Article écrit en 2008
Le 29 janvier 2011, Nicolas Leriche aura 39 ans ; selon les règles de l’ONP, il lui restera trois ans avant la fameuse « retraite ». J’y pense avec inquiétude : qui prendra la relève après son départ ? Qui a l’opéra possède son charisme, son intelligence, sa sensibilité, sa générosité et sa virtuosité ? Qui a en scène une endurance a toute épreuve ? Qui est capable de passer de Trisha Brown à Noureev, de Mats Ek à Neumeier avec le même talent ? Actuellement, à part lui, personne ! Martinez aura quitté la scène… et puis, même si j’admire beaucoup Martinez, je ne ressens pas émotionnellement la même chose que lorsque c’est Nicolas qui danse. En scène, Leriche se donne tout entier à son public. On dirait qu'à chaque fois il offre son âme à son public. C'est rare et d'autant plus merveilleux que ce danseur est unique en son genre.
Nicolas est entré à l’école de danse en 1982 ; on le voit d’ailleurs dans le documentaire « les enfants de la danse » : doué et charismatique, il l’est déjà, cela ne fait pas l’ombre d’un doute !
Six ans plus tard, il entre dans le corps de ballet comme quadrille, cinq ans plus tard, il est nommé étoile par Patrick Dupont. Il a seulement 21 ans ! En onze petites années seulement, il s'est hissé au statut suprême : celui d'étoile...
Ce danseur profondément sensible, humain, incarne chaque personnage avec toute son âme. Un petit vent « slave » souffle sur la danse de cet artiste. Est-ce parce qu’il a été dans le corps de ballet à l’époque où l’âme de Noureev y était encore présent ? Je ne sais pas. Mais Nicolas Leriche est la synthèse parfaite d’un danseur expressif, profond, et techniquement, d’un danseur virtuose.
En ce sens, il est dans la filiation des Noureev. Ce qu’on emporte avec soi après une représentation, ce n’est pas « Leriche danseur », mais Abderam, Heathcliff, Siegfried, Roméo, les personnages qu’il a incarnés et qui nous sont entrés tout droit dans le cœur.
J’ai eu la chance ces quinze dernières années de le voir danser Albrecht, Siegfried, Aminta (Sylvia), Orion (Sylvia), Ivan le terrible, Heathcliff, Boléro, l’Oiseau de feu, Don José, Abderam, Siddharta, Petrouchka, Le Faune (Nijinsky, Robbins) Basilio, Appartement, Caligula, Désiré, Quasimodo, O Slozony, Suite en blanc, le Train bleu, le Jeune homme et la mort, Clavigo, et suites of dance de Robbins, Rendez vous notamment…
Chaque personnage est unique et inoubliable.
Dans le Sylvia de Neumeier il est Orion, facétieux, espiègle, léger, virevoltant, candide et insouciant. Sa danse vive palpite comme le coeur d’un adolescent. Dans ce même Sylvia, quelques jours plus tard il est Aminta, l’amoureux transi de Sylvia : blessé, le cœur en hiver, il erre solitaire à la fin du ballet dans les bois où ne résonne même plus l’écho de sa jeunesse ni la voix des nymphes disparues. On emporte avec soi cette souffrance, cette amertume, et des années plus tard, on s’en rappelle avec une précision confondante…
Nicolas a ce talent de nous emporter au cœur même d’une œuvre ; il doit être un interprète de rêve pour les chorégraphes ! Non seulement il transcende la technique, mais il apporte aux rôles une personnalité humaine et son extraordinaire intelligence de la danse.
Techniquement, il n’a pas la ligne d’un Legris ou d'un JG Bart, mais sa présence en scène est terriblement féline. Il en a l'aisance, la démarche, l'ardeur, l'allure dans la puissance de ses sauts, de son élévation. En outre, il peut être tout à la fois très viril et féminin. En ce sens, c’est le frère jumeau de Guillem. Tous deux sont capables d’exprimer leur côté féminin et masculin avec la même foi.
Dans le jeune Homme, ce danseur devient une pauvre chose toute pétrie de souffrance. Et pourtant, sa danse reste puissante, virtuose, engagée. Il n’hésite pas à prendre des risques. Le rôle passe avant tout.
Dans Ivan le terrible, il incarne à la toute fin du ballet le pouvoir absolu, dans toute sa force terrible et destructrice. Auparavant, il nous aura montré tout le lyrisme dont il est capable lorsqu’il aime Anastasia ou encore toute sa fragilité, lorsqu’il est malade et traîne misérablement sur les genoux, sans pouvoir se redresser. Dans la conclusion de ce ballet, le mot terrible prend tout son sens. Nicolas saisit toutes les cordes et s'élève au dessus de la scène. On en reste cloué sur son fauteuil...
Bref : l’opéra de paris a un artiste magnifique, unique, un véritable joyau. Je dois le voir dans son dernier Lac des cygnes… payé une fortune puisque j’ai attendu les distributions pour prendre ma place…. Pour les trois saisons qui lui restent à l’opéra, je suis encore prête à casser souvent ma tirelire. Ce type d’artiste est si rare !
Il faut aussi évoquer Boléro, que ce danseur tient de bout en bout avec une puissance, une majesté, une sensualité et une présence hallucinantes. Il oppose à un travail féminin des bras et du bassin, une force féline dans ses sauts, ses attitudes, ses battements.
Parlons à présent de Siegfried : j'ai encore des frissons, rien qu'en y repensant, je l'ai vu aux côtés de Guillem, - un de ces soirs où rien qu'à cause de sa présence, il y avait une électricité dans la salle intenable - mais lui, tellement humble, tellement lunaire, happé par son rêve, a apporté ce soir là, toute la poésie qui manquait parce que la salle très "people" était venu pour la Guillem ( d'ailleurs magnifique elle aussi!)
La première variation vous donnait la chair de poule: rien qu'avec un port de bras, un regard, une façon de placer la tête, Nicolas vous donnait à ressentir le spleen de ce jeune prince... quelques années plus tard, aux côtés de Letestu et de Paquette, il formait un trio en si parfaite symbiose qu'on ne pouvait plus quitter son fauteuil à la fin du ballet : on était " stupéfixié" comme le dirait JK Rowling... c'était une perfection pleine de " rasa"... je revois encore le cygne fragile, le précepteur dur comme le métal, et le prince, belle âme si fragile sombrant dans le lac déchaîné....
Et puis Albrecht : que sa partenaire soit Pujol ou A Dupont, ce prince amoureux et plein de culpabilité, livre son âme au public; les entrechats du dernier acte doivent donner les larmes aux yeux à Noureev qui les a, le premier, intégrés au ballet pour " qu'on entende les battements de coeur du Prince- " ( dixit Noureev) et quand Nicolas danse, on sent son coeur battre si fort que le nôtre s'arrête... inoubliable Albrecht....
rappelons nous de Basilio.... Pietra, Guillem, Letestu furent ses partenaires.... et Nicolas nous a enthousiasmé par sa fougue, sa drôlerie, sa virtuosité, son ardeur... on ressort du spectacle avec une joie de vivre qu'on porte longtemps en soi....
Son Heathcliff aux côtés de la magnifique MA Gillot, du ténébreux Romoli et du fragile Paquette était un condensé de cruauté, de passion et de désespoir...son Clavigo était trouble à souhait, maléfique, félin et cruel... son Faune, tout de désir paré... son Rendez vous donnait envie de le sauver, et son personnage dans suite of dance, plein d'ardeur, nous rappelle que la fougue vibre dans ses veines avec vigueur.... et que cette fougue est communicative... chaque rôle mériterait qu'on s'attarde pour en parler. Il suffit que je revois le ballet pour ressentir l'émotion et ce qie le personnage m'a transmis alors.... quand à son Quasimodo... si touchant si pathétique, si douloureux.... aux côtés de la si belle Guérin, il était fragile et emplissait le coeur des spectateurs de compassion...
Bref, même si c'est un peu absurde de réduire un artiste en mot, ceux qui me viennent pour Nicolas, sont virtuosité, puissance et âme; en scène, il ne danse pas : il est, il donne...
À noter le magnifique livre que lui a consacré Anne Deniau dont je parlerai dans un prochain article.
Un documentaire date de 1999 : il est superbe.... depuis, sa carrière s'est écoulée.... comme cela a passé vite, hélas...
à suivre : Nicolas Leriche, quelques autres rôles
Dvd, documentaires
lire aussi sur ce blog : caligula
et les articles suivants!
note du 13 avril :
A LIRE : les adieux de Nicolas Leriche