Bouleversant !
Il n’y a pas d’autres mots pour ce catalogue exclusivement consacré aux costumes des ballets de Noureev ; les costumes qu’il a portés, ou bien les costumes portés pour ces productions, par d’autres danseurs, et sur lesquels il avait un œil acéré !
Le plus émouvant, est sans doute le pantalon bouffant du Corsaire, reprisé un peu partout et dont Noureev ne voulait absolument pas se séparer. ( Il en avait un tout neuf qu’il n’a jamais porté !)
C’est avec ce costume qu’il avait dansé en URSS pour la première fois sa variation qui avait été bissée le jour du concours. Ce rôle du Corsaire sera un peu son « aria di baule » - airs de valises que tout castra, véritable rock star avant l’heure, trimbalait avec lui au 18ème -
C’est sans doute ce jour-là qu’il a pris son envol
Le pas de deux du Corsaire, qu’il dansera souvent – il y a une captation sur youtube avec M Fonteyn- le montre dans ce pantalon de harem vert, tout reprisé par lui même et par les danseuses qui l’entouraient et prenaient soin de lui.
À propos de ce fameux pas de deux, Noureev disait : « Pour la première fois de ma vie, le public réclama un bis ; c’était pour le pas de deux du Corsaire ; je le dansais à nouveau et les applaudissements furent encore plus forts qu’avant ; c’était grisant ; comme danser me semblait facile, imprévisible, source d’inspiration dans ce temps-là. Je ne savais pas si je pourrais faire à nouveau le pas que je venais de réussir, mais je sentais que j’y mettais tout mon être… et que danser devenait un jeu de vie ou de mort : gagner ou mourir ; je ne savais jamais ce qui allait arriver. Je suis sûr que cette qualité de liberté et de prise de risque se communiquait au public et qu’il sentait voir quelque chose de nouveau ; tandis que pour moi, cela tenait du miracle »
Dès son arrivée à l’ouest, Noureev qui n’a que 23 ans sait déjà parfaitement ce qu’il veut ; il danse dans les ballets du marquis de Cuevas, mais n’y est pas heureux. Il lui déclare :
« Je lui dis que si les costumes étaient superbes, ils étaient aussi beaucoup trop compliqués et distrayaient l’attention du public de la danse ; je lui dis qu’il était terrible pour des artistes d’avoir à suffoquer sous des décors et des costumes somptueux et que c’était précisément ce qui arrivait dans son ballet ; dans la foulée, j’ajoutai que l’art se définit en usant de petits moyens pour exprimer de grands sentiments et de grandes idées, et non le contraire comme c’était le cas dans sa production ou d’énormes moyens ne servaient de support à aucune idée et à aucune atmosphère. Je lui dis que je considérais comme une grave faute de goût de costumer hommes et femmes de la même manière dans l’acte III. Je terminai en lui disant que j’avais quitté le théâtre avec un sentiment de malaise et malheureux de l’absence générale de profondeur émotionnelle et que notre art fugitif ne pouvait être significatif que par la grandeur humaine de ses créateurs et de ses interprètes. »
En outre, dans ce livre magnifiquement illustré, on apprend que Noureev a bâti lui-même une fois pour toutes le patron de base de ses pourpoints. On voit aussi comment à partir d’un costume dessiné par une costumière, lui-même en simplifie la coupe, lui donne une sorte de côté incroyablement épuré, tout en lui donnant une élégance inimitable. Ce qui fait que quelle que soit ensuite la production dans laquelle il doit danser, il emmène les costumes qu’il préfère et danse avec, glissant au passage quelques conseils à ses partenaires, lorsqu’il trouve que leurs tutus sont tristounets pour qu’elles rajoutent perles ou strass… ce que s’empressent de faire Thesmard ou Piollet qui encourent ensuite les foudres de leur opéra….
Enfin, ce livre montre avec quelle énergie il a œuvré pour que les productions qu’il a montées un peu partout dans le monde répondent exactement et précisément à la vision qu’il en avait.
Le livre, abondamment illustré est tout à la fois beau et émouvant, et ouvre une nouvelle porte sur cette personnalité excessive et attachante.