Comme tous les artistes atypiques, Sylvie Guillem peut susciter les sentiments les plus contradictoires. On peut être bouleversé par ses interprétations comme la trouver exaspérante. Parfois, on a la curieuse impression d'assister à un monologue où la dame ne se préoccupe plus de savoir si le public l'écoute ou la suit, parce que seul ce qu'elle a à dire est important... peu importe que l'on adhère ou pas...
Le blog qui ne date que 2006 ne relate pas tous les rendez vous, réussis ou ratés, toujours attendus impatiemment mais où la rencontre n’a pas toujours eu lieu. Les pires, son film evidentia, que j’ai sifflé lorsqu’il fut donné à un entracte il y a longtemps, Carmen, Eonagata, par exemple, mais qui côtoient les sublimes, tels Manon, Boléro, Appartement, La Luna, Sissi impératrice, Aurore, Odette/Odile, Raymonda, Somewhere, et tant d’autres… : au fond, dans ces rencontres, seul l’imprévisible est vraiment au rendez-vous !
Dimanche a été une rencontre parfaitement ratée. Pour se dire adieux, c’est un peu frustrant mais au fond, est-ce si important quand la mémoire regorge de moments uniques, de frémissements artistiques jamais égalés ?
Dire que je suis sortie exaspérée du Théâtre des Champs Elysées est un euphémisme.
Il y a déjà eu le problème de l’achat de la place, qu’il a fallu arracher au vol, et qui a coûté aussi chère a elle toute seule que mon abonnement pour voir quatre spectacles l’an prochain à l’ONP…
Puis il y a l’accueil dans le hall, par les stands bien dans l’air du temps, dont le but est sans doute que vous vous sentiez coupable si vous passez devant sans vous y arrêter.
Il y a ensuite le prix du programme auquel on renonce…. Tant pis ! On se rabattra à la maison sur les anciens…
Et puis le rideau se lève, et ça commence plutôt mal… la sono est mal réglée ; c’est trop fort ; pourtant, mes tympans ne sont plus tous neufs mais là, c’est pénible…
Techne d’ Akram Khan reste pour moi l’œuvre qui symbolise le rendez-vous raté de cette soirée. Ça aurait pu être un grand, fort, émouvant moment… mais ça a fait « pouf » et puis plus rien.
En grec, techne désigne l’art à la fois comme outil et comme réalisation. Akram Khan a bien compris que Guillem a œuvré avec l’acharnement qu’on lui connaît, toute sa vie, pour acquérir une liberté complète, totale de son corps, qui lui répond aux doigts et à l’œil… elle n’a jamais ménagé sa peine, elle a exigé de son corps plus qu’aucun autre ; certes, les dispositions étaient là, mais cette perfectionniste a toujours travaillé avec une exigence unique et sa capacité de travail est unique elle aussi. Donc le titre est merveilleusement choisi.
Ce techne a des relents Wigmanien.
Mari Wigman, c’est cette danseuse expressionniste allemande dont tout le monde aujourd’hui connaît la Sorcière grâce à youtube.
Sylvie l’a d’ailleurs dansé avec talent, on en voit un extrait dans un des documentaires qui lui est consacré.
Sur la scène, une sorcière ou une chamane exécute une danse autour d’un arbre en fil de fer – et là, on pense au génial décorateur de Martha Graham, Isamu Noguchi. La danse commence pareillement au sol, et est toute en expressivité. On assiste à un rituel, quelque chose de mystique palpite. La nature semble presque palpable. Le seul souci, c’est qu’il n’y a pas vraiment de progression, le langage tourne vite en rond et s’essouffle rapidement et là, commence à monter le sentiment que Guillem va chercher à prouver à son public que oui, elle a 50 ans, « mais regardez ce que je suis encore capable de faire »
Si bien que la forme, - la prouesse technique, en mettre « plein la vue » à son public - va prendre le pied sur le sens profond de cette œuvre qui aurait pu fasciner.
Dans Techne, avec sa perruque brune aux cheveux mal taillés, ses grandes guiboles toutes maigres qui sortent de sa robe, le personnage qui apparaît au début intrigue, on veut en savoir plus…. quel est cet être qui sort de la nature et qui, tels les chamanes, devient l'une des créatures de ce monde si étrange? Est-ce après une fin du monde? Est ce au commencement de tout ? Est-ce une sorte de Sacre du printemps mais d'un style nouveau? Mais ce ne sera pas le cas, on ne saura rien d'autre, car la TECHNE-IQUE va l’emporter sur l’expression artistique…. Dommage…. Un grand moment de poésie ratée…
Suit ensuite pour moi, le pire de l’après midi ; un duo plan-plan pépère de Forsythe… encore un qui veillit mal… dire que j’ai été une de ses fans dans les années 1980 ! Et bien, cette époque est révolue, ces dernières créations m’ont fait bailler d’ennui et ce duo m’a fait glousser à plus d’une reprise ; je serai bien sortie prendre l’air si je n’avais pas du déranger mes voisins pour revenir ensuite voir le second duo.
A noter pour la petite histoire, cette création de 2015 m’a rappelé mes cours de contemporain avec Mohamed Ahmada au centre du marais dans les années….1980 !
Suivait Here et After, de Maliphant, cette fois-ci
Je l’aime bien pourtant celui là…
Mais là, à nouveau, une œuvre bancale, mal fichue, qui une fois encore me rappelle mes vieux cours de danse contemporaine….
Ils ont donc si peu d’idées les chorégraphes contents pour rien ???
Avec deux corps et deux techniques aussi opposées, n’aurait il été pas plus judicieux d’exploiter ces différences, plutôt que de faire faire la même chose à Sylvie et à sa partenaire, soit en miroir, soit exactement de la même façon ?
On ne peut que comparer, et au désavantage, bien sûr de l’autre, et ainsi, on n’entre jamais dans l’œuvre
Et puis les carreaux qui s’éclairent façon Mickael Jackson dans Billie Jean, (encore les années 1980) bon, pas d’autres idées, messieurs les scénographes ???
Arrivait ENFIN, Bye, que j’adore
Mats Ek ne m’a JAMAIS déçue, non, c’est impossible, il sait mettre en scène l’humain, avec une tendresse inégalée, même lorsque le personnage est face à ses contradictions, sa lâcheté, sa solitude, son apathie, son petit côté mesquin ou misérable… il n'a pas son pareil pour faire ressentir de l'empathie pour ces personnages anonymes et leurs petites ou grandes souffrances dans leur vie quotidienne, banale, mais au fond si humaines.
Alors pourquoi ça n’a pas marché là non plus ???
Parce que j’ai eu le sentiment que Sylvie voulait prouver et non pas qu’elle dansait…
Elle dit elle-même dans une interview qu’elle est obsédée par les détails, encore plus qu’avant et que surtout elle veut rester au même niveau qu’avant… et au fond, c’est sans doute cela que j’ai ressenti tout du long
La technique avant le reste….
Alors oui, c’est éblouissant de virtuosité, mais où est passé l’âme ?
Comment croire aux faiblesses de ce personnage alors qu’on a sur scène une guerrière, une combattante qui exige que son corps dise « Non, je ne lâche rien de ma technique ! »
La maîtrise au final, s’est faite au détriment de ce petit supplément d’âme qui fait toute la différence….
Pour les applaudissements, je n’ai tenu que quarante secondes et je me suis ensuite enfuie en courant ; autant j’ai ressenti l’an dernièr pour Ciaravola ou Le Riche, une chaleur, un amour sincère, et j’ai pu me fondre à toute la salle, pour ne faire qu’un…
Là, beaucoup de cirque…. Sylvie mérite pourtant mieux.
Suis-je rentrée déçue ? Pas vraiment, parce que depuis Eonagata, je n’avais plus vraiment d’attente, je voulais juste être là, dimanche, pour lui dire Bye, je l’ai fait
Pour le reste, et bien, ma mémoire me la rejouera encore de nombreuses années. Merci Sylvie !