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  • : Un jour, une œuvre
  • : Créé en 2006, ce blog rédigé par Valérie Beck autrefois consacré à la danse et à ma compagnie se diversifie davantage.
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Noureev

 

Danser, telle la phalène sous la lune, le pinceau du calligraphe, ou l'atome dans l'infini 

                                              

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19 avril 2014 6 19 /04 /avril /2014 20:09

 

 

 

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La maison de la culture d’Amiens, proche du centre ville et d'un quartier piéton,  est composée d’une scène, d’un cinéma et d’une salle d’exposition. Elle rappelle les scènes de banlieue, comme le centre des bords de marne du Perreux sur marne ou encore le théâtre Romain Rolland de Villejuif… et bien d’autres encore. Elle en a le côté convivial, ouvert et plaisant, avec sa caféteria où se réunissent souvent public et artistes avant ou après une représentation.

 

 

Le public qui attendait sagement dans le hall  le début du spectacle ce 17 avril était très familial,  tous les âges y étaient mélangés, et il y avait beaucoup d'enfants - dont le mien que j'avais emmené pour l'occasion, car c'est les vacances scolaires à Paris.

 

Je connaissais toutes les œuvres au programme pour les avoir déjà vues, sauf bien sûr Odyssée, une création de Nicolas Le Riche avec CM Osta.

Quatre interprètes magnifiques pour un programme très intelligemment composé et des œuvres que j’adore m’avaient décidée à venir tout exprès à Amiens. Isabelle Ciaravola et N Leriche sont les rares artistes qui me font quitter ma tanière. J’ai attendu ce jour avec l’impatience d’un enfant à qui on a promis de la magie.

 

J’avais gardé de  Critical Mass, déjà vu au Châtelet en 2005 – un souvenir fort,   comme une vibration impétueuse. J’avais hâte de la revoir avec Nicolas et Russel Maliphant qui en est le chorégraphe ; comment décrire ces deux artistes,  l’un puissamment ancré dans le sol  (à aucun moment ses pieds ne bougent) l’autre plus libre,  plus ondoyant ? Le saule et le roseau dansant au gré du vent donneraient une idée  de la chorégraphie, envoûtante, enivrante, et pourtant tellement simple.  Les mouvements se répètent à l’infini, sur différents tempos, puis se décalent, se rejoignent. Les deux danseurs, emprisonnés  dans un  carré de lumière,  tels deux papillons de nuit sous une lampe, dégagent  une énergie fluide et étrange. Elle  attire à elle le spectateur qui suit, halluciné, cette danse un peu incantatoire à mi chemin de la prière, des  arts martiaux, de la capoeira, avec une intensité et une poésie infinies.

 

 

Russel Maliphant-le-saule   se meut avec Nicolas-le-roseau dont l'un des pieds ancré dans le sol  sert de pivot, d’axe. Je me dis que décidément, Nicolas est un artiste hors norme, charismatique, et qu’il sait tout rendre captivant. A l’énergie toute concentrée  de Maliphant, répond son énergie à lui,  diffuse,  rayonnante. Leur duo est parfait : c’est comme le yin et le yang ; l’un, tout ramassé sur lui-même, aspire, l’autre diffuse, libère. Les deux se complètent. C’est complètement magique et  mystique. Cette première partie, puissante et sobre tout à la fois,  captive plus que la seconde, sorte de tango humoristique. C’est plus dansant, moins dépouillé, mais moins intense aussi.

Julien qui a 11 ans n'en a pas perdu une miette, il était fasciné.

 

 Fra_Angelico_049.jpg

 

Suivait le magnifique pas de deux de Prejlocaj - Annonciation - dansée par C M Osta et I Ciaravola. J’avais il y a bien longtemps enregistré cette œuvre sur Arte, car elle m’avait fascinée, mais je ne l’avais jamais vue «  live ».

 

  Annonciation, c'est l'Ange Gabriel qui annonce à Marie qu'elle va concevoir le Christ. Ce thème est l’un des grands thèmes  religieux de la peinture renaissance peint  par toute l’école italienne pendant plus d’un siècle et demi. On voit sur les toiles,  les rayons de lumière atteindre l’oreille de Marie qui aurait, par cet organe, conçu le Christ. L’ange est là pour le lui annoncer.

 

La chorégraphie de Prejlocaj  a quelque chose de " pointu" qui vient vous piquer, vous forcer à vous interroger, à vous poser des questions. Un Miserere commence mais brouillé par des bruitages étranges. La musique religieuse s’estompe ; il ne reste que les bruitages désagréables qui captivent cependant l’attention.

 

Ciaravola est magique là-dedans, chacun de ces gestes est d'une beauté et d'une poésie à couper le souffle, et pourtant l'œuvre est parfois très austère, très statique. Je la revois encore arriver sur scène : mon souffle se suspend tout comme elle,  en équilibre sur ses demi pointes; on la regarde, fascinée et on ne pense plus à respirer. Le dialogue d’Isabelle avec Claire Marie, toute en intériorité,  est parfois très minimaliste; on est face à une danse ascétique où chaque mouvement se pose un instant pour mieux nous interroger; il devient intense lorsque les deux artistes dansent toutes les deux les mêmes pas sur un tempo rapide - et c'est toujours passionnant de voir qu'un même mouvement exécuté de la même façon n'a pas le même rendu sur le plan de l'énergie. Une énergie plus ramassée pour Claire Marie, plus dilatée pour Isabelle et le lien avec Critical Mass se fait naturellement même si le propos et l'esthétique sont tout autres.

 L’espace semble découpé bizarrement par la musique aux sons électroniques et grinçants, comme   à l'opposé du propos. 

 

Suivait l'entracte, qui dure suffisamment longtemps pour que les gens aient le temps de bavarder,  de boire un verre,  à la  cafétéria. Et on est tout étonné par les prix «  normaux » habitué qu'on est  à ne jamais rien prendre d'habitude au bar de l’opéra.  

 

Après l’entracte, place à la  crétion Odyssée, de Nicolas, qui narre  la vie d'un couple  parfois est uni, parfois désuni dans la solitude. La musique   d'Arvo Part donnait une dimension un peu mélodramatique à l’ensemble, et le propos  touchant,   devenait un peu lourd à cause de ces cordes. Pourtant la danse de Claire Marie Osta et de Nicolas Leriche était émouvante, lyrique, mais il me semble qu’une musique «  plus légère » aurait mieux convenu…

 

Puis vint le sublime solo, Shift,  de Rusell Maliphant que j'avais déjà vu au théâtre des champs Elysées en 2007.

 

J'adore ce solo!  Russell danse avec ses ombres – jusqu’à trois, qui, grâce aux projecteurs, ne sont pas toutes orientées de la même façon. On a alors l’impression d’un tri-logue.

Maliphant arrive à vous happer dans son intériorité, d'une grande pureté, d'une grande simplicité, d'une grande profondeur. Tout en blanc, il dialogue ou monologue, suivant, avec les ombres noires qui dansent avec lui.  Julien a été captivé. Il n’a pas bougé d’un poil.

A noter que Michael Hulls   règle les lumières des oeuvres de Russel et fait un travail fabuleux.

 

 

Puis vint le Jeune homme et la mort.  Même si l'orchestre a disparu et que l'orgue a retrouvé sa place dans cette passacaille, même si les décors étaient forcément réduits et même absents pour la fin de l'oeuvre,  l'intensité était à son comble. Cela confirme que la danse n'a pas besoin d'autre chose que du talent de ses interprètes pour être - ce qui est le cas pour l'odissi. Et dans ce pas de deux, quels interprètes! Nicolas est sans conteste l’un des interprètes masculins les plus talentueux et les plus sensibles de sa génération. Ciaravola est au sommet de sa maturité artistique. Elle est devenue une très grande artiste, rejoignant dans mon panthéon personnel Guillem, Pontois et Motte. Ce jeune Homme a été exceptionnel d’intensité et d’émotions.

 

 

 

Nicolas a dansé ce jeune homme comme à ses débuts, avec une vigueur, un engagement, une énergie et un désespoir poignant, qui vous noue la gorge. A ses côtés, Ciaravola n'est plus l'ange Gabriel  de tout à  l’heure! Piquante, sensuelle, manipulatrice, froide, impassible, elle est la Mort. Elle surgit dans la chambre, en parfaite Fata Morgana,  pour jouer avec  le jeune homme comme avec une  proie ; sa cruauté n'a d'égal que sa sensualité maléfique.

Le piège se referme sur le jeune homme qui peu à peu n'éprouve même plus de désir pour cette femme superbe  : il  se laisse engloutir; il renonce. 

Leur  duo émettait une énergie électrique, intense, inquiétante, et l'on suivait cette histoire  tragique, comme un film dont on redoute le dénouement pourtant inéluctable. 

Isabelle et Nicolas ont  dansé  ce Jeune homme de toutes les fibres de leur cœur.  Un sommet de générosité et de talent rarement atteint.

C’était d'autant  plus impressionnant que la table n'était pas très stable et a oscillé dangereusement plus d'une fois et que la potence bougeait elle aussi, faisant craindre le pire, sans parler de la corde qui n'a pas été attaché du bon côté...

 

 

Après le spectacle, les artistes ont rejoint la cafétéria avec gentillesse et simplicité, ils se sont prêtés - sauf Maliphant qui est parti dans son coin au grand désespoir de Julien qui voulait le prendre en photo -  avec gentillesse à la séance de photos et demande d'autographe du public qui les attendait là et ont répondu aux questions qu'on leur posait.

 

Visiblement, c'est courant dans cet espace qu'après le spectacle les artistes rencontrent leur public, et c'est vraiment très chaleureux, car on les attend attablés, avec un verre ou un petit encas, et pas debout dans le froid...

 

Cette soirée me marquera d'autant que Julien qui n'est pourtant pas un modèle de sagesse car il saute et court toujours partout, a été complètement captivé par la plupart des œuvres.

il m'a posé beaucoup de questions ensuite sur le sens, le propos, les danseurs. 

 

Ce que j'ai aimé plus que tout lors de cette soirée, c'est la générosite et la simplicité de ces immenses artistes, qui ont dansé  dans un don d'eux mêmes total.  

 

 

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