Je n’ai malheureusement pas pu découvrir pour cette série Laura Hecquet et Audric Bezard mais j’ai pu à la dernière minute obtenir une place qui m’a permis de voir deux sujets, Hannah O’ Neill, que je ne connaissais pas du tout et Yannick Bittencourt.
Si les deux sujets ont largement dépassé mes attentes, pour le reste de la soirée, j’ai eu l’impression d’un fabuleux gâchis pour différentes raisons que voici :
1) tempi trop rapides; le corps de ballet court SANS ARRÊT après la musique; tout semble soit survitaminé, soit bâclé, personne n'a le temps de s'installer dans la danse. Il y a une telle effervescence sur le plateau et dans la fosse d’orchestre que le spectateur a l’impression d’assister à l’entrainement du marathon de Paris de ce week-end : épuisant
2) Les costumes, refaits, sont vraiment affreux.... ils n'étaient déjà pas merveilleux à la création, mais là toute l’harmonie des tons pastels est effacée au profit de chocs de couleurs plus criardes ; là où des parmes côtoyaient des safrans, des violets francs se heurtent à des orangés de mauvais goût
3) Les quatre petits cygnes de ce soir n’allaient vraiment pas ensemble ; on aurait dit les Daltons, rangés par ordre décroissant, et leur technique donnait l’impression qu’ils peinaient douloureusement dans chaque pas : un groupe de gnomes en goguette partis cueillir des champignons.
4) Horrible trio au premier acte – je ne mets pas les noms parce que ma volonté n’est pas d’être blessante mais de livrer tel quel mon ressenti : l'une des danseuses ne sait pas tenir ses bras, ils volent dans tous les sens, l'autre ne sait pas tenir sa tête : ses mouvements de cou manquent cruellement d'élégance, on dirait un gallinacé qui se réjouit par avance du festin de limaces qu’il va faire.
Alors, oui, la première a du ballon et le montre : elle saute comme une chèvre, mais tout cela n’est pas très gracieux…. J’ai revu ce trio dansé en 1997 par Bart, Letestu et Averty sur youtube, c’est quand même d’un autre niveau….
5) Paquette a revu sa conception de Rothbart, il en fait une caricature : il n’est plus un précepteur machiavélique qui manie le chaud et le froid mais un personnage violent, cruel, brutal avec le jeune prince. Cela manque de finesse ; il fait claquer sa cape sans arrêt, il est frénétique, et son interprétation est toute d’une pièce.
Voulait-il soutenir par une présence forte les deux jeunes sujets ?
Pense-t-il qu’au final Wolfgang est un monstre castrateur ?
Je ne sais pas, mais son double Wolfgang/ Rothbart de 2006 m’avait laissé un souvenir extraordinaire. Là, j’avais presque envie de rire quand, en Rothbart, il ressemble à un petit dragon monté sur ressort sorti tout droit d’un manga prêt à lancer des flammes ! Et pourtant, j’adore ce danseur depuis toujours et j’ai encore son merveilleux Chant de la Terre d’il y a quelques semaines en mémoire.
Certains duos avec le prince sont cependant très beaux et même émouvants, et celui qu’il forme au deuxième acte avec le cygne noir est splendide.
En revanche, le trio final retrouve une frénésie qui ne permet pas à l’émotion d’éclore.
6) A vouloir les rendre parfaits, comme une silhouette unique qui se démultiplierait à l’infini prisonnière d’un jeu de miroir, les 32 cygnes ont perdu leur âme : on dirait l’armée des clones de Georges Lukas…. Alors c’est vrai, pas un bras ne dépasse, pas une jambe n’est plus haute qu’une autre, tous les dos sont à la même hauteur lorsque les cygnes pleurent, mais quelle froideur ! Quelle sécheresse ! On dirait qu’on a vidé de toute émotion, de toute tendresse les ballerines qui ne semblent obnubiler que par une chose : être ensemble. C’est visuellement stupéfiant de perfection mais sur le plan de l’âme glaçant ; on ressent la peine, le mal que se donne le corps de ballet qui ne prend – en tout cas ce soir là – aucun plaisir à la danse.
7) Kevin Rhodes, le chef d’orchestre, avait du se faire ce soir-là une injection de Valéry Gergiev pour interpréter Tchaikovsky comme ça : allez hop, on court, on court, on fait brailler les cuivres, les timbales, les cymbales, vive la fête de la bière à Munich!!!!
C’est un chef que d’ordinaire j’aime bien et je l’ai connu plus subtil.
Alors, me direz- vous, vous avez dû trouver les sujets pas à la hauteur de vos attentes ?
Et bien c’est là que tout bascule : j’ai été sous le charme.
Je mentirai en disant que j’ai assisté à une prise de rôle spectaculaire ; mais ceci étant, il y a eu une magie, une osmose, et certains moments de danse – soit en soliste soit en duo ou trio – poétisaient délicieusement tout ce fatras.
La variation lente du prince au premier acte n’exprime pas mélancolie d’un jeune homme neurasthénique, mais la rêverie d'un adolescent plein de poésie qui aspire à découvrir la vie. Elle n’a pas encore le moelleux et la douloureuse intensité que Leriche lui donnait mais les lignes sont belles et le personnage se dessine rapidement et gagne notre sympathie. Yannick Bittencourt est longiligne, a un dos d’une très grande souplesse, des mouvements amples, il a du ballon, sa technique est solide il possède un vrai sens artistique. Suffisamment pour camper un personnage qui répond à sa conception du prince. Il lui manque encore un peu de profondeur dans les pliés, de respiration dans les mouvements qui vont venir au fur et à mesure
Il forme avec Hannah O Neill un couple où pour une fois, c’est la femme qui mène la danse : la princesse rassure et donne sa force au jeune Siegfried qui ne l’a pas effrayé longtemps avec son arbalète : car Odette faite cygne constate rapidement que ce prince n'a pas l'air bien solide ; elle s'en remet à lui, parce qu’il est beau, doux, mais elle ne pourra compter que sur son amour, par sur sa force pour échapper à Rothbart.
Hannah O Neil, est une femme avant d’être un cygne. En scène, dans le premier acte, elle est majestueuse ce qui pourrait sembler un contresens par rapport au rôle, mais son charisme est tel qu’on adhère à sa conception du personnage. Pas de souffrance excessive dans ses variations; c’est une « femme » forte qui a perdu sa liberté et qui, victime d’un sortilège, ne s’en sert pas faire larmoyer le prince ni pour s’en faire aimer. Elle a dû caractère, de la réflexion, de l’intelligence ; elle est très terrestre, ce qui ne retire rien à la beauté de sa danse. Ses bras sont beaux parce que son buste, ses épaules et son cou sont déliés et maîtrisés : tout le haut du corps respire.
Au second acte, elle campe une Odile délicieuse de spontanéité : création de Rothbart, elle fait à la lettre ce qu’il lui commande en s’amusant beaucoup, - et nous avec - pas par méchanceté mais parce que le prince est si facile à manipuler ! Elle n’est ni séductrice, ni vénéneuse, ni aguicheuse. Elle pourrait jouer sur sa beauté, elle préfère jouer sur un côté espiègle et malicieux. C’était sans doute le meilleur moment de la soirée. Hannah cisèle ses pas au millimètre près sans perdre un cheveu de sa beauté, de sa musicalité. Elle est vive, joyeuse, et berne le Prince comme un bateleur abuse les badauds avec ses tours de passe passe.
Le Prince lui, n'est plus qu'un pauvre enfant trompé, mais sa pureté et sa candeur sont telles chez lui qu’on ne prend en pitié.
Les fouettés du cygne noir étaient honnêtes sans être incisifs mais on devine qu’ils peuvent devenir éclatants car la technique est bien là et solide.
Les regards qu'elle échange avec Rothbart me resteront longtemps en mémoire.
Pour le dernier acte, les tempi sont enfin raisonnables et on se détend enfin.
Le duo entre le prince et la princesse cygne est poignant de douleur et de sobriété en même temps. La princesse cygne n'est pas désespérée, elle rassure le prince, elle semble chercher une solution; c'est une femme qui a du cran, du caractère et de l'intelligence.
Elle ne compte pas sur le prince, mais sur ses propres forces; l'amour est là, qui lui donne cette énergie.
Les deux jeunes sujets ne sont pas tombés dans les pièges de surjouer leurs personnages ou de choisir une danse " tape à l'oeil" ; ils ont avant tout incarné deux personnages s'appuyant sur leur technique pour les modeler comme ils le souhaitaient. Deux jeunes talents à suivre et on ne peut que féliciter Millepied du choix de ces artistes...
Deux belles prises de rôle, pleine de fraicheur et de jeunesse.
cela rappelle un peu Noureev qui se moquait éperdument de la hiérarchie : on était bon, on allait en scène, et du coup, tout le monde se sentait stimulé.
Si ce jeune directeur peut apporter cet air frais avec lui.... !
photographies : Ann Ray/ A Koizumu- ONP