A la représentation du 28 décembre, la magie du spectacle vivant a enchanté toute la salle, aussi bien les petits que les grands, car le public ce soir là était en partie familial. Quand la joie de danser anime tout un plateau, surtout pour un spectacle comme celui là, tout devient magique et le public retrouve son regard d’enfant, émerveillé. Quel magnifique cadeau les artistes nous ont fait là, soutenu par un orchestre au diapason !
Cela commence dès le lever de rideau sur une rue un peu sombre et brumeuse, animée par les silhouettes de la vendeuse de marron chaud qui grelotte sous son châle, et du joueur d’orgue de barbarie qui compte sur la générosité des passants. Les invités arrivent, on dit aux enfants de bien se tenir. Le décor est installé. Dans la grande maison bourgeoise, les adultes adoptent une bonne humeur de bon ton imposé par les conventions de leur statu social.
Noureev a planté le décor de son Casse-Noisette à la fin du 19ème siècle, date à laquelle
Tchaikowsky a composé la musique. Les enfants s’ennuieraient ferme si un personnage étrange, un bandeau sur l’œil, ne faisait tout à coup irruption dans ce grand salon ; la fantaisie qu’il apporte avec lui donne vie à cette soirée de Noël et les enfants de l’école de danse s’en sont donnés à cœur joie.
Comment peut-on dire que les ballets de Noureev sont à bout de souffle quand ils contiennent autant de poésie et de sensibilité, portés sur chaque détail ?
A eux seuls, les décors et les costumes, (légèrement modifiés), traduisent sa pensée : une bourgeoisie empesée dans ses principes, des enfants plein de vie qui auraient passé une soirée bien ennuyeuse sans l’arrivée de Drosselmeyer et de ses créations aussi fascinantes qu’inquiétantes.
Dès le premier acte, Marine Ganio affirme des qualités exceptionnelles : musicalité, aisance, grâce, précision ; c’est une enfant sensible, aimante et généreuse, pleine de tendresse pour Casse-Noisette dont les adultes raillent la laideur, qui devient courageuse face à l’armée des rats qui attaquent son Casse-Noisette la nuit quand tout le monde a disparu. Sa danse traduit tous ses sentiments avec une telle facilité qu’on oublie qu'elle danse et qu'on suit son personnage qui évolue tout au long du ballet : adolescente à peine sortie de l’enfance, elle s’épanouit en une jeune femme amoureuse sous la guidance de Drosselmeyer-Prince. Et là, autre bonheur : celui de voir Marc Moreau, qu’on avait beaucoup aimé dans le Lac l’an passé, s’en donner lui aussi à cœur joie, pour composer cet oncle fantasque, au grand cœur, puis le double sublimé surgi de l’imagination de sa nièce, un prince initiatique empli d’ardeur amoureuse.
Animés du même souffle, de la même, ardeur, de la même joie à danser, les pas de deux de ces deux artistes expriment la jeunesse et les battements d’un cœur qui aime pour la première fois. Marc Moreau exploite toute la palette de son registre expressif et technique. Elégance, bel élévation dans les sauts, batterie incisive, vivacité, et une joie à danser qui se communique à tout le plateau.
Le premier acte passe avec une rapidité déconcertante et s’achève magiquement sur les Flocons qui étaient une perfection. Là encore, la joie de danser illuminait tous les visages devant ce grand pont inspiré de celui Prague aux statues angéliques derrière lequel apparaît la forêt. Les tutus scintillants argents et blancs, les diadèmes, la neige qui tombe, toute cette poésie slave est portée par l’une des plus belles pages de Tchaikowsky.
Viendront au deuxième acte les craintes de la transgression, car Noureev s’est inspiré des analyses psychanalytique des contes, sans doute déjà pour comprendre sa propre psyché puis ensuite, pour donner sens et profondeur et une lecture personnelle à ses ballets : les monstrueuses chauve-souris, explique le Prince à Clara, ne sont rien d’autre que les parents, la famille, auxquels les crainte de la jeune fille qui devient femme ont donné cette allure horrifique ; elle est rassurée ; et ceux-ci peuvent alors réapparaitre, déguisés et inoffensifs, pour offrir un moment de divertissement fantaisiste. Roxane Stojanov et Antonio Conforti nous offre un magnifique duo sur une page musicale pleine de douceur et de mystère ; Roxane déroule ses arabesques et ses développés comme un grand serpent, elle s’enroule à son partenaire qui la met généreusement en valeur et le duo hypnotise toute la salle.
Dans la Valse des fleurs, l'énergie des garçons parfois en groupe de 4, donne de l'éclat et de la fougue à la partition tout en formant un parfait contrepoint à la danse ciselée de leurs partenaires féminines.
Le dernier pas de deux, redoutable, fut animé par le même plaisir de danser : Marine Ganio apparut presque irréelle au son du célesta, et Marc Moreau prit son envol dans le dernier grand manège.
Pour finir, il faut parler de l'orchestre et de l'exceptionnelle chef d'orchestre, Andrea Quinn, qui est spécialiste de la musique de ballet. Elle fait sonner l'orchestre avec une énergie, une fougue extraordinaire, donne mille couleurs aux cordes, des phrasés onctueux ou percutants, et la partition se renouvèle avec magie ( à part un piccolo qui n'a rien compris à ce qu'il devait jouer et un tuba qui n'a pas digéré son repas de Noël et a encore des hocquets) La chef applaudissait même les artistes entre deux numéros avec le public.
Public qui a fait une vraie ovation à l'ensemble des artistes.
Je suis vraiment ravie d’avoir retrouvé la compagnie en pleine forme, et je remercie tous les artistes pour ce moment de pure poésie, de magie, si généreusement offert.