Ce livre a des airs de confession. Il est rédigé par une journaliste qui a sans doute voulu être dans l'air du temps en ayant recours un peu trop souvent au langage parlé... non seulement le récit n'y gagne rien, il ne paraît pas plus authentique pour autant, mais à la longue cela m’a irritée. Qu’est ce qu’on y gagne à savoir que dans le ballet Manon celle-ci " vend son cul" par exemple ? Bref, c’est un détail heureusement.
Ces confessions, car c'est bien de cela qu’il s'agit, sont d'une sincérité désarmante à tel point que l'on se demande si, en prenant de l'âge, HM ne va pas regretter de s'être confié d'une façon presque psychanalytique. Une mise à nu sur un divan n'en dirait pas davantage. On suit donc les méandres de son mental comme s'il nous le livrait sur un plateau...
Cela commence à Nantes où sa mère veut presque lui interdire la danse tant il se met dans des états au bord du malaise. Certes, sa professeure de danse à l’air aussi stupide qu’exigeante en s’adressant à lui comme s’il avait 20 ans, et en le retenant systématiquement après chaque cours pour discuter, mais on voit bien qu’Hugo est un hypersensible, et qu’il ne comprend pas comment répondre aux demandes de ce professeur : il le voudrait de tout son cœur, mais il ne comprend pas. On apprend un peu plus loin qu’il apprend pour s'amuser un peu une variation de fin d’études avec un élève alors que lui en est encore à ses débuts ; il la danse un jour devant son professeur qui décide de le présenter en fin de cycle ( l'élève enseigne donc mieux que le prof!) : donc précoce, doué, mais hypersensible.
Et cela va être tout le drame de sa vie : il se trouve gros, lourd, a des complexes. Il ne cesse de se comparer aux autres. Tous les danseurs en ont, Pietra le disait bien volontiers et MA Gillot a caché son corset pendant toute sa scolarité, parce qu' elle avait honte. Mais elle était déterminée, puissante, possédait une force de caractère que le sensible Hugo n’a pas. Il veut être aimé mais évolue au milieu de l'insoutenable légèreté de l'être...
Cela continue à l’école : Il récolte le titre d’élève le moins sympathique de l’école de danse, mais explique « que c’est de sa faute, que pour se protéger, il a mis de la distance entre lui et les autres.
Et cela va continuer tout le temps !
Benjamin Millepied lui donne sa chance ? Il se croit aimé, reconnu, jusqu’à se rendre compte que le virevoltant Benjamin, ému par Manon, l’a déjà oublié une fois l’opéra quitté. (Benjamin faisait les corrections des pas de deux sur un réseau social sur lequel HM postait des vidéos de répétitions !)
Ce sera la même chose avec Forsythe. Et d’autres.
Exception faite de JG Bart en qui il trouve un mentor, un professeur, aussi exigeant qu'il l'est lui-même, mais également humain et à l’écoute.
En revanche, il a adoré travailler avec Crystal Pite, à l’écoute, tout en nuance, adaptant la chorégraphie aux corps devant elle et pas l’inverse… il ne tarit pas d’éloge sur elle ?
Une chose surprenante : il a tellement le trac que la plupart du temps, il n’arrive pas à « être là » en scène. Comme si son mental le coupait de lui-même.
Je comprends mieux pourquoi ce danseur vu dans les rôles de Roméo, Siegfried et Solor ne m'ait jamais touchée. Il dit que parfois le miracle est là, mais que la plupart du temps, il est malade les jours qui précèdent la scène, il envoie des textos à quatre heures du matin pour dire qu’il ne pourra pas danser le soir même. Il s'y traine quand même. Mais souvent sur scène, une vague le submerge et l’empêche de « profiter » de la scène. Elle le coupe de lui-même tout en l'isolant avec son mental.
J’ai dû le voir dans ces soirs là : une danse magnifique mais où est passé le danseur?
Il y a pour lui des exceptions : le fameux Manon avec Dorothée Gilbert (qui a appris dans l’ascenseur qui serait son Des Grieux, car elle n’en avait pas, et c’est donc Hugo qui le lui apprend, croyant qu’elle le savait : elle se retrouve donc avec un sujet…. Heureusement, ces deux là se sont trouvés)
Il brosse un portrait très humain d’Aurélie Dupont ; il explique comme un coup bas les fuites du sondage - qui est fait de temps en temps pour améliorer les choses et doit rester en interne, - vers la presse. A le lire, on voit qu’elle gère 154 egos du mieux qu’elle le peut, et que, star du temps de son étoilat, elle ne peut donc en un coup de baguette magique se transformer en Mère Térésa. Elle lui propose un jour de déjeuner avec lui pour parler d’un Onéguine dans lequel est le trouve « trop scolaire, trop académique, pas assez investi artistiquement et émotionnellement, trop reservé, trop appliqué » : exactement les mots que j’emploierais en ayant vu son Roméo en matinée. Un jour « sans », s’en doute. Car j’ai toujours trouvé sa danse magnifique, mais l’émotion ne prend pas.
Certains artistes auraient été piqués au vif des mots d’Aurélie et auraient relevé le défi pour lui donner tort : mais lui se dit que voilà, il n’est pas à la hauteur, et c’est cela qui pourrait bien le résumer ! Il se sent sans cesse en décalage entre ce qu’il voudrait être – plus mince, plus petit, plus léger, plus beau, plus parfait, plus profond, etc, etc- et le reflet qu’il a de lui.
Dans l’ensemble, il a des mots courtois pour tout le monde, car, comme le dirait Niels Tavernier, c’est la marque des danseurs d’avoir le bac plus dix en courtoisie puisque tout le monde croise tout le monde et danse avec tout le monde depuis l’école de danse. Cependant, il trouve la plupart de ses ainés aigris, critiquant les jeunes qui font trop de bruit et qui ne respectent pas leurs ainés ; il dit encore qu’on danse dix fois plus aujourd’hui qu’à leur époque, que les choses ne sont pas comparables. Il y a une anecdote avec une danseuse qui montre une facette de son caractère : Sae Eun Park devait danser Tatiana avec lui. Ils ne s’entendent pas du tout sur la conception des personnages et des rôles. Il décide de lui parler franchement et ne réussit qu’à la faire pleurer, car Sae Eun n’a pas la culture du parler latin où l’on met tout sur le tapis… à nouveau, il endosse le rôle du méchant, se reproche d’avoir été trop brusque avec elle. Il s’en veut.
Pour Sae Eun, je l’ai trouvée parfaite avec Mathieu Ganio, comme lui visiblement l’est avec Dorothée Gilbert (sauf sur le Roméo en matinée…)
Il est vrai qu’autrefois les danseurs dansaient par couple : Atanasoff et Pontois, Thesmard et Denard, Clerc et Jude, Piollet et Guizerix... sans doute, cela devait faire gagner beaucoup de temps en répétition. Mais il est vrai aussi qu’à l’époque, il n’y avait pas deux salles qui proposaient EN MÊME TEMPS de spectacle de danse.
Bref, ce livre-confession nous dévoile un être en quête de perfection, de paix, d’amour et de bonheur ( je vous passe les passages sur ses petites amies, mais la solitude quand même, sur ses parents qu’il engueule parce qu’après un spectacle ils ne sont pas à même de lui décrire toutes les intentions qu’il a mises dans ses personnages, sa loge qu’il n’aime pas encore, il n’arrive pas à la sentir sienne, sur sa nomination à Tokyo qui l'a frustré parce que ses parents n'étaient pas là, sur son incapacité à faire autre chose que travailler et apprendre," n'ayant pour toute distraction que de l'assouplissant à acheter", enviant G. Louvet qui lui prend les choses avec plus de plaisir et de légèreté... etc, etc…)
On sait bien que le métier est difficile, mais HM est plus qu'un autre enclin au doute, à la quête de la perfection et de l'amour. Dans cette grande machine qu'est l'opéra de Paris, il reste un étranger, et son titre prestigieux acquis avec labeur et détermination ne lui apporte pas le bonheur qu'il aurait pu espérer.
Le livre est très touchant, se lit facilement et l'on regrette qu'un tel artiste ne puisse pas jouir davantage de l'immense talent qui est le sien.
Ces confessions sont donc très personnelles et ont un côté de " l'autre côté du miroir" qui peut soit fasciner, soit au contraire questionner : ont-elles apporté, comme une psychanalyse, un mieux-être à cet artiste? C'est, en tous cas, ce que l'on espère pour lui, ainsi que de pouvoir s'épanouir complètement à l'opéra de Paris, même si en ce moment, hélàs, les choses sont bien compliquées; peut-être que ce temps de repli obligé l'aidera à voir les choses sous un jour nouveau? Avec plus de légèreté? Sans que celle-ci soit insoutenable? C'est ce que je souhaite du fond du coeur à ce bel artiste.