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  • : Créé en 2006, ce blog rédigé par Valérie Beck autrefois consacré à la danse et à ma compagnie se diversifie davantage.
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Danser, telle la phalène sous la lune, le pinceau du calligraphe, ou l'atome dans l'infini 

                                              

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27 décembre 2009 7 27 /12 /décembre /2009 20:33

voici un long texte écrit pour critical dance, danser en français à l'issu d'une représentation de Hurlevent
a noter toute la différence de regard entre cette critique et la précédente sur la même oeuvre vue deux ans plus
tôt!


J'avais vu Hurlevent il y a deux ans; j'étais affreusement mal placée et j'avais entr'aperçu le ballet entre les épaules carrés d'un géant, et la silhouette plus que rondelette de sa compagne, le tout de 3/4 et au troisième étage... bref! pas l'idéal; j'étais ressortie un peu hébétée, sans trop savoir pourquoi... et puis, tout à coup, le ballet s'était mis à me hanter! si si, je vous assure : hop, je voyais Joseph allumer et éteindre les feux, dans des décors gris, grèges, noirs, avec des effets de lumière comme lorsque la pluie et le soleil tourmentent les landes... je voyais les mortes amoureuses et leurs longs cheveux apparaître et disparaître, comme dans les tableaux des romantiques allemands, et puis tout à coup, sur un air de vièle, des paysans dansaient entre les corps tordus des arbres... je voyais Linton trembler de froid et de solitude, enfiler des gilets, des manteaux, des pardessus, des robes de chambre, sans réussir à réchauffer le vide de sa vie... tout cela, avec le vieil arbre griffu,tordu par le vent qui prenait vie dans mes nuits d'insomnie... et puis revenait sans cesse une impression de vent, de froid, de brutalité et de passion; c'est cela, Hurlevent; des scènes déjà très fortes par les décors, la lumière, les couleurs de terre, avec parfois des contrastes qui ne durent qu'un instant : un ciel bleu, qui cède tout de suite la place à un ciel d'orage, lourd de pluie et de froid

Depuis, j'ai revu le film avec Merle Obéron et Laurence Olivier, et puis plus récemment le très hanté "les soeurs Brontë "de Téchiné... qui est finalement assez proche par certains côtés du ballet de Kader Belarbi...et beaucoup de choses, rétrospectivement dans le ballet se sont éclairées...notamment les différents mondes : monde de lumière des Linton, monde rude de Heathcliff, monde de la lande, monde de la terre animés par les silhouettes des paysans, monde des esprits, blancs et noirs... et puis ses mystérieux gardes du corps qui évoquent un peu les " choeurs grecs" dans les tragédies antiques
et puis monde de l'enfance, des fleurs où réside l'espoir

J'ai donc vue la représentation du 15 mars et je suis ressortie complètement déchaînée de passion de la salle, à un tel point que je n'ai pas dormi cette nuit!Vous savez, lorsque vous avez vraiment vu quelque chose que vous n'arrivez plus à quitter pendant des heures et des heures!

Ce qui avait pris vie dans ma mémoire pendant deux ans s'est révélé hier dans une puissance dramatique magistrale: Nicolas Leriche ( vu deux jours auparavant en Amour! ) s'est révélé plus brutal que jamais, complètement fou d'amour pour Cathy, ( M A GIllot)  jaloux, méchant, habité par une violence hallucinante que traduit surtout sa gestuelle qui semble être dictée par ses sentiments intérieurs ( rien de décoratif, de surfait) et que ses sauts félins, d'une très haute élévation n'altèrent en rien; je veux dire que la beauté de ses sauts et de ses réceptions auraient pu adoucir le personnage ou lui donner une sensualité douce : pas du tout. Ils restent dans une énergie de hargne totale!

Les sommets d'hier avec lui : la scène où par la vitre du salon, il voit Cathy : sans danser, il nous communique sa rage, sa souffrance, son sentiment de perte; la scène avec E Abbagnato : d'une puissance et d'une violence rare; j’ai cru qu'il allait la briser sur scène! Je n'avais jamais rien vu de tel, sauf dans Docteur Labus de Galotta et dans un tout autre registre de danse et puis l'incroyable scène finale: ses retrouvailles dans l'éternité avec SA Cathy.Il n'y avait plus un son dans la salle, les spectateurs retenaient leur souffle et leurs larmes... il n'y avait que le bruit du vent, obsédant et mystérieux, souffle d'un ailleurs... Hurlevent, et leur amour à l'image de la lande : aride, entier, violent, brut, sans concession possible...
je reverrais longtemps ces scènes...

Cathy-Gillot a atteint la perfection... toute gamine au début, se roulant dans les fleurs, puis dans la découverte d'une monde chic: la scène où elle se roule sur le canapé en chantonnant un langage d'onomatopée met mal à l'aise par son réalisme... ils sont tous là, les Linton, chic et figés, et elle Cathy, arrive dans leur salon, avec ses manières brutales, sa petite robe qui découvre ses jambes et ses pieds nus, ses cheveux en bataille... rencontre de deux mondes qui n'ont rien en commun; les Linton ont dansé ; ils ont l'air de pantins que rien n'anime et Cathy arrive... avec l'odeur de la lande, de la pluie, de la terre...

Cette grande artiste opère une métamorphose totale en moins de deux heures : petite fille sauvage et insouciante, femme qui naît, qui découvre les plaisirs de porter de belles robes, de côtoyer des gens chics, d'être aimé d'un homme aux belles manières, d'avoir pour amie une femme douce ; puis femme qui souffre, femme qui se révolte, qui meurt... mais son amour est resté pour toujours dans la lande, et garde son parfum de bruyère... (on entend le thème du début à ce moment là, lorsque Heathcliff et Cathy se roulaient dans la lande, et c'est à pleurer!)

Karl Paquette aussi a donné une consistance incroyable au pâle Edgar ; tout figé et un peu ridicule au début, débordant de bonnes et creuses manières, puis le personnage évolue, jusqu'à nous rendre palpable sa solitude et le vide de sa vie si lisse que Cathy n'a fait qu'effleurer

Il danse d'abord comme un pantin bien élèvé : ronds de jambe et ports de bras figés, il a un habit vert, peut être en velours bien ajusté, et des bas bien tirés dans ses souliers ( rien a voir avec le pull et la pantalon " grunge" et les pieds nus d'Heathcliff)puis il perd peu à peu son assurance, ses manières, jusqu'à ce solo halluciné où il enfile habit sur habit : il m'a bouleversée tant il a donné à son personnage, donc aux spectateurs... aucun de ses habits ne recouvrira le vide qui l'entoure, ni ne réchauffera le froid qui le dévore... et Joseph est là, complice, spectateur ou simple témoin? Karl Paquette évolue beaucoup et bien cette saison...!

Et puis, LA découverte de la soirée : Isabelle- E Abbagnato,( je l'avais vue dans Don Quichotte où je l'avais trouvée "jolie danseuse, agréable à regarder", sans plus) j'en ai encore les larmes aux yeux quand je revois son duo avec Heathcliff : tant de masochisme, de don de soi, d'amour désespéré, elle qu'on a vu danser chic dans son salon, avec sa jolie robe toute fluide, avec une vie toute aisée dans la lumière... tout à coup qui va se briser sur l'écueil qu'est Heathcliff; elle va se perdre dans un abîme sans fond... Heathcliff la traite avec une brutalité aussi énorme que dans ses affrontements avec Hindley Romoli : elle aussi quitte le langage de la danse " rond de jambe" pour une danse d'une expressivité " expressionniste"
Le sommet intervient lorsqu'elle revient sur scène les pieds liés par une corde
Je n'avais encore jamais vue E Abbagnato se mettre en danger sur scène de cette façon : elle donne tout; sa technique est complètement sûre, son sens dramatique vertigineux, sa métamorphose inoubliable... une artiste en état de grâce
Quand au frère de Cathy ( Romoli) égal à lui même dans l'incarnation total d'un personnage vil et violent à la fois... au final, pathétique...on le voit errer, hargneux, escalader l'arbre tordu, se rouler dessous, il est souvent sur scène avec son mal de vivre, ses pas traînants, son dos qui se voûte


Ce qu'il y a de fabuleux dans ce ballet, c'est la confrontation de tous ces mondes et des différents styles de danse qui en découlent
C'est l'intelligence de Belarbi a avoir su rendre l'atmosphère du livre palpable avec ses passions : chaque tableau est entier, indépendant, tout en s'insérant parfaitement dans le tout du ballet : comme si au fil de la lecture, Belarbi avait visualisé très clairement les scènes auxquelles il tenait le plus
C'est la beauté des décors et les contrastes de lumière
La musique, si elle n'est pas d'une grande originalité sert bien l'oeuvre; elle joue aussi sur les ombres (cuivres, bois) et la lumière (cordes, harpe, flûte,) avec des réminiscences de thèmes bien dosés ( mais je plaignais les gens assis à l'orchestre côté tuba : ça a du être une horreur : pourquoi les cuivres sont ils aussi mauvais dans cet orchestre : ils jouent leurs notes en se foutant du reste de la partition!)

Je n'ai pas parlé des deux enfants, ( Isoart et Zuspereggy) petits rôles et grande présence ni du sublissime Jean Marie Didière, très grande présence, gardien des secrets, des passions, et de Céline Talon, ... j'ai plus de mal à comprendre son rôle: est elle protectrice de Cathy? quoi d'autres? qui peut m'éclairer?
Bref : j'en redemande!!!!
bravo, une fois encore à tous les artistes!

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