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  • : Un jour, une œuvre
  • : Créé en 2006, ce blog rédigé par Valérie Beck autrefois consacré à la danse et à ma compagnie se diversifie davantage.
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Noureev

 

Danser, telle la phalène sous la lune, le pinceau du calligraphe, ou l'atome dans l'infini 

                                              

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2 octobre 2013 3 02 /10 /octobre /2013 14:41

 

 

 

 

 

 

Marguerite : Isabelle Ciaravola

Armand : Kar Paquette

Le père : André Klemm

 

Prudence : Nolwen Daniel

Manon Lescaut : Myriam Ould Braham

 

Des Grieux : Fabien Revillon

 

Olympia : Eve Grinsztajn

Gaston Rieux : C Duquenne

 

 

marie-duplessis-by-c3a9douard-vic3a9not.jpgIl y a deux ans et demi, j’avais voulu voir Isabelle Ciaravola dans la Dame aux Camélias ; la belle s’étant blessée, j’avais assisté à une représentation qui m’avait déçue et pire, ennuyée, car la remplaçante – faute de répétition ? – ne s’était vraiment pas montrée à la hauteur.

J’étais ressortie du théâtre en me demandant si c’était le ballet qui était raté, ou bien l’interprétation qui n’allait pas. Toujours est-il que j’avais passé l’une de mes pires soirées à l’opéra.

 

Remis à l’affiche cette année, j’étais bien décidée à ne pas y aller ;  il ne me restait de l'oeuvre  que des longueurs, du bavardage, de l’ennui… seulement, voilà, une petite voix me répétait sans cesse : « va voir Isabelle, va voir Isabelle ». Je connaissais déjà l’Armand de Karl Paquette, ou plutôt  « je croyais connaître l’Armand de Karl Paquette » car aux côtés d’Isabelle, je découvris le 29 septembre un tout autre Armand.

 

Ecrire d’Isabelle qu’elle insuffle à sa courtisane une profondeur extraordinaire ne suffira pas à rendre justice à son talent, à sa poésie, à sa passion et à ce sentiment de solitude qui pèse sur elle tout au long du ballet. Cette artiste sensible  enrichit de mille nuances et contradictions sa Marguerite qui acquiert ainsi une humanité universelle. Pour cela, elle utilise tout son corps comme un musicien le ferait de son instrument, le faisant chanter, parler, modulant les accents, les intonations, et toujours avec peu de choses : un poignet, un mouvement de la tête, du pied, du bras, du buste, du regard. Tout s’exprime chez cette ballerine, mais si naturellement qu’on a sous les yeux un personnage de théâtre ; on oublierait presque qu’elle danse, tant elle met son âme à nue. À ses cotés, Karl Paquette a atteint des sommets de poésie, de désir, de passion, de candeur, d’éloquence, de colère… seuls ou en « pas de deux » les deux artistes ont offert une partition nuancée, pleine d'ardeur et générosité.

C'est sans doute la magie de ce couple, transmise à tout le plateau,  qui a créé cette osmose entre tous les danseurs. Tous les seconds rôles, sans exception, ont pris leur place, pour renforcer la dramaturgie. Un travail « d’équipe » de haut vol, comme on en voit rarement à l’opéra ces dernières années.

 

Mais commençons par le début!

 

Neumeier aime la mélancolie, le souvenir, thèmes qui reviennent chez lui. Réminiscence, passé, nostalgie et douleur hantent souvent ses ballets.

 

Cette Dame aux camélias, qui, en quelques années passe de reine de Paris à courtisane déchue, abandonnée de tous, et meurt solitaire, était faite pour lui. En s’intéressant à ce sujet, Neumeier découvre que le jeune Dumas, fou amoureux de Marie Duplessis, qui lui inspirera roman et pièce de théâtre, était un ardent lecteur de Manon Lescaut. Après un court moment de passion, l’écrivain renonce à sa Marie, trop coûteuse pour lui : il s’est endetté au-delà de ce qui lui est permis. Il s’éloigne d'elle, non sans souffrance ;  lorsqu’il reviendra à Paris, il y apprendra la mort de la courtisane, à 23 ans. Bouleversé, il s’enfermera pour écrire son roman. Qui sera, un an plus, un opéra sous la plume de Verdi.

 

Neumeier a son fil : il mettra face à face les deux couples – Manon/ Des Grieux et Marguerite/ Armand, le premier montrant comme en un miroir le destin du second. Il fera cohabiter un espace 18ème siècle, celui de Louis XV et ses plaisirs licencieux avec le 19ème et sa morale bourgeoise. Ce n’est pas un hasard si le père d’Armand est tout engoncé dans ses vêtements noirs, avec un chapeau haut de forme qui fait de lui un homme « tout en longueur ». Ce rôle n’est pas dansé, mais n’en est pas moins le rouage essentiel du drame qui se jouera. Car il représente la morale bourgeoise, sévère, des messieurs en habit noir qui s’encanaillent la nuit, mais montrent un visage moralisateur le jour.

 

Pour la musique, le chorégraphe jette son dévolu sur Chopin, compositeur romantique, qui tout comme Marie Duplessis est tuberculeux, vivra vite, seul au milieu des autres de par son exil forcé  et confiera quotidiennement sa vie à son piano, comme à un journal intime. Justement, Marguerite tient le sien  qu’elle léguera à Armand  après sa mort.

Le ballet commence  par la fin : on vend les derniers effets de Marguerite, une robe, un tapis, un divan, un portrait…

Armand et son père sont là ; ils retournent dans le passé, et se souviennent, ils racontent…

 

Commence alors le long et magnifique concerto pour piano n° 2 de Chopin, qui va servir de fil narratif pour évoquer la rencontre de Marguerite et Armand  et accompagner tout l’acte 1

 

Précisément, tous deux assistent à une représentation de Manon Lescaut. Marguerite s’amuse, elle taquine Armand, qui est gauche, maladroit ; mais elle se trouble aussi. Dès l’apparition de Manon, son masque tombe. « Seule au milieu des autres », telle semble être Marguerite. Parée de satin mauve, Ciaravola superbe, souriante, mutine, montre tout à coup un autre visage ; celui de la solitude. Cette femme porte un regard sur son propre destin et lorsqu’elle réalise ce qu’est sa vie, la tristesse la gagne.

 

Dans ce premier acte, M O Braham et F Révillon composent un couple très Louis XV : frivole, amoureux des plaisirs, complices.

Neumeier mêle deux styles tout en employant les mêmes pas.

 

Tout au long de l'oeuvre, M O Braham fera exister un personnage « fantomatique » qui intervient peu, et seulement comme une marque du destin, avec une redondance qui pourrait lasser. Mais à chaque apparition, la ballerine montre une nouvelle facette de Manon, et  on suit donc son histoire, fascinée.

Elle a donné tant de ferveur à sa Manon qu’il est impossible de l’oublier. D’acte en acte, la frivolité s’effrite, les plaisirs s’éventent, la fraîcheur s’en va. L’œil devient las, le pied moins mutin, une pesanteur parcourt ses membres. Un peu plus tard, la beauté se fane, les cheveux portent la trace de toutes les mains qui l’ont caressée, la robe, de toutes les mains qui l’ont retroussée pour prendre des plaisirs hâtifs, mais largement payés. Au fil des scènes, M O Braham devient  froide comme le    marbre. Les chairs se décolorent, se désincarnent. Elle pressent l’exil en Amérique, et la mort, tragique, dans le bayou.

Elle montre à Marguerite sa future déchéance, sa mort précoce. Un sommet d’intensité et d’émotion pour ces deux artistes.  

 

Le Des Grieux de Fabien Revillon, attachant, candide et bondissant, tout en rond de jambe, montrait aux côtés de Manon, une âme entière, honnête. Au fil des actes, Révillon s'insère sans peine dans la  narration commune et donne de la consistance à un personnage épisodique. Il était encore bien vert en Lenski il y a deux ans. Son Des Grieux, offre une technique plus sûre au fil des actes. Il est parfait en amoureux qui accompagne jusqu’au bout celle qu’il aime.

 

À la fin de l’acte 1, le pas de deux aux portées vertigineux annonce ce que sera l' amour  enfin éclos entre Marguerite et Armand : une passion dévorante, même si pour l’instant, Marguerite se refuse à l’accepter.

Les deux artistes, en parfaite osmose, ont offert un moment de danse hors du temps…

Et pourtant, ces pas de deux... comment peut-on exécuter de telles acrobaties sans que cela tourne au cirque ?  Comment donner autant de sens et d’émotion quand le risque de chute est si grand ?  Aucune erreur, aucun faux pas… la narration encore et toujours qui se déroule sous nos yeux : notre souffle se suspend, on atteint « rasa »….

 

L’acte 1 s’achève sur le départ à la campagne

 

On peut alors admirer la jolie Nolwen Daniel, à la danse toujours belle, onctueuse, qui sait  montrer plus d’une facette de son personnage – Prudence, une amie de Marguerite.

À ses côtés, Duquenne badine et amuse. Quelle jeunesse pour ce danseur qui part à la retraite lui aussi cette année !

Neumeier glisse ces divertissements légers pour qu’ils servent d’écrin au drame qui couve.

 

 On retient surtout de l’acte 2  le « dialogue » entre Marguerite et le père d’Armand, venu plaider la cause de son fils, personnage mimé plus que dansé incarné par André Klemm : c’était d’une beauté à couper le souffle !

D’abord, il y a ce monsieur qui se demande ce qu’il fait chez cette femme de petite vertu, se lève pour partir, change d'avis, mais revient, car finalement, il est là pour son fils. En face de lui, cette courtisane sensible et intelligente, qui devine d’instinct le malaise de son visiteur, et lui dit « dites moi le but de votre visite, je vous en prie ».

Tout au long du pas de deux, le mépris du père devient tendresse puis compassion pour la jeune femme, la révolte de Marguerite s'apaise, elle comprend, elle accepte le sacrifice. Les deux personnages se sépare dans un profond respect mutuel. Kleim et Ciaravola ont fait de ce " duo" un moment d'intensité absolue...

Il fallait voir ces deux artistes donner vie et sens à chacun de leur geste… là encore, O temps, suspends ton vol….

 

Marguerite quitte Armand. Le solo de Karl  Paquette m’a rappelé celui, superbe, de  Kourbsky dans Ivan le Terrible vu il y a dix ans et toujours pas oublié.

Armand découvre que Marguerite est retournée vers ses anciens plaisirs, il est en proie à des sentiments contradictoires. Là où certains danseurs ne sont que désespoir, Paquette a montré la rage, la colère, le désir, le refus, le déni, la révolte, l’incapacité à accepter la vérité, l’amour qui le  brûle  à le rendre fou. Chacun de ses gestes exprimait une nuance différente et absolue dans ce solo magistral, porté par l'un des plus tragiques préludes de Chopin.

 

À l’acte 3, Armand croise un jour Marguerite sur les Champs Elysées. Pour se venger, il badine avec Olympia qu'il entraîne dans sa chambre. Le plaisir pris à la va-vite avec cette courtisane lui laisse un sentiment de dégout. L’Olympia de Eve Grinsztajn est parfaite : cette fille ne s’embarrasse pas de principe, ni d’état d’âme. Elle travaille pour l’argent. Un point c’est tout ! et elle met du coeur à l'ouvrage, mais si tout est faux.

Et puis, c’est les retrouvailles avec Marguerite  après l'humiliation au bal… Le pas de deux sur la ballade en sol mineur, virtuose, d’une rapidité à couper le souffle, est un véritable moment d'explosion. Tout ce qui a été tu éclate à ce moment-là. Le désir flamboie, il brûle tout le reste, il unit les amants dans une étreinte passionnée. Le pianiste épousait parfaitement la respiration des danseurs, musique et pas étaient en osmose… Ciaravola était impressionnante de force, d'énergie, de précision et d'abandon, Paquette de lyrisme. Les portées semblaient si faciles, coulant de source.

 

Mais Manon hante Marguerite ; elle quitte Armand une fois de plus, écoutant sa raison et non son cœur.

 

À la fin de l’histoire, la courtisane est seule, malade, pauvre ; elle tient son journal. Elle enfile avec le peu de force qui lui restent une robe de soirée rouge, pour se rendre au théâtre.  Comme au début du ballet, on y donne Manon Lescaut.

Armand ne la rejoindra pas cette fois-ci. Elle mourra sans le revoir.  Isabelle est à ce moment tellement fragile ! Elle meurt un peu comme la Mélisande de Debussy, sans faire de bruit, léguant à Armand son journal…

 

Citer tous les artistes et tous les moments du ballet rendrait la lecture de ce billet déjà bien long, fastidieuse

Ce qui est sûr, c’est que cette soirée mémorable restera gravée dans mon cœur, parce que portée très haut par une troupe en osmose et des solistes de grand cœur et de grand talent

 

 

Le mot de la fin :

 

Je vais moins à l’opéra, car je suis lassée des spectacles qu’on consomme et qui laissent sur sa faim. Mais avec cette soirée, je retrouve ce que j’aime dans la danse indienne. La dévotion. Bhakti

 

Un danseur d’odissi ne danse pas ; il prie.

 

D’une manière ou d’une autre, c’est ce qui s’est passé ce soir-là ; ce n’était pas de la danse, mais de la dévotion que les spectateurs ont pu sentir. « Rasa » est la saveur spirituelle qui doit emmener l’âme du spectateur vers « Dieu ». Paquette, Ciaravola et Ould Braham nous ont offert cela et le reste de la troupe a suivi.

 

Et il s’est passé ceci d’extraordinaire, c’est qu’après la représentation, beaucoup de spectateurs m’ont dit avoir passé une nuit « blanche ».

Eux aussi ont été touchés…

 

Quand l’art rejoint le spirituel… Merci à tous les artistes !

 

 

 


 

 

Ici, un petit compte rendu du même ballet avec Moussin- Paquette  e 1er mars 2010.... et un tout autre ballet!

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