Il y avait bien longtemps que j’avais envie de voir Alice Renavand dans un rôle classique. Je l’avais déjà repérée dans le corps de ballet lors d’une Sylphide, en 2005. Elle avait le petit plus qui fait qu’une personnalité émerge naturellement d’un groupe.
Quand à F. Alu j’en avais tant entendu parler que j’avais envie de le voir dans ce type d’œuvre ; il est tout jeune puisqu’il a19 ans !
Je dois dire que j’ai passé une soirée savoureuse, en partie grâce à ces deux danseurs : tout était vivant dans ce Don Quichotte du 19 décembre même si techniquement, les rôles titres n’ont pas été « éblouissants » !
Dans le premier acte, Renavand a été parfaite ; présence, gaieté, légèreté, enthousiasme.
Elle a beaucoup d’aisance dans les grands sauts, beaucoup d’énergie aussi, mais elle reste féminine, gracieuse. Sa première variation et la variation aux castagnettes étaient très enlevées
et Kitri était belle et bien là. (Bien plus que D. Gilbert qui ne sautait même pas le 12 !)
Son Basilio n’était pas en reste non. Avec F Alu, elle forme un couple vivant, qui déborde d’énergie. Cela doit être contagieux, car tout à coup, tout prend vie sur le plateau.
En outre, les deux amies étaient les fantastiques Froustey et Giezendanner qui s’accordent à merveille tout en conservant chacune sa personnalité. Féminines, gracieuses, ses danseuses ont une danse fluide, ample, généreuse ; elles dansent « large ».Une belle harmonie et beaucoup de joie de vivre se dégageaient des pas de trois ou quatre ou cinq dont est émaillé ce Don Quichotte.
Quand je repense à cette soirée, deux mots me viennent : jeunesse et fraîcheur. Pendant le premier acte, on ne pouvait qu’avoir le sourire aux lèvres.
L’Espada de F. Lorieux, à la danse bien plus incisive que celle du lyrique Duquenne formait un couple bien assorti avec la majestueuse Laura Hecquet, magnifique en danseuse des rues, dont j’avais beaucoup aimé l’interprétation le 12 décembre. Bref, ce premier acte était très réussi.
Au deuxième acte, tout cela retombe un peu en partie ; la scène avec les Gitans, aux éclairages trop sombres qui tassent tout le monde, est de ce fait, irrémédiablement gâtée pour moi; du haut du second balcon, toutes les silhouettes sont écrasées, tassées, par ces ombres monstrueuses, il est alors impossible alors de véritablement goûter la danse qui se déploie sur scène car tout est happé – danseurs, couleurs, pas, costumes – pas ces ombres noires qui engloutissent le plateau.
Un bravo cependant pour le beau et fier Gitan de Mathieu Botto moins virtuose semble-t-il que Madin mais très charismatique. Je dis semble t-il toujours à cause de la raison évoquée plus haut.
Dans la scène des Dryades, Renavand, crispée dans la redoutable variation de Dulcinée, perd de son charme ; le haut de son buste se raidit ainsi que ses bras, elle semble montrer ses limites.
Je n’ai pas particulièrement aimé la Reine des Dryades d’Albisson, mais malgré tout, il y avait une certaine poésie ; le Cupidon de Marine Ganio, espiègle et charmeur, m’a envoûtée !
Voilà une danseuse spirituelle, bondissante, légère qui donne à son Cupidon toute son éblouissante technique « l’air de rien ». Les pas sont ciselés, propres, précis, vifs et donnent à ce personnage de la fantaisie et de l’esprit !
Vient ensuite le redoutable troisième acte qui cueille des danseurs fatigués pour les pousser dans leurs limites techniques.
On retrouve dans la taverne toute la jeunesse réunie : les amies, Espada, Kitri, la danseuse de Rue, Basilio nous enthousiasment comme au premier acte. Puis vient le mariage.
L’orchestre qui ne brillait déjà pas par sa subtilité a vu tout à coup son tuba devenir fou et planter des grosses basses beuglantes hors tempo ! Erreur du chef ? Distraction du musicien ? C’était honteux ! Toute la présentation du couple en a été perturbée !
Les variations très techniques qui exigent une énergie hors du commun ont été exécutées avec ardeur et intensité à défaut de l’être avec virtuosité.
J’avoue que je n’aurais pas eu un regard aussi complaisant si les deux danseurs avaient été Etoiles. Mais Alu est juste coryphée et Renavand première danseuse. On ne place donc pas dans sa tête la barre aussi « haut » sur le plan technique que pour des étoiles.
Donc un troisième acte techniquement « honnête » mais là encore, un engagement, des prises de risque de la part de ces deux danseurs qui font fermer les yeux sur les équilibres un peu vacillants ou le manque d’ampleur de la danse. Au détour d’une pirouette qui s’achève avec un développé attitude, tout à coup, on retrouve chez F. Alu un peu de ce style si particulier à Noureev ! D’ailleurs ce qui m’a le plus séduit chez ce danseur, c’est son intelligence car sa technique encore un peu verte est largement compensée par une vraie compréhension des pas et une façon de les exécuter très claire.
Au final, j’ai quitté la salle heureuse parce que j’avais vu sur scène une troupe unie et visiblement heureuse de danser, ce qui n’était pas du tout le cas le 12 décembre. On ferme les yeux sur les petits « ratés » parce que l’essentiel a été atteint: partager avec le public le plaisir de la danse, en portant une œuvre avec enthousiasme, ardeur, conviction et talents.