Chapitre deux : histoire de la danse odissi
Les origines et les premiers témoignages :
Au temps du roi Kharavela, 1er siècle avant JC.
La style Nartaki
Laissons pour un temps dans ce deuxième chapitre les légendes mythologiques de la danse, que nous retrouverons plus tard pour nous pencher à présent sur les témoignages archéologiques concrets. Les premières sculptures furent découvertes dans les grottes des collines de Udayagiri et de Khandagiri près de Bhubaneswar en Orissa. Elles datent du 1er siècle avant Jésus Christ. La région appelée alors Kalinga connaissait déjà une importante activité artistique comme en témoignent les nombreux danseuses et musiciens ainsi que les inscriptions gravées et sculptées dans la roche ; construites sous le règne du roi Jaïn Kharavela, grand amateur d’art, elles révèlent que l’art était très présent dans la vie du peuple de Kalinga. Le roi a d’ailleurs laissé le souvenir non seulement d’un fervent Jain, mais aussi d’un immense protecteur des arts. Dans la grotte de la reine Ranigumpha se trouvent également de très nombreuses sculptures de musiciens et de danseuses dans des poses très variées. L’une des plus célèbres, connue sous le nom de Nartaki, est en « chouka ». L’ensemble de ces sculptures ont servi de point de repère pour reconstruire le style Odissi au 20ème siècle après qu’il fût perdu.
Pour désigner le style de cette période qui semble avoir été une danse de cour, on se refère à la danseuse Nartaki qui donne son nom à ce style. D’où le style « Nartaki »
temple Brameshvara
L’influence du Bouddhisme et du tantrisme : du 3ème au 7 ème siècle après JC
Après la mort du roi Kharavela, on ne trouve pas d’autres représentations aussi importantes de l’activité artistique gravée dans la pierre. On sait cependant qu’elle restera très importante dans cette région après la mort du roi et jusqu’au 7ème siècle.
Vers le 3ème siècle après Jésus, pendant le règne magnifique d’Ashoka, le Jaïnisme fut progressivement remplacé par le bouddhisme sous sa forme de Grand véhicule.
Cette branche du bouddhisme est connue pour être esthétiquement très sensible aux arts considérés comme un moyen, aussi bien pour l’artiste que pour le spectateur, de réalisation spirituelle. La danse n’est alors rien d’autre qu’un moyen de délivrance et un acte de conscience spirituelle.
Le Shivaïsme et la naissance des Devadasis
Après le déclin du bouddhisme, le Shivaïsme s’étend sur le pays et y explose au 7ème siècle après Jésus Christ. Comme toujours en Inde, il est difficile de savoir exactement comment les changements s’opèrent et comment le Shivaïsme a réellement émergé. D’autant qu’il existait déjà un shivaïsme pré-aryen vieux, dit-on, de plusieurs millénaires. Des nombreux éléments archéologiques prouvent que la danse se trouve étroitement lié à ce nouveau courant.
La dynastie Sailodbhara naît à cette période et les rois étendent leur domaine à une grande partie de l’actuel Orissa. Ils dotent la région d’un système administratif solide, font preuve d’une réelle tolérance pour toutes les religions, et entreprennent la construction d’une multitude de temples dédiés à Shiva. L’art de cette période est florissant et éblouissant. Les sculptures des danseuses et de Shiva dansant, connu sous le nom de Nataraja – Roi de la danse – font toujours aujourd’hui l’admiration de tous ceux qui visitent les temples de Mukteshwar ou de Parashurameshwara.
Le Shivaïsme imprègne le tissu culturel de l’Orissa si profondément qu’il est devenu un facteur clé dans l’élaboration de l’histoire de la région.
Le tantrisme, l’une des branches du Bouddhisme, est progressivement intégré au Shivaïsme comme l’une de ses caractéristiques fondamentales. Comme souvent en Inde, les nouveaux courants de pensée absorbent les anciens et les différents éléments s’associent et se mélangent. L’Inde repousse rarement, elle absorbe et remodèle.
Cette longue période porte donc les différentes empreintes du bouddhisme, du tantrisme et du Shivaïsme qui se mélangent et marquent durablement la culture Oriya sur le plan des arts, de l’architecture et de la danse. Les temples Vaital, Markandeswar et Sisireswar témoignent de cet amalgame, aussi bien dans les stupas Bouddhistes des collines de Lalitgiri et Ratnigiri que dans les temples d’Hirapur consacrés aux yoginis-danseuses.
Devadasi
Au 10ème siècle, sous la dynastie Kesari, le Shivaisme s’impose complètement : Le culte de Shiva et la construction des temples sont au centre de cette ère. Ils présentent des sculptures très variées des Dieux et des Humains, montrant d’une manière certaine la continuité de la tradition dansée en l’honneur de Shiva. Dans ces inscriptions et ces témoignages sur la danse, on trouve pour la première fois la preuve de l’existence réelle des Devadasis, littéralement servantes de Dieu. Il semblerait que leur seule obligation fut de danser pour les rituels et les cérémonies associés au temple et pour sa divinité.
Le rituel est un élément très important de la foi en Inde, et pendant longtemps, il a précédé la pensée et la spéculation. Ils rythmaient non seulement la vie, mais aussi le quotidien.
On trouve la première mention d’une Devadasi en Orissa à l’époque de la construction du temple de Brahmeswar sous le règne de Udoata Kesari, dernier roi de cette dynastie qui prit fin au 11 ème siècle.
C’est à partir de ces inscriptions que l’on peut retracer l’histoire de l’Odissi et de son rôle dans les temples jusqu’à la danse d’aujourd’hui.
Vishnou, un avatar de Krishna et Jagannath
Une nouvelle foi va bientôt remplacer le Shivaïsme : le Vishnouisme. Vishnou est un avatar de Krishna, lequel est très connu en Orissa sous la forme de Jagannath.
Des temples monumentaux sont édifiés pour célébrer ce dieu, tel le temple de Jaganath à Puri, ou encore le temple du soleil à Konark. La dynastie Ganga révolutionne entièrement la culture de l’Orissa et marque profondément l’évolution du style « devadasi »
Les arts et l’architecture d’après la période Kharavela montrent que la danse est à présent l’un des thèmes essentiels des temples de l’Oriya.
Puri
En résumé
Pendant ces 1000 premières années, la danse Odissi est véritablement le reflet de l’activité religieuse et politique de cette région qu’est l’Orissa.
Qu’elle soit influencée par la tolérance et la conscience esthétique des Bouddhistes, ou par les cultes tantriques et les danseuses yogini de ces cultes, ou encore qu’elle soit au service des devadasis des temple de Shiva, la danse transforme aussi bien sa technique que ses aspirations dévotionnelles, épousant à chaque étape l’histoire de la région et l’évolution de la foi.
De nombreux éléments fondamentaux de l’odissi apparaissent pendant la dynastie Kesari, mais c’est lorsque celle-ci disparaît que naît réellement le style Odissi tel qu’il est connu aujourd’hui.
Ce style connaît donc, de sa naissance au 1er siècle sous le règne des rois du Kharavela, jusqu’à l’avènement du Vishouisme, d’immenses changements dans sa forme physique, son caractère spirituel, et son rôle dans la société et la religion.
Son caractère spirituel s’est transformé au gré du jaïnisme, du bouddhisme, du shivaisme et enfin du Vishnouisme qui chacun, tour à tour, l’ont modelé différemment. Toutes ces traditions ont conféré chacune à leur façon un caractère distinct et éminemment sacré où la beauté se mélange au spirituel, dans une humble recherche de Moksha : le salut.
Kornak
Notes : il est très difficile pour qui ne les côtoie pas de près de se retrouver dans toutes ces branches philosophiques et/ou spirituelles
Des articles annexes viendront éclairer un peu le lecteur sur les différentes fois ou philosophies ainsi que sur ces Dieux que sont Vishnou, Brahma, Krishna/ Jagannath.
On retrouve ce même brassage d’idées dans le yoga, qui s’est considérablement modifié au gré des échanges entre les différentes civilisations ; comme pour la danse, on trouve un yoga tantrique, du Nord-Est, influencé par une branche du bouddhisme, un yoga dit non-duel du Cashmire, un yoga plus « Aryen », codifié par Pentajali, etc… si l’on veut résumer succinctement, on dira que pour certaines écoles de yoga, conscience et énergie sont en union, pour d’autres non.
Le yoga, prière active du pratiquant, et l’odissi, prière artistique dansée, n’ont d’autres buts que d’atteindre ou de faire atteindre Moksha.
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