Pouchkine et les Lumières : Ode à la liberté.
Les idées des Lumières puis de la Révolution française ont infusé en Russie, malgré elle peut-être, au cours des multiples campagnes napoléoniennes. Avant elle, Catherine la Grande avait fait traduire en russe certains ouvrages des philosophes des lumières, mais elle-même, si elle a dirigé son empire avec pragmatisme, elle ne s’est jamais attaquée à la question du servage, sachant que l’aristocratie qui l’avait soutenue lui tournerait le dos et causerait alors sa perte.
En 1817, date du poème de Pouchkine qui n’a que 18 ans, une petite partie de l’aristocratie reconnaît que le servage, tel qu’il existe encore en Russie doit être sinon supprimé du moins adouci. Car le servage interdit le mariage par libre choix, oblige chaque village d’avoir X nombres de naissance chaque année, accepte que les enfants soient retirés aux parents, voir vendus par les propriétaires qui ont droit de vie et de mort sur leurs serfs. Les serfs ne sont ni plus ni moins que des esclaves au service de leurs maîtres. La répression et les punitions sont sévères, pour toutes sortes de choses, comme la plus fréquente : les dettes. Le maître peut alors envoyer le serf travailler dans les mines de sel où ses jours seront comptés, faire des travaux forcés en Sibérie, punir par les verges tout acte jugé contraire aux règles du servage ce qui entraine la mort, condamner son serf à l’emprisonnement et isolement, etc. Tout ce vieux système féodal choque une partie de l’aristocratie qui a accueilli une nouvelle façon de penser la société.
C’est dans ce contexte que Pouchkine, qui dès ses 17 ans, découche et écoute les hussards débattre de ces idées lors de ses escapades nocturnes, lit en français tout ce qui lui tombe sous la main. De Voltaire à Rousseau en passant par Molière, il s’imprègne d’idées qui fermentent peu à peu en lui. A peine sorti du lycée, il écrit un poème qui lui tient particulièrement à cœur et qui va lui valoir le premier courroux de l’Empereur : l’Ode à la liberté. Il ne sait pas qu’il a signé son arrêt de mort et à partir de ce poème, même s’il ne prend pas position politiquement parlant en faveur de la liberté, il va produire un nombre incroyable de textes dans lequel revient cette question, sous différentes formes.
Par exemple, dans Eugène Onéguine, lorsque celui-ci s’installe à la campagne, Pouchkine écrit : « Il remplaça par une légère redevance le lourd fardeau de l’antique corvée, et le paysan bénit son nouveau destin. Par contre, un propriétaire de ses voisins, homme pratique, se fâcha tout rouge dans son coin, trouvant à une telle innovation un immense dommage. Un autre se borna à sourire perfidement, et tous déclarèrent d’une communevoix que le nouveau venu était un original des plus dangereux.
Quand à son poème écrit tout juste à la sortie du lycée, et qu’il lira en public, voici comment il se termine :
( …)
Le souverain criminel est abattu.
Et maintenant, rois, apprenez bien :
Ni châtiment, ni récompense,
Ni prisons ni autels
Ne peuvent être vos remparts.
La première tête qui doit s'incliner,
C'est la vôtre sous le fidèle abri de la loi,
Et alors, la vie et la liberté des peuples
Garderont à jamais votre trône.
C’est ce même poème qui vaudra aux décembristes dont je parlerai plus tard d’être pendus ou envoyés en Sibérie.