Germain Louvet nommé étoile
La nouvelle flottait dans l’air depuis quelque temps puisque Ariane Bavelier avait platement -mais l’annonce n’en était pas mon claire pour autant - titré son papier sur le Lac du 25 décembre : « Un Prince est né » anticipant donc la nomination de ce jeune danseur de 23 ans, tout fraîchement promu premier danseur.
La première remarque que l’on peut faire, c’est que Dame Dupont a du caractère ; comme un Noureev autrefois, elle utilise la hiérarchie et la contourne en même temps ! Elle nomme bien un premier danseur, donc elle la respecte, mais celui-ci n’a pas encore pris ses fonctions, donc elle la contourne ! Il y a eu des antécédents à ce genre de nomination : Guillem avec Noureev par exemple. Héhé ! Voilà ce qui s’appelle être un capitaine !
La deuxième, c’est qu’elle veut absolument se démarquer des directeurs et directrices qui l’ont précédée : pour former sa nouvelle équipe, elle va donc puiser dans les nouveaux talents émergeant et non dans les premiers danseurs déjà en place. Elle passe donc allégrement au dessus des Alu, des Marchand et des Raveau qui portent ce titre depuis quelques saisons et attendent….
Louvet, jeune sujet fraichement promu premier danseur au concours de novembre dernier, correspond à ce qu’on appelle un danseur noble, dans la lignée d’un Mathieu Ganio ou d’un JG Bart. Physiquement, ils sont longilignes, ont des lignes infinies, et un air de noblesse qui signe les princes des ballets classiques
Dame Dupont a déclaré vouloir nommer les étoiles jeunes, ce qui est normal, puisque les danseurs sont des sportifs de haut niveau qui atteignent leur maturité technique autour de 20-25 ans environ ; elle-même, a-t-elle déclaré, n’était pas prête quand elle a été nommée ; cette femme courageuse, qui a dansé après avoir subi une opération du genou, a travaillé toute sa vie, et on a vu à quel point sa personnalité artistique s’est développée tout au long de sa carrière ; si on l'a peu aimée dans certains rôles, à cause de son côté trop sage, son Ombre des Mirages ou sa Sylphide restent nos plus beaux souvenirs. Elle sait qu'il faut du temps pour devenir une étoile complète ; on peut l'être techniquement à 20 sans l'être artistiquement. Etre promu étoile après 28 ans n'a pas de sens pour elle ; et pourtant, on ne compte pas le nombre d'étoiles que B Lefèvre a nommées après cet âge. Pourtant, les danseurs savent qu'on ne peut plus progresser techniquement, et aborder les grands rôles après cet âge si on ne les a pas déjà fait siens avant devient plus difficile, le corps ne les ayant pas digérés, mémorisés, intégrés. Retravailler un grand rôle abordé jeune puis dansé des dizaines de fois ne pose pas de problème à 35 ans alors qu'il en pose si c'est à cet âge là qu'on l'aborde pour la première fois. Alice Renavand, par exemple, est l'exemple type de l'étoile nommée trop tard ; après une série de Don Quichotte, elle renonça purement et simplement au classique.... du gâchis pur. C'est ainsi qu'on finit avec des étoiles - hors karl Paquette - qui dès 32 ans, ne dansent plus que du contemporain. Quand on sait que Margot Fonteyn dansait encore Juliette à 57 ans on Pontois la Belle au bois dormant à près de 50 ans...
La troisième, c’est qu’elle lance un message clair : retour du classique à l’ONP !
Mais, mais, mais, me direz vous ? Et la saison à venir ? Il n’y a qu’un Noureev et la fille mal Gardée, avec entre les deux un Onéguine ?
Cette saison a sans doute été dessinée en partie par Millepied et en porte encore sa marque ; Aurélie Dupont n’a sans doute pu faire que quelques ajustements ; et c’est ce qui explique que l’on trouve une œuvre de Millepied l’an prochain ; les plannings des artistes se font des années à l’avance et pour les chorégraphes, c’est la même chose ; Dame Dupont n’a sans doute pas pu créer la saison idéale qui paraîtra vraisemblablement pour 2017/2018. Car être directeur veut dire passer une bonne partie de sa journée à téléphoner pour accorder les plannings... En nommant un danseur " noble", elle annonce la couleur de ce que sera ses futures saisons.
Ce Germain Louvet, alors, c’est bien, sa nomination ?
Nous avons vu son Siegfried le 25 (prise de rôle), qui possède des qualités de danse « à la française » indéniables ; sa variation mélancolique était superbe techniquement parlant. Mais à 23 ans, sans jamais avoir encore abordé de grands rôles, son personnage était bien lisse ! La personnalité n’a pas encore éclos ; il faut donc espérer que ce jeune danseur va pouvoir au gré des années qui viennent renforcer sa technique encore un peu fragile – il a encore quelques années pour cela – mais surtout aborder suffisamment de personnages pour que son potentiel artistique puisse éclore ; pour cela, il lui faudra un bon coaching et une distribution intelligente qui ne le fera pas aller d’une salle à l’autre ( Bastille et Garnier n’ont pas les mêmes pentes ni les mêmes sols, et les dos des danseurs en souffrent en premier) ni passer d’un chorégraphe contemporain à un classique dans le même mois ( ce qui a été le cas encore cet hiver )
Il faudra donc prendre grand soin de cette nouvelle graine pour que, à l’instar d’un Heymann, d’un Ganio, il ne se blesse pas. Attention, je ne le compare pas à ces deux aînés, qui, à son âge, avaient déjà un fort charisme et une technique époustouflante, ce qui n'est pas encore son cas.
A-t-il été nommé trop tôt?
Et bien, pour répondre à cette question, tout dépendra de la façon dont il sera distribué l'an prochain, les rôles qu'il aura l'opportunité de travailler dans les années qui viennent, et surtout, je le répète, la façon dont il sera " coaché". 23 ans, ce n'est pas 18 ans, et Ganio qui a été nommé à cet âge, splendide, déjà, de charisme et de technique, a hélas souffert de conditions de travail déplorables qui l'ont amené à se blesser gravement; jamais depuis, il n'a retrouvé la flamboyance de la superbe technique qu'il avait à 20 ans, même s'il reste, depuis que Nicolas Le Riche est parti, mon artiste masculin préféré pour sa sensibilité, sa grâce, cette qualité d'âme qu'il dépose sur les rôles et son partenariat attentif.
Cette nomination affirme donc la direction qu’Aurélie Dupont veut donner à la compagnie ; on sent donc chez elle de la volonté, et une politique de danse déjà bien construite dans sa tête. Après, à tous ceux qui prétendent grâce à Louvet avoir vu pour la première fois un prince Siegfried, on leur rit au nez ! Bassesse de courtisans qui prétendent voir ce qui est médiatiquement repris à grands cris ! Et on rit plus encore de l’inculture de ceux qui n’ont probablement jamais vu Jude, Le Riche ou Legris dans ce rôle - ce qui en soi n'est pas grave - mais affirment découvrir un Prince exceptionnel quand il n'a été qu'une jolie promesse de Prince futur...
A noter aussi, que Louvet est de la génération école de danse " Platel" et non "Bessy".
Reste à espérer qu'elle ne laissera pas en route François Alu, premier danseur, qui possède une personnalité en scène époustouflante, une solide technique, et une générosité qui lui fait honneur; j'avais d'ailleurs écrit cet article lors de sa nomination au poste de premier danseur
Souhaitons à ce sympathique jeune homme beaucoup de bonheur dans son étoilat!