouveaux talents émergeant et non dans les premiers danseurs déjà en place. Elle passe donc allégrement au dessus des Alu, des Marchand et des Raveau qui portent ce titre depuis quelques saisons et attendent….

 Louvet, jeune sujet fraichement promu premier danseur au concours de novembre dernier,  correspond à ce qu’on appelle un danseur noble, dans la lignée d’un Mathieu Ganio ou d’un JG Bart.  Physiquement, ils sont longilignes, ont des lignes infinies, et un air de noblesse qui signe les princes des ballets classiques

 

Dame Dupont a déclaré vouloir nommer les étoiles jeunes, ce qui est normal, puisque les danseurs sont des sportifs de haut niveau qui atteignent leur maturité technique autour de  20-25 ans environ ; elle-même, a-t-elle déclaré, n’était pas prête quand elle a été nommée ; cette femme courageuse, qui a dansé après avoir subi une opération du genou, a travaillé toute sa vie, et on a vu à quel point sa personnalité artistique s’est développée tout au long de sa carrière ; si on l'a peu aimée dans certains rôles, à cause de son côté trop sage, son Ombre des Mirages ou sa Sylphide restent nos plus beaux souvenirs. Elle sait qu'il faut du temps pour devenir une étoile complète ; on peut l'être techniquement à 20 sans l'être artistiquement. Etre promu étoile après 28 ans n'a pas de sens pour elle ; et pourtant, on ne compte pas le nombre d'étoiles que B Lefèvre a nommées après cet âge. Pourtant, les danseurs savent qu'on ne peut plus progresser techniquement, et aborder les grands rôles après cet âge si on ne les a pas déjà fait siens avant devient plus difficile, le corps ne les ayant pas digérés, mémorisés, intégrés. Retravailler un grand rôle abordé jeune puis  dansé des dizaines de fois ne pose pas de problème à 35 ans alors qu'il en pose si c'est à cet âge là qu'on l'aborde pour la première fois.  Alice Renavand, par exemple, est l'exemple type de l'étoile nommée trop tard ; après une série de Don Quichotte, elle renonça purement et simplement au classique.... du gâchis pur. C'est ainsi qu'on finit avec des étoiles - hors karl Paquette - qui dès 32 ans, ne dansent plus que du contemporain. Quand on sait que Margot Fonteyn dansait encore Juliette à 57 ans on Pontois la Belle au bois dormant à près de 50 ans...

 

La troisième, c’est qu’elle lance un message clair : retour du classique à l’ONP !

 

Mais, mais, mais, me direz vous ? Et la saison à venir ? Il n’y a qu’un Noureev  et la fille mal Gardée, avec entre les deux un Onéguine ?

Cette saison a sans doute été dessinée en partie par Millepied et en porte encore sa marque ; Aurélie Dupont n’a sans doute pu faire que quelques ajustements ; et c’est ce qui explique que l’on trouve une œuvre de Millepied l’an prochain ; les plannings des artistes se font des années à l’avance et pour les chorégraphes, c’est la même chose ; Dame Dupont n’a sans doute pas pu créer la saison idéale qui paraîtra vraisemblablement pour 2017/2018. Car être directeur veut dire passer une bonne partie de sa journée à téléphoner pour accorder les plannings... En nommant un danseur " noble", elle annonce la couleur de ce que sera ses futures saisons.

 

Ce Germain Louvet, alors, c’est bien, sa nomination ?

 

Nous avons vu son Siegfried le 25 (prise de rôle), qui possède des qualités de danse « à la française » indéniables ; sa variation mélancolique était superbe techniquement parlant.  Mais à 23 ans, sans jamais avoir encore abordé de grands rôles, son personnage était bien lisse ! La personnalité n’a pas encore éclos ; il faut donc espérer que ce jeune danseur va pouvoir au gré des années qui viennent renforcer sa technique encore un peu fragile – il a encore quelques années pour cela – mais surtout aborder suffisamment de personnages pour que son potentiel artistique puisse éclore ; pour cela, il lui faudra un bon coaching et une distribution intelligente qui ne le fera pas aller d’une salle à l’autre ( Bastille et Garnier n’ont pas les mêmes pentes ni les mêmes sols, et les dos des danseurs en souffrent en premier) ni passer d’un chorégraphe contemporain à un classique dans le même mois ( ce qui a été le cas encore cet hiver )

Il faudra donc prendre grand soin de cette nouvelle graine pour que, à l’instar d’un Heymann, d’un Ganio, il ne se blesse pas.  Attention, je ne le compare pas à ces deux aînés, qui, à son âge, avaient déjà un fort charisme et une technique époustouflante, ce qui n'est pas encore son cas.

 

A-t-il été nommé trop tôt?

 

Et bien, pour répondre à cette question, tout dépendra de la façon dont il sera distribué l'an prochain, les rôles qu'il aura l'opportunité de travailler dans les années qui viennent, et surtout, je le répète, la façon dont il sera " coaché".  23 ans, ce n'est pas 18 ans, et Ganio qui a été nommé à cet âge, splendide, déjà, de charisme et de technique, a hélas souffert de conditions de travail déplorables qui l'ont amené à se blesser gravement; jamais depuis, il n'a retrouvé la flamboyance de la superbe technique qu'il avait à 20 ans, même s'il reste, depuis que Nicolas Le Riche est parti, mon artiste masculin préféré pour sa sensibilité, sa grâce, cette qualité d'âme qu'il dépose sur les rôles et son partenariat attentif.

 

Cette nomination affirme donc la direction qu’Aurélie Dupont veut donner à la compagnie ; on sent donc chez elle de la volonté, et une politique de danse déjà bien construite dans sa tête. Après, à tous ceux qui prétendent grâce à Louvet avoir vu pour la première fois un prince Siegfried, on leur rit au nez ! Bassesse de courtisans qui prétendent voir ce qui est médiatiquement repris à grands cris ! Et on rit plus encore de l’inculture de ceux qui n’ont probablement jamais vu Jude, Le Riche ou Legris dans ce rôle  - ce qui en soi n'est pas grave - mais affirment découvrir un Prince exceptionnel quand il n'a été qu'une jolie promesse de Prince futur...

A noter aussi, que Louvet est de la génération école de danse " Platel" et non "Bessy".

Reste à espérer qu'elle ne laissera pas en route François Alu, premier danseur, qui possède une personnalité en scène époustouflante, une solide technique, et une générosité qui lui fait honneur; j'avais d'ailleurs écrit cet article lors de sa nomination au poste de premier danseur

Souhaitons à ce sympathique jeune homme beaucoup de bonheur dans son étoilat!

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27 décembre 2016 2 27 /12 /décembre /2016 10:15
Les cygnes et le corps de ballet : véritables stars de ce 25 décembre!

Les cygnes et le corps de ballet : véritables stars de ce 25 décembre!

Sous-titre : quand un corps de ballet inspiré nous fait aimer une production qu'on n'aimait pas depuis 32 ans!

 

Les Lac se suivent mais ne se ressemblent pas. En ce 25 décembre et malgré une grippe naissante, tout ce qui avait déplu le 22 enchante. C’est curieux, mais c’est ainsi ; les spectacles vivants varient au gré des représentations. Jamais on ne voit deux fois la même chose, quand bien même on irait tous les soirs. Le corps de ballet, magique, avait reçu en ce jour de Noël ce supplément d’âme qui signe les représentations qu’on n’oublie pas a tel point qu’on se prend à aimer cette production qu’on critique depuis 1984 à cause de ses décors, de ses costumes, et des divertissements des actes I et III qu’on a toujours trouvés bien longuets. Mais ce jour-là, la magie opère et on se prend de tendresse pour les tons fanés, le décor peint ou clos, et surtout, pour le magnifique travail d’une troupe soudée qui semble retrouver un nouveau souffle. Dans ce cadre si bien dessiné, on se rappelle alors que tout est né dans l’esprit du Prince et que, comme l’écrivait un critique allemand, « nous assistons là à une lente autodestruction d'un esprit noble. (...) En fait, ce que Noureev nous offre n'est pas un drame mais une élégie, évitant toute virtuosité et brio au profit d'une simplicité et d'un flot sans fin de lyrisme et de poésie"

La Valse, précise et enlevée n’a d’égale que le panache de la Polonaise des 16 garçons ; dans cet écrin, le pas de trois présente des solistes qui rivalisent d’esprit, de musicalité, de brio : Marine Ganio insuffle à sa danse une grâce palpitante et légère comme les ailes d’un grand papillon ; sa batterie espiègle et précise nous rappelle que cette demoiselle a de l’esprit à revendre ; à ses côtés, Eleonore Guérineau oppose à un buste et des bras déliés, une danse vif-argent dans les grands sauts ; quant à Axel Ibot, sa batterie flamboyante, ses sauts avec une belle élevation et son fulgurant manège de grands jetés en tournant s’harmonisaient parfaitement avec la virtuosité de ses deux compagnes dont le plaisir de danser était communicatif!
A l’acte II, les cygnes élégiaques, lyriques, douloureusement mélancoliques se fondaient magnifiquement à la partition de Tchaïkovsky, très bien dirigée par Vello Pahn. Les quatre petits Cygnes comme les quatre grands Cygnes sont parfaits dans leurs mouvements à la fois synchrones mais poétiques et inspirés.

A l'acte III, la czardas de Fabien Révillion et Sae Eun Park est enlevée, la danse espagnole de Boulet, Gorse, Bittencourt, Ibot, pleine de fougue, la danse napolitaine de Marine Ganio et Antoine Kirscher, pleine d’esprit.

A l'acte IV, on retrouve avec émotion les cygnes émouvants pour lesquels on est plein de compassion.

 

Que dire alors au milieu de cette perfection des rôles titres, dansés par Germain Louvet et Ludmilla Pagliero qu’on avait adorée en Kitri et en Giselle ? Qu’hélas, on n’aura vu ni un Prince Siegfried, ni une princesse ou un cygne, mais un duo incroyablement plat, qui ne raconte rien et ne fait ressentir aucune émotion. On se lasse vite d’une certaine beauté esthétique ; et les équilibres tenus à l’infini par Pagliero qui se frotte à un rôle qui n’est pas pour elle, finissent par agacer tant ils coupent sans cesse le récit qui n’est absolument pas construit. Manquant pour ce rôle cruellement de lyrisme, de cette poésie toute en finesse, la danseuse escamote tous ses petits piétinés qu’on adore dans la première variation, ou les mouvements de cou qui rappellent que la princesse redeviendra un cygne avant la fin de la nuit. Siegfried, lui, arbore un large sourire tout au long du premier acte ; il est joyeux, sautillant et aimable avec tout le château. C’est un jeune gars bien de son époque, bien dans sa tête et dans son corps, et ce n’est pas demain qu’il va aller se noyer dans le Lac ! Aussi, resterait-on cruellement sur sa faim, mais voilà, l’opéra de Paris à sa botte secrète en la personne de Karl Paquette qui sauve Noël puisque Ganio et Bullion ayant déclaré forfait pour Rothbart, c’est Karl, le sauveur qui a dansé une fois de plus Wolfgang/Rothbart, et ce pour notre plus grande joie. Il faut le voir aux petits soins pour tous, présent sur le plateau tout en s’effaçant, permettant malgré tout à l’histoire d’être racontée de bout en bout. Et l’on sort en se posant une question hautement existentielle : que fera l’opéra quand Karl partira à la retraite ?

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23 décembre 2016 5 23 /12 /décembre /2016 21:04
Karl Paquette, on l'adore!

Karl Paquette, on l'adore!

Soirée du 22 décembre

Hannah O Neill, Fabien Révillion, Karl Paquette

Je n'ai malheureusement aucune photo de ces trois artistes en scène ensemble et le regrette tellement!

 

Cette soirée très inégale était marquée par la prise de rôle de Fabien Révillion en Prince Siegfried aux côtés d’Hannah O Neill dans le rôle d’Odette/Odile, déjà vue en 2015 dans ce même rôle. Inégale parce que malgré un corps ballet en forme et heureux de danser, l’enthousiasme de l’acte I est brutalement refroidi par l’arrivée de 32 cygnes surgelés, tout droit sortis d’un camp de redressement en Sibérie, que des travaux forcés ont rendu en tous points semblables aux esclaves robotisés du Métropolis de Fritz Lang. Les 4 petits cygnes, n’ont pas été épargnés : ces pauvres automates dont les ressorts trop tendus agitent compulsivement têtes et  pieds, exécutent des mouvements étriqués et saccadés en se piétinant mutuellement dans une danse mécanique sans âme. On regrette alors douloureusement le quatuor Ould Braham, Gilbert, Froustey et Fiat de 2006, se demandant quel maître de ballet sadique a pu réduire au motif de « papier peint » ces cygnes qui sont la splendeur de ce ballet. Du massacre pur… 

Au 3ème acte, la Czarda de Séverine Westermann et Cyril Mitilian nous ramène vers la danse : ils sont très énergiquement et joliment entourés et nous aide à supporter les chorégraphies plates qui se succèdent. Le reste paraît un peu long malgré la conviction avec laquelle dansent les artistes et les solistes. Le divertissement bavard se clôt par la gracieuse et très féminine danse des fiancées.

 

Karl Paquette,  Rothbart ou Wolfgang, qui connaît le rôle sur le bout de la cape,  apporte mille détails à ce personnage à l’ombre machiavélique. Tour à tour inquiétant, féroce, brutal, énigmatique, il manipule un virginal prince Siegfried  qui s’efforce de plaire à son précepteur sans comprendre – ou oser comprendre- ce que Wolfgang attend de lui. Dans leur premier duo d’une intimité troublante, ce jeune élève appliqué au regard éloquent, s’efforce d’apprendre une chorégraphie dont le sens l’effraie. Pudique, modeste, assumant mal son titre de Prince et ses désirs profonds, il se soumet facilement aux autres. Dans le pas de deux suivant, dérouté par la rudesse avec laquelle Wolfgang le projette sur le sol, il lève douloureusement la tête sans se révolter, confiant à son regard candide une interrogation poignante. Aussi, n’est-on pas le moins du monde étonné que, lorsqu’il rencontre la princesse Odette, il se plie aux désirs de celle-ci et lui  offre spontanément une promesse d’amour éternel.

Le Prince Siegfried  de Fabien Révillion est un cœur tendre, touchant par son inexpérience. On avait, les saisons passées, aimé son Benvolio  bon camarade, qui donnait une réplique tempéré à un Roméo trop impulsif ou à un Mercutio trop bagarreur ; on avait été émue par l’homme blessé du Chant de la Terre, tout en quête d’absolu, qui se heurte  à la rudesse du monde ; on avait apprécié la danse ciselée et raffinée de son Des Grieux, dans la Dame aux camélias. Mais surtout, on avait pleuré son Lenski, jeune poète de 20 ans blessé à vif par la futile Olga mais plus encore par son ami Onéguine, détestable ce soir là qui le pousse à bout et provoquera une mort d’une injustice insoutenable. On adore son prince Siegfried, humain, vulnérable, pas armé pour le monde dans lequel il vit.

Tout au long des 4 actes, Fabien Révillion insuffle au Prince Siegfried candeur, rêverie, innocence ou passion. Il est toujours juste. La construction du personnage, intelligente et  tout en finesse, est soutenue par une danse tour à tour modeste (1ere variation), spontanée et puissante (acte III) ou bien douloureusement lyrique ( acte IV) Partenaire attentif, chaque pas ou geste exprimant un sentiment, une pensée, une émotion. Un travail d’interprète remarquable et parfaitement abouti, servi par une technique sûre qui devient flamboyante quand c’est nécessaire.

Avec Bézard, chant de la terre, Neumeier

Avec Bézard, chant de la terre, Neumeier

Pour son deuxième Lac, la charismatique Hannah O Neill, à la danse belle comme un matin de givre, est moins convaincante que l’an passé : à vouloir devenir une Odette toute de douceur et de fragilité, sa danse perd en sincérité. Être une princesse Leia lui allait mieux. Dans l’acte III, renonçant à la séduction mutine de 2015, elle s’essaie à une perfidie mesurée. Ce compromis ne convainc pas non plus. Heureusement, la danseuse parvient enfin au IVème acte à trouver le ton juste, et l’osmose avec son partenaire devient totale : les deux nous offrent un ultime pas de deux déchirant de douleur et de larmes au milieu de cygnes qui tout à coup, retrouvent un peu d’âme eux aussi.

Découvrir le Siegfried de Fabien Révillion a été un vrai cadeau de Noël.

Ainsi, malgré l’imperfection de cette soirée, emporte-t-on à la maison un trio d’artistes qui nous ont raconté à trois voix l’un des contes à double fond les plus tragiques qui soient et on les en remercie du fond du cœur.

Hannah O Neil, avec Y Bittencourt, 2015

Hannah O Neil, avec Y Bittencourt, 2015

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