Voilà un article que j’aurais voulu écrire il y a longtemps. Isabelle Guérin me manque, surtout lorsque je regarde les captations – nombreuses, heureusement, - que nous avons d’elle.
Je l’ai découverte en 1984 à l’opéra de Paris, dans Raymonda où elle dansait la danse des Sarrasins : coup de foudre immédiat, total, comme je n’en connais plus vraiment ces derniers temps (récemment, sur le forum où j’écris, tout le monde encensait A. Albisson dans le Loup de Petit, et je me disais qu’il n’y avait pas de quoi s’extasier !!! c'est très révélateur d'un context si pauvre en talent qu'on crie bravo à la première prestation digne de ce nom, même sans brio) Dans cette danse des Sarrasins, elle irradiat.... dans la salle, tout le monde a retenu son souffle, puis un tonnerre d'applaudissement a retenti; elle est revenue saluée avec son partenaire, toute étonnée de son succès : voilà, c'est Guérin, modeste, talentueuse, qui hypnotise toute une salle en quelques instants!
Ensuite, je l’ai guettée pour la voir dans les rôles qu’elle a marqués de son talent : modestie, sensibilité, pureté sont les mots qui la décrivent le mieux en scène. Et puis une grande force. On la sentait sûre... C'est ce qu'aimait tellement Noureev chez les danseuses féminines: elles devaient être des ballerines accomplies, être très féminines, mais posséder une grande force, ce qui était le cas de Platel, Guillem, Loudière, Pontois...
Guérin n’a jamais visé l’esbroufe ; sa technique parfaite a toujours été au service de son talent – Leriche et Dupont ont tous deux ce même côté modeste en scène aujourd'hui, c'est sans doute la raison pour laquelle je les aime autant. Elle aurait pu danser "tape à l'oeil"; très belle, grande, longue et fine, les mouvements sur elle rendaient " beaux et larges"; elle aurait pu danser en mettant en avant ses qualités, sa beauté, son panache - ce que faisait F Legrée d'une certaine manière : j'étais bouche bée devant ses bras, ses jambes, sa technique un peu " tape à l'oeil"
Mais Guérin avait en elle cette pureté dont je parlais tout à l'heure ; cette modestie, cette classe que Noureev appréciait chez les danseurs et qui était innée chez elle. ( Platel avait toujours l'air tellement de l'élève modèle, à côté! alors que Guérin semblait si naturelle!)
Il y eut en 1987 un superbe documentaire sur la transmission des rôles par Y Chauviré réalise par le formidable D Delouche
On y voyait – entre autre – Loudière, sublime de légèreté, de virtuosité répéter Flotow, et Guérin apprendre de la créatrice elle-même le rôle d’Ishtar, la déesse qui doit descendre aux enfers et se dépouiller de son paraître pour sauver son fils qui y est retenu
Après avoir vu ce documentaire, je n’avais qu’un désir : la voir danser Ishtar sur scène.
Ce fut le cas quelque temps plus tard, l’un de mes grands souvenirs de danse! Encore un immense coup de foudre!
Par la suite j'ai acheté la video, puis lorsqu'elle fut complètement usée, je la rachetais en dvd; je la regarde toujours beaucoup aujourd'hui!
Elle aborda tous les grands rôles classiques révélant ses talents de tragédienne dans Roméo, son immense sensibilité dans Nikya (la Bayadère) ou encore sa grâce infinie dans Esméralda (aux côtés de Leriche, Legris, Hilaire : voyez un peu le plateau !!!!) Elle est tellement belle! Elle est Esméralda; mutine, légère, douce, aimante, fragile, fidèle, sensuelle... on la brise; elle plie mais ne cède pas...
On peut la voir encore aujourd’hui en captation dans le Parc de Prejlocaj, et surtout - et je le regarde souvent- dans le documentaire sur la Bayadère. Elle explique comment elle a appris le rôle et on la voit en répétition lors de la reprise du ballet créé en 1993, année de la mort de Noureev. Je ne me lasse pas de la voir répéter ses solos, ni de l'écouter évoquer cette époque... l'âme de Noureev est là aussi quelque part....
C'est Noureev qui l’a nommée, comme il a nommé Guillem, Hilaire, Legris, Maurin, Belarbi…
J’aimais surtout en elle sa capacité à s’abandonner totalement à son rôle. Jamais en scène je n'ai vu sa technique mais le personnage qu'elle interprétait. Sans doute Noureev y est-il pour beaucoup dans la capacité qu’elle avait à mettre son âme sur scène, sans fioriture. Elle proposait alors une lecture personnelle du personnage qu’elle dansait – moins révolutionnaire peut-être que ce que Guillem faisait - mais avec une authenticité, une sincérité absolues, désarmantes.
Et puis, chacun de ses pas respirait une infinie poésie : du grec : poien, créer .
Comme si elle ne dansait pas des pas appris, mais qu’elle les inventait au fur et à mesure que le ballet se déroulait sous nos yeux
Souvent, je la regarde dans les variations de Bayadère, ou encore dans le solo d’Esméralda ou le pas de deux qu’elle danse avec Quasimodo-Leriche
Elle a aussi créé beaucoup de rôles à l’opéra de Paris. Je regrette de ne l’avoir jamais vu dans Manon de Mc Millan
Aujourd’hui encore, le simple fait de la voir en video dans la mort de Juliette me met les larmes aux yeux…
Elle a déjà quitté l’opéra depuis 2001, même si elle y est revenue danser en « guest » notamment pour le Parc de Prejlocaj
Décidément, le temps passe si vite !
mais telle est la magie des étoiles, dont la lumière nous vient même du passé!
Les photos sont de J Moatti, extraits du site ballerina