Ce ne sont pas les œuvres qui comptent, mais les interprètes ! C’était tellement vrai cet après midi à Garnier du 26 décembre 2010 !
Trois œuvres reliées par un fil invisible
Dans la première : trois filles un garçon (Apollon musagète- 1928) – Ganio, Ould Braham, Daniel, et la sublime Osta
Dans la seconde : deux garçons- une fille ( O slozony- 2004) – Carbone, Bélingard, Zusperreguy
Dans la dernière : 16 garçons – 16 filles et un face à face : fille garçon ( Le Sacre- 1975)
On passe du poétique, à l’onirique, puis de l’onirique à l’hypnotique !
Qu’est ce qui relie ces œuvres ?
Une certaine épure: l’épure du langage, du style, de la grammaire utilisée ; presque une forme de minimalisme
Il ne s’agit plus de divertir le spectateur mais de le plonger dans un état de perception ou d’émotion bien particulier suivant les œuvres
Il faut donc laisser son mental au vestiaire et ouvrir son imaginaire, sa faculté à la contemplation ; inutile de chercher un sens, une narration
Il faut accepter d’être emmenée là où on n’a pas forcément envie d’aller
En ce sens, ce programme va crescendo
C’est qu’elle est douée, BL, pour créer ces fils subtils…..
Trois univers différents, trois émotionnels différents et un travail sur le féminin et le masculin
Dans la première, Balanchine simplifie le geste quand Stravinsky, lui, simplifie sa musique, renonce à certains « effets » Apollon mène la danse…. Mais la mène t’il vraiment ?
Dans la seconde, Trisha Brown crée un alphabet, base de son travail sur un texte polonais mis en musique par l’artiste underground Laurie Anderson (compagne de l’incroyable Lou Reed, ex leader du velvet underground) et nous emporte dans un univers onirique ou l’on perd soi même en tant que spectateur nos propres repères,quand on ne se perd pas soi même
Dans la troisième, Pina Bausch cherche dans un langage simplifié l’expression maximale des émotions : peur- angoisse- soumission et son refus ; on est « hébété », sans pensée, mais toute viscère à vif !
Les œuvres sont toutes de petits bijoux mais pas forcément servies par les meilleurs interprètes
Ainsi Apollon Musagète, malgré des danseurs de qualité, oscille entre poésie et ennui
Poésie lorsque Claire Marie Osta – sublime – danse avec M Ganio qui n’a pas vraiment su ce qu’il voulait faire d’Apollon. Magnifique pas de deux ! quelle magie, tout à coup ! Ganio apparaît enfin et on est emporté hors du temps…
Ennui lorsque N Daniel et M Ould Braham s’emparent d’une œuvre qui, malgré leur qualité de danse évidente – devient scolaire….
C M Osta est décidément plus qu’une ballerine : c’est une artiste à part entière qui « réveille » M ganio : dès le début de leur pas de deux, M Ganio gagne en présence, en poésie, en authenticité ; malheureusement, tout cela s’efface dès qu’il se retrouve seul en scène
L’œuvre en elle-même est épurée mais poétique ; il faut vraiment des interprètes de génie – Claire marie est de ceux là et M Ganio pourrait en être s’il se faisait confiance – pour donner de la vie à cette pièce
Suivait O Slozony/o Composite:
Je l’ai vu en 2004 avec Legris- Dupont- Leriche : un pur moment de bonheur !!! je rêvais de revoir cette œuvre depuis
La revoir avec Zusperreguy – Carbone et Belingard donne un tout autre résultat
La symbiose entre les trois artistes n’a pas pris ; les trois hésitent dans leur engagement comme s’ils craignaient mutuellement de se faire de l’ombre
Ce qui coulait de source en 2004 devient cahoteux
Tantôt l’œuvre devient vivante, intense, tantôt elle retombe dans le scolaire et le « bien dansé » mais sans ce grain de folie que j’attends toujours de la part d’artistes de ce rang !
Bélingard, d’habitude si fougueux est tout sage, et Carbone semble redouter les faux pas
Zusperreguy tour à tour illumine la scène ou disparaît
Cette œuvre lunaire servie par une musique « hypnotique « - elle m’a plongée dans les mêmes états que lorsque je fais du yoga nidra- manque d’un petit « grain de sel » pour la faire vraiment décoller
Enfin, chef d’œuvre absolu, magnifiquement rodée par la troupe de l’opéra : le Sacre de P Bausch
Pour avoir analysé la partition dans tous les sens, décortiqué timbre et tonalité, j’ai une connnaissance profonde, complète, académique de la partition – pas mal jouée du tout, d’ailleurs, bravo à l’orchestre
Et là ?
Adéquation totale entre la musique de Stravinsky et le propos de Pina
Béjart, Prejlocaj, Nijinsky peuvent se rhabiller !!!!
Pina a su écrire une œuvre « économique » mais puissante
Cet après midi servie par des interprètes qui sont comme des poissons dans l’eau
Attention : talents !
Si je n’ai pas reconnu tous les danseurs je cite pêle mêle Abbagnato (le diable au corps ! quelle interprète ; elle est comme l’Isabelle de Hurlevent, totalement possédée !) Kudo ( sublime) Renavand, Muret, Bance, investies jusqu’à en mourir !
Côté garçons, pas mal non plus : Hoffalt, Romoli, Carbone ( plus rien à voir avec l’œuvre d’avant, là , il est totalement présent, il est à fond !!!! je le suivais et je me disais : le bougre, pourquoi faut il qu’il soit noyé dans le corps de ballet pour oser être lui-même ????)
L’œuvre, ?
On pourrait écrire une thèse dessus !
Mais on peut faire plus simple
Les émotions – la peur, l’angoisse, la soumission et son refus – sont palpables tout au long du ballet
Pina a su créer – comme pour Orphée d’ailleurs – un langage simple qui tient en la répétition d’un certain nombre de phrases chorégraphiques qui collent parfaitement à la musique
Martellement du sol avec le pied, - sol couvert de terre- jeux de bras preque primitifs, corps qui se relâchent vers le bas, en différentes secousses, sauts qui tentent de s’en libérer pour mieux retomber
L’art de Pina réside non seulement dans l’économie de moyens, mais dans la façon simple qu’elle a de suivre la musique : elle marque les accents, elle glisse sur le reste
Ainsi les accents des percussions retentissent dans les corps, qui oscillent, vibrent, martèlent, sont pris de spasmes
Mais le tout esthétiquement, reste beau… ça veut dire quoi ce mot dans ce context ?
Que la ligne des corps reste lisible et fluide, que les mouvements des filles sont moelleux à souhait, que jamais les garçons ne dansent en force.
A la fluidité des corps fait écho la fluidité des cordes de l’orchestre, comme si c'était les gestes des danseurs qui commandaient la musique et non l'inverse. La polytonalité des bois et des cuivrent créent des lignes comme aléatoires sur la scène
Pina a un sens de l’espace extraordinaire !
Tout se décentre, mais rien ne se mélange ; la lisibilité du propos est parfaite
Femmes et hommes s’opposent jusqu’à en créer un puissant malaise mais en même temps s’entremêlent, se cherchent, se fuient, se complètent, se repoussent, se violentent mais parfois créent ensemble une immense ronde où les couples s’apprivoisent pour un court moment
Le centre de la scène disparaît sans que l’ordre ne soit anarchie
Kudo, parfait dans le rôle de l’élue – les dix dernières minutes de l’œuvre, mais les autres tout aussi parfaits
L’œuvre doit être crevante à danser !
A un moment, l’orchestre se tait : on entend les respirations haletantes
Je n’ai pas cherché à donner un sens
J’ai simplement reçu les émotions, la fatigue des danseurs – à en pleurer, à en avoir la gorge nouée, à en sortir discrètement mon mouchoir, à en avoir le corps parcouru de spasmes, tout comme eux !
Jamais je n’ai senti des émotions passer directement des danseurs à ma propre personne aussi violemment !
Ce sacre : c’est une transfusion faite en direct des danseurs aux spectateurs
On est obligé de vivre ce qu’ils vivent, de ressentir ce qu’ils ressentent, la peur, la révolte, la fatigue, le « je n’en peux plus, que tout s’achève ! »
Que dire de plus ?
Merci aux trente deux danseurs de ce Sacre…. Et à P Bausch
Ce texte est un compte rendu rapide écrit d'une traite pour le forum " danser en france"
je me propose dans les jours qui viennent d'approfondir ces trois oeuvres dans trois articles différents
j'en prépare les liens d'avance
Apollon Musagète - Balanchine ONP 26 décembre 2010
O Slozony O Composite Trisha Brown ONP 26 décembre 2010
Le sacre du printemps - Pina Bausch ONP 26 décembre 2010
Sur chacune de ces oeuvres, il y a tant à écrire et à ressentir!