Le train bleu –
Argument de Cocteau/
Chorégraphie de Nijinska/
Rideau de scène : Picasso/
Costume de Chanel/
Musique de Mihlaud
Que de monde rassemblé pour ce ballet créé en 1924 !
J’avais réussi il y a quelques années à me le procurer en DVD
Quelle déception ! J’avais trouvé ce ballet bavard et inintéressant
Et puis, l’autre jour, comme je préparais des cours autour du Step in the street, de Martha Graham, extrait de Chronicles, et ce afin d’illustrer la crise de 1929, et les sans logis, je me suis dit que proposer à l’analyse une œuvre à l’opposé, parfait reflet des années folles, serait sûrement très enrichissant !
J’ai donc revu le Train Bleu
Et bien, je me suis bien amusée !
Voilà l’art : tout dépend de notre état d’esprit et aussi de ce que l’on s’est préparé à voir !
En visionnant le Train bleu la première fois, j’avais une attente incroyablement forte : pensez donc, Cocteau, Chanel, Nijinska… je m’attendais à l’un de ces chefs d’œuvres qui révèlent ce qu’est la danse… son essence, même !
Naïve que je suis, cette œuvre là n’existe pas !
Mais revenons à notre Train.
Le Train bleu, c’est d’abord ce nom mythique qui emporte l’imaginaire vers la côté d’Azur…
Le train a été créé pour relier l’Angleterre à la Côté d’azur, d'où une véritable petite communauté anglaise à cette époque sur tout ce littoral… de ce nom, Train bleu, il ne reste que le triste restaurant de la gare de Lyon, témoin d dérisoire e ce prodigieux passé…
Le Train Bleu, c’est aussi les riches industriels se faisant construire à flan de falaise de superbes villas qu’ils déserteront au moment de la grande crise de 1929… ( le domaine du Rayol est l’une de ces anciennes bâtisses…)
C’est Colette écrivant dans sa retraite au soleil, c’est les Ballets russes à Monte Carlo…
C’est Isadora Duncan paradant en voiture, sa longue écharpe flottant au vent …
C’est Chanel lançant la mode du bronzage, et des bains de mer.
C’est les grands hôtels, les casinos, les voitures décapotables qui filent entre Nice et Monte Carlo
C’est Matisse, Picasso, pourchassant la couleur, la lumière…
Cocteau, ce touche à tout aux milles facettes et facéties s’empare de cette société d’après guerre qui aspire à s’amuser, et qui a créé notre société d’aujourd’hui : on bronze, on fait du sport, on parade, on minaude, on exibe son beau corps musclé et sa jeunesse, on flirte… et en secret, on se compare les uns aux autres… mais on immortalise le tout par des photos pour montrer notre belle vie !
A travers quatre personnages – beau gosse, Perlouse, la championne de tennis, le golfeur, et tout un escadron de jolies filles et de beaux garçons en maillot de bain – on croirait voir une pub pour le club med !- est présentée cette société du « tape à l’œil », de l’image, de l’argent flambé, de l’apparence qui est croquée en quelques esquisses irrésistibles, drôles et caustiques !
Dans le dernier tableau, il faut voir la championne de tennis et le golfeur se battre à coup de club et de raquette, tout en prenant la pause avec sourire jusqu’aux dents pour les photos qui paraîtront dans le journal du lendemain, puis se ré-empoigner aussitôt la photo terminée
Les cabines de bain sont très « Cocteau » : on y entre, on en sort, on s’y cache, on y fait des farces, on y emprisonne ceux dont on veut se débarrasser, mais on peut en sortir par le haut, se faire des coucou, se saluer, espionner… elles servent à tout ! Et éventuellement à y enfiler de magnifiques peignoirs de bain pour parader sur la plage !
On imagine le soir toute cette société, s’engouffrant dans des décapotables et partir au casino boire des fontaines de champagne et y brûler encore plus d’argent.
Les personnages sont grotesques, drôles, mais si contemporains en même temps !!!
Dans la version que j’ai – qu’on doit pouvoir trouver dans toute bonne dvdtèque de ville !- il y a N Leriche, alors tout jeune, C Vayer, irrésistible, - quelle actrice !!! – Laurent Quéval, et E Maurin, délicieuse en Perlouse !
La musique tonitruante de Darius Milhaud déverse son tohu-bohu sans queue ni tête sur cette société superficielle, frivole, qui n’a qu’une chose en tête : s’amuser, et savoir si son voisin a plus que soi même…
Je ne savais pas Nijinska douée pour l’humour ; d’elle je ne connaissais que les Noces, œuvre d’une austérité presque insupportable…là, elle croque les personnages comme personne, et fait même des clin d’œil aux girls des musicals américains !
Cela m’a donné envie de voir ce Train Bleu (qu’on ne voit pas, c’est l’Arlésienne du ballet !) sur scène ; il faudrait bien sûr d’excellents « acteurs » car le jeu de scène est presque plus important que la danse ; comme je l’écrivais plus haut, Clotilde Vayer est vraiment impayable ! Quelles mimiques, quel pitre elle fait !
Voilà une œuvre qui, si elle n’est pas un chef d’œuvre, est le reflet parfait d’une époque : celles des années folles, d’une société riche et frivole, qui n’a qu’un désir en tête : oublier la boucherie de la guerre 14 en vivant vite, en faisant beaucoup de bruit, et en s’amusant coûte que coûte… la crise de 29 allait effacer tout cela quelques années plus tard…
Et là, on arrive… chez Graham… pour une autre fois !!!
Ces Deux femmes courant sur la plage de Picasso ont été peinte sur le rideau de scène du Train Bleu
Picasso a collaboré pour d'autres ballets, comme le Tricorne, ou encore Parade...
j'y reviendrai un autre jour!!!