Suite aujourd'hui!
Je voudrais me plonger dans mes souvenirs de danse pour tenter d'expliquer l'originalité, le génie de Sylvie Guillem.
Sa technique époustouflante, sa souplesse phénoménale, seuls, sont déjà des points de repère, mais cela n'en ferait pas une artiste hors norme s'il n'y avait pas autre chose. Qu'est ce alors que cet autre chose?
Son intelligence!
Son intelligence mis au service de sa technique et de sa virtuosité!
Guillem ne danse pas les rôles simplement pour les incarner. A chaque fois, c'est un défi immense : elle réfléchit, elle écoute la musique, et au final, elle donne une vision du personnage totalement inattendu.
Ainsi, le rôle d'Aurore de la Belle au bois dormant. Ce rôle, je l'ai vu de très nombreuses fois par des danseuses exceptionnelles comme Noella POntois. Et bien,quand je vis Guillem le danser, j'ai été surprise, amusée, éblouié, émue, déroutée, emportée, au final.
Aurore est une princesse de 16 ans, qui refuse les princes choisis par ses parents, se pique pour accomplir la malédiction , s'endort 100 ans, est réveillé par un prince.
Ce ballet énumère les moments virtuoses : l'entrée, pas évidente, puisque Aurore est attendue par tout le public depuis 30 minutes qui retient sou souffle dès qu'elle arrive, le célèbre adage à la rose, au premier acte, tout en équilibres et en développé seconde, la cabalette, juste avant d'être piquée, pleine de retenue, de grâce, d'élégance, puis de vivacité ( succession de pas à s'en emmêler les jambes). Les variations de l'acte deux sont tout en poésie, puisque le prince va découvrir la princesse grâce à la Fee Lilas, dans une vision de rêve, et puis, la merveilleuse variation du troisième acte, et les pas de deux, éblouissants! Le rôle d'Aurore est fabuleux pour une danseuse car il commence à l'adolescence et s'épanouit " femme".
Qu'en fait Guillem? A Bastille, la dernière fois, ( et dieu sait qu'elle a été critiquée) elle a revu : les tempi, (elle les a vraiment changé par rapport à ses collègues danseurs, notamment la fin de la caballet, dansé deux fois plus vite, ce qui exige une grande maitrise, une grande sureté, car déjà, dansé lentement, c'est " casse cou", mais là, cela relève de l'exploit. Et pourtant, seuls les balletomannes peuvent vraiment saisir à ce moment je pense, le défi relevé par Guillem, car elle le faisait sans effort, comme en s'amusant!
Elle a aussi changé des accessoires, et la conception du personnage :
outre à certains moments, un tempo excessivement rapide et inattendu, elle n'a pas voulu de bouquet de fleurs tendu par maléfique et dans lequel serait dissimulé le fuseau, comme le voulait Noureev, mais un fuseau, tout court!
Quand au personnage, elle incarne comme le veut le rôle , la lègéreté, la grâce, la fraicheur, mais pas "l'innocence ou inexpérience d'une jeune princesse ( une peu niaise)" l'espièglerie ( ce que je n'avais jamais jamais vu dans le rôle!) et aussi assurance : Aurore, vu par Guillem, sait déjà ce qu'elle veut!
Du jamais vu non plus, car souvent les danseuses interprètent Aurore comme une jeune fille un peu timide, qui s'en remet encore à ses parents : et c'était merveilleux, car le rôle d'Aurore, irrigué par une pensée puissante et intelligente, une technique sûre, une interprétation originale, en était tout vivifié, tout rafraichit!
Quand Guillem se donne tout entière à un rôle, c'est inoubliable, et toutes les autres interprétations qu'on a vu ne palissent pas en comparaison, mais s'éclairent autrement!
Même chose pour sa conception du cygne noir : toutes les danseuses le dansent " maléfique". Le cygne noir est perfide et séduit "mauvaisement" le prince.
Pas avec Guillem : son cygne noir est facétieux, séduisant dans la légereté, et se joue avec délice et ironie de ce prince perdu dans ses rêves : et ça fonctionne à merveille!
Guillem dit deux choses :
" les grands rôles du répertoire classique vont avoir besoin de danseurs sacrément intelligents dans les décénies à venir s'ils ne veulent pas finir aux oubliettes!"
et " quand vous finissez par trouvez Giselle sotte, quand vous en avez assez de danser une cruche sur l'épaule comme Nikya, il faut alors aller voir ailleurs!"
Ce qu'elle fit : Béjart, dans sissi impératrice anarchique, lui offre un rôle d'impératrice un peu folle, qui danse aux confins de la névrose. Tout commence en crinoline, et s'achève dans le drame.
Puissant et magnifique!
Là, j'ai hate de la découvrir dans les pièces de Maliphant, chorégraphe de génie qui mèle capoéira, yoga, art martial, techniques de danses au pluriel...
Elle va encore me surprendre, et à coup sûr, m'emporter!
Merci à elle!
a venir :
Sylvie Guillem ( 3) livre, dvd, articles, ou cassette video sur Sylvie Guillem
Guillem vu par elle même
Guillem et Rudolph Noureev.
A lire : Sylvie Guillem ( Portrait)