Ce Lac du 25 décembre a été porté par des artistes soucieux de donner de la joie à un public très cosmopolite, très chaleureux avec pas mal d’enfants : comme cela fait du bien d’entendre des applaudissements pour tout et rien, des bravos criés, de l’enthousiasme !
La direction de Vello Pähn, a soulevé un tonnerre d’applaudissements bien mérité en montant sur scène, même s’il a du fil à retordre avec les cuivres (toujours eux) qui nous ont gratifiés de quelques couacs qui ont fait rire les trois personnes assises à côté de moi (anglaises ou américaines, je ne sais pas, ils pouffaient en se regardant !) La partition était enlevée, nuancée avec goût : l’écouter valait déjà le déplacement.
Les Cygnes lyriques, musicaux, étaient les stars de cette matinée : ensemble sans que jamais leur danse ne soit raide ou figée, comme je l’ai vu certaines fois. Au contraire, les bras, les cous, les doigts, les dos, délicats, pleins de douleur et d’humilité, semblaient animés par un seul souffle. Je regardais les danseuses, pour une fois toutes de tailles différentes ; c’est quelque chose de voir les grandes se plier plus que les petites qui doivent rester plus redressées quand elles marchent tête baissée, par exemple ! Mais l’effet visuel est poignant.
Le reste du corps de ballet était plaisant à voir, même si les garçons n’ont pas l’abattage des filles. C’était, par exemple, très visible dans la danse des Coupes, qui manquait de fougue, mais dans laquelle se remarquait particulièrement la danse incisive et racée de Chun-Wing Lam au magnifique port de tête.
Le Pas de trois du premier acte était enlevé. S’y distinguait particulièrement Inès Mcintosh spirituelle à souhait, avec des pointes d'acier, mais des bras délicates et raffinés, et un buste déliés. Un enchantement,
Les danses du 3e acte inégales, un peu ternes, manquaient un peu de flamme hormis la Czardas menée avec conviction, grâce, élégance et tempérament par une fois encore Mcintosh et Kirscher.
Le trio, composé de Marc Moreau, Myriam Ould Braham, Jack Gasztowtt, a bien des qualités ; mais il est dommage que Wolfgang soit dansé en force pour montrer la noirceur du précepteur : c’est oublier que ce précepteur qui apparait comme un sorcier dans la vision du prince, est plus subtil que le vulgaire « méchant » d'un mauvais comics. Ces derniers temps, à l’opéra, les Wolfgang redoublent de « méchanceté » ou de « perversité », mais ils sont à côté du personnage, très machiavélique qui souffle le chaud et le froid sur un Prince à la fois fasciné et décontenancé, mais surtout si peu concerné par la vie. Il faudra que l’artiste apprenne à « jouer » car son visage pour l’instant n’a qu’une seule expression tout au long du ballet qu’il soit Wolfgang ou Rothbart. Cependant, au 3e acte, sa variation rapide, percutante, avec du ballon offre des sauts tranchants comme des sabres et des tours en l'air plein de fougue. On y lit la joie d’avoir triompher de la naïveté du Prince. Tout change quand un personnage vit !
Le Prince de Marc Moreau, humble et altier tout à la fois, doté d’une belle technique, se montre un peu timide au premier acte, puis il prend confiance et s’épanouit peu à peu. Sa variation mélancolique du 1er acte offre un beau moment hors temps. Il est emporté par son rêve qui prend vie au second acte. Au 3e acte, la froideur du cygne Noir au 3e le surprend : où est passée la douce princesse de ses rêves ? Encore un peu, il découvrirait la supercherie, ma sa mère tient tellement à le marier, que dans la précipitation, il dit oui à ce cygne sans trop réfléchir, peut-être pour éviter d’avoir à choisir parmi toutes les princesses dont il ne veut pas. C’est la première fois que je vois cette proposition et j’ai beaucoup aimé : voilà un prince qui ne « tombe pas dans le panneau » mais a des doutes tout en se laissant envoûter par la beauté du Cygne Noir.
À ses côtés, Myriam Ould Braham offre un cygne d’une grande douceur, à la danse ciselée, poétique, sans que jamais la danseuse ne sombre dans la « démonstration». Elle est reine avant d’être princesse et se soucie plus de ses cygnes que d’elle-même. C’est pour les libérer qu’elle espère l’amour du Prince sincère. Elle, elle est résignée à son sort. Son Cygne Noir, moins convaincant, offre un récit linéaire sans relief ; mais la danse est superbe alors on se laisse charmer.
Au quatrième acte, l’émotion devient poignante dans la tragédie finale qui se précipite tout à coup. Moreau s’y révèle tout d’un coup d’une puissance émotionnelle formidable. Le trio noyé dans la brume, qui a trouvé un souffle commun, est déchirant. Les cygnes, lyriques à souhait. Le jeu scénique, soutenu par un orchestre puissant, l’emporte sur la recherche de perfection technique, on est comblé et submergé par l’émotion.
Merci à tous les artistes !