Le Songe du 12 mars à 14h30 - O Neill – Révillion - Sae Eun Park - Zusperreguy- Chaillet – Valastro – Kirscher - Viikinkoski (en remplacement de Renavand) Barbeau- Magnenet....
Grâce à tous ces merveilleux interprètes ci-dessus cités, qui ont tous l'air heureux sur scène, (on peut dire ce qu'on veut de A Dupont, il semble en tous cas qu’elle apporte à la compagnie une sérénité qui manquait avant son arrivée) l’œuvre est plutôt plaisante à voir bien qu’elle soit très inégale. Balanchine a magnifiquement saisi et compris le triple univers de ce Songe, qui oscille entre violence, poésie et rire; il lui est fidèle par l'esprit et en restitue avec maestria toute sa quintessence : quel bel hommage! Vers la fin de la première partie, les entrées et sorties des protagonistes sont réglées avec une maestria alliée à virtuosité digne des plus grands cinéastes. Du très bel ouvrage. Il est dommage, dans ce contexte, que sa poésie soit si mièvre : les enfants qui font des rondes interminables en battant des bras, les fées qui arabesquisent et sautent la moitié du temps, ou bien font des petites menées bras en couronne le reste de celui-ci, tout cela est bien lassant ; et puis ça virevolte dans tous les sens, en marquant avec application la pulsation jusqu’à la nausée, appauvrissant la musique qui se vide de sa magie… si en plus, on rajoute les costumes un peu mièvres ((petite cape ridicule, ailes pour libellules de maisons de retraite, petites jupettes pseudo-athénienne, petites cornes... et j'en passe!) le tout a des relents de ces interminables spectacles d’enfants de fin d’années scolaires.
Heureusement dans ce ballet disparate, un tout autre Balanchine apparaît lorsqu'il s'attaque au registre comique et là, il touche au sublime : que ce soit les comédiens, et notamment Bottom - l'excellent Takeru Coste qui arrive à donner mille expressions à sa tête d'âne et une façon comique de poser ses pieds à tel point qu'on croit voir des sabots - ou bien encore avec Puck, facétieux à souhait - le non moins excellent Antoine Kirscher qui s’en donne à cœur joie - Balanchine insuffle cette incroyable légèreté qui côtoie la violence et la brutalité des sentiments amoureux.
Poignante Sae Eun Park, qui, en Héléna, décline un amour non-payé de retour et se fait rudoyer par le brutal Démétrius (Vincent Chaillet). Très expressive dans ce type de registre qui lui va comme un gant, Sae Eun nous avait déjà envoûtée dans le quatuor de ATK, par la flamme et la passion qui couvent en elle ; dans ce rôle, elle peut y donner libre cours et se montre tout à la fois vulnérable et puissante… et drôle. Elle a une façon irrésistible de tourner la tête lorsque Démétrius lui déclare son amour, (il a changé radicalement de sentiment grâce à la fleur de Puck) pour savoir si c’est bien à elle qu’il s’adresse. Superbe duo des deux amoureux (Valastro et Chaillet) qui se combattent, et qui, en un rien de temps, font basculer la pièce de l'amour au drame : Balanchine restitue avec une économie de moyens qu’on admire toutes ces nuances de l'amour qui rend fou, telles que décrites par Shakespeare.
Autres points forts de cette représentation : Fabien Révillion, qui, avec une superbe batterie, une belle élévation dans les sauts, des pirouettes énergiques et virtuoses, une générosité et une passion en scène immense, incarne un flamboyant Obéron – le maître du jeu qui règle quand Puck désorganise tout - aux côtés d'une délicieuse Hannah O Neil pleine de grâce, irrésistible lorsqu'elle s'éprend de l'âne-Takeru Coste, en lui apportant de l'herbe ou en lui tressant des couronnes de fleurs sur la tête; tout en restant gracieuse, légère, souriante, elle nuance sa danse d’ un humour tout en finesse. Du grand art! Et tout cela l'air de rien, un peu comme Audrey Hepburn dans ses comédies.
Enfin, même si on la voit peu, Ida Viikikonski est une Hippolyte bondissante et magnifique au milieu de ses chiens. Splendide amazone, scintillante et royale! Certes, si on n’a pas lu la pièce, on ne sait pas du tout qui elle est et sans doute Balanchine avait-il une ballerine à distribuer dont il ne savait que faire et à qui il a confié le personnage. Je plains un peu les danseurs condamnés à faire les chiens, mais ce moment d’un grand kitsch était bien enlevé.
Pour revenir au « moins», et bien, on est frustrée de voir une foule de danseurs n’avoir rien du tout à danser, tomber comme des cheveux sur la soupe, et être même l’ajout de Balanchine, on ne sait pour quelle raison, comme Karl Paquette qui avec une horrible et trop courte petite tunique verte, disparaît aussitôt après avoir servi de faire valoir à Titania et que dire d' Audric Bézard – Thésée – qui n'a rien à danser du tout : on se demande pourquoi ils sont là... Même commentaire pour le pas de deux du divertissement, partie sans grand intêret, si ce n’est celui de faire briller une nouvelle soliste féminine. De ce solo, Marion Barbeau tire son épingle du jeu, avec suavité, douceur, candeur. Elle est magnifique. Mais pourquoi ne pas avoir exploité la pièce Pyrrhame et Thysbée que joue à ce moment là les comédiens de fortune pour prolonger le ballet et lui garder une continuité ? Ce divertissement arrive comme un cheveu sur la soupe, lui aussi, et les protagonistes de la première partie n’ont rien à danser… quel gâchis !
Voilà donc un ballet contrasté, qui, d’un côté, enchante par sa fidélité à l’esprit de la pièce et sa théâtralité inventive mais qui, d'un autre côté, frustre à cause du déséquilibre créé par un grand nombre de danseurs sur scène qui ont peu à danser et par l’ajout d’éléments qui embrouillent le tout.
Visuellement, c'est à la fois beau et kitsch. Certains costumes ridicules voisinent avec d'autres de toute beauté. Quant à vous, messieurs les décorateurs, pensez aux spectateurs qui, sur le côté, ne voient pas tout un bout de scène à cause des décors trop sur l'avant scène qui en masquent toute une partie! L'orchestre sous la baguette de Simon Hewett, a été de bonne tenue, mais manquait un peu de magie... il faut dire aussi que l’ajout d’œuvres par Balanchine étrangères au Songe, créée un assemblage disparate qui n’aide pas à donner une unité. Certes, les romantiques adoraient cette œuvre qu’ils opposaient au théâtre classique et sa construction tirée au cordeau et qui pour eux, étaient synonyme d'ennui et d'imagination brisée … là, dans cette belle pagaille, - au final, très ordonnée quand on lit la pièce de Shakespeare- on emporte avec soi la magie de Révillion, O Neill, Coste et Park… et comme on est privé de danse depuis deux mois et demi, on rentre chez soi heureux. Merci et bravo aux artistes!