Auditorium du Musée Guimet le 20 octobre 2012
Arushi Mudgal : danse Odissi
Sawani Mudgal, chant et nattuvangam
Srinivas Satapati, flûte
Pradipta Kumar Moharana, mardal
Arushi Mudgal a proposé un récital où alternaient danse pure et danse narrative (Abhinaya). Je pensais que 1h30 de danse sans décor, sans costume serait peut être long mais tout a été un pur délice. Cette danseuse, virtuose, dotée d’un sens théâtral totalement maîtrisé, est capable d’aborder toutes sortes de narrations ; à aucun moment, sa danse ne faiblit, même dans les pièces d’une très grande intensité, qui réclament des frappes de pieds d’une virtuosité hallucinante, ou des déplacements véloces qui exigent du danseur une très grande puissance et une maîtrise parfaite. Arushi a le buste, les bras et les mains totalement déliées ; sa danse respire naturellement; en vérité, c’est le fruit d’une travail long, exigeant, qu’elle mène sans relâche depuis sa toute petite enfance, puisqu’elle a commencé à la danse à 4 ans. Ainsi, Chouka et Tribangha se succèdent sans relâche, avec aisance, beauté, souplesse.
Arushi a dansé huit pièces, toutes très différentes les unes des autres. Après Mangalacharam au cours de laquelle la danseuse salue la terre, les dieux, le guru et l’assistance et demande à Ganesh de « lever tous les obstacles », Arushi a incarné Shiva et sa puissance absolue, (Shiva tandaram strotam) ; elle s’est montrée autoritaire, terrifiante et superbe ! Puis elle a épousé la douleur de la belle Radha, trahie par son amant (Ashtapati). Dans Oriya Champu, elle est devenue une Gopi commère, pleine de verve et d'humour, mais bonne copine quand même, qui met en garde Radha, amoureuse de Krishna : « tu vas te brûler les ailes, ma fille, à vouloir aimer un Dieu ! Tu vises trop haut, il n’est pour aucune de nous ! Et ensuite, que feras-tu à part verser toutes les larmes de ton corps ? » Son visage est expressif ; elle sait donner à son regard, à une inclination de la tête, à un mouvement de cou, à un menton pointé ou bien encore à un haussement de sourcil le sens exact qu’elle désire. Ainsi, sa théâtralité, ses qualités d’interprète s’accordent à merveille avec la virtuosité de sa danse pure.
Dans Aalhad, la danseuse ajuste au millimètre près ses frappes de pied aux percussions, offrant un moment saisissant de perfection. Arushi déploie ensuite toute la délicatesse raffinée dont elle est capable, comme dans Vasant, chorégraphié sur un poème en sanskrit du 6ème. Enfin, dans Kumara shambhava elle évoque avec des mouvements de poignets et des mudras précis et délicats le printemps et ses arbres en fleurs, les lotus épanouis, les parfums suaves, les fleurs et les oiseaux multicolores et bavards, les abeilles et les amoureux… Shiva et Parvâti.
Arushi a magnifiquement terminé son récital par une pièce mystique de pure beauté, qui évoque la terrible déesse Durga, (Bhairavi Pallavi) et la lumière s’est estompée sur une pause qui a rappelé la statuaire des temples de l’Orissa et l’origine de cette danse sacrée.
La danse d'Arushi est pure poésie, pure maîtrise, pure virtuosité ; en outre, elle est d'une expressivité spectaculaire ce qui fait que tout est très lisible, compréhensible, même pour un public qui ne serait pas du tout initié.
Preuve en est cet Ashtapati - poésie du 13 siècle, - évoquée plus où la gopi Radha, aimée de Krishna attend son retour au petit jour impatiemment ; elle se rend compte que l'amant a été infidèle : son corps porte même les traces de sa nuit d'amour. S'en suit une pièce bouleversante ou Radha, jalouse et malheureuse, exprime toute sa douleur, montre à Shiva comme elle se sent offensée, et l'invite à aller séduire toutes les Gopi ( gardiennes des vaches) si cela l'amuse. Dans sa douleur, elle reste digne...
Le père d’Arushi, Padmashree Madhup Mudgal, musicien et compositeur, dirige une grande école de musique et de danse à New Dehli ; sa tante, Madhavi, élève du grand Guru Kelucharan Mohapatra à qui j’ai déjà consacré un article, et qui a chorégraphié la plupart des pièces a été l’une des danseuses les plus réputées ; elle a formé Arushi et l’aide dans son travail chorégraphique. Sa sœur chante. Elle n'a pas ces voix nasillardes féminines que je déteste; au contraire. Son chant est beau, spirituel,tout comme la flûte qui accompagnait la danse. La musique jouée " live" était un plaisir à elle seule. Il y avait une osmose remarquable entre tous les artistes...
Le résultat est spectaculaire car l’Odissi se trouve remanié par toute cette famille, - on pourrait dire « modernisé » - Ces pièces dansées, pour la plupart chorégraphiées par Kelucharan acquièrent une dimension scénique ; certains passages sont coupés, d’autres, transformés, d’autres accueillent davantage de virtuosité. L’exploitation de la scène elle-même est différente : la danseuse l'utilise dans toutes les directions. Les tempi de certains passages sont accélérés pour rendre plus éclatante la virtuosité… bref, difficile dans certaines pièces de reconnaître le travail de Kelucharan, plus sobre, plus intime, plus destiné à une salle plus qu’à une scène.
Et pourtant !!!! Et pourtant, rien n’est trahi, au contraire ! L’esprit de l’Odissi est bien là… si l’on est un peu sensible, Rasa arrive avec la dernière pièce… c’est réel et c’est profond. Chacun le ressent qu’il soit dans une quête mystique ou non. La spiritualité reste bien au cœur de l’Odissi, qui n’est pas devenue un divertissement de scène pou Occidentaux en mal d’exotisme. Et c’est là que je salue ce travail exceptionnel : restituer l’âme de l’Odissi tout en l’adaptant aux exigences de la scène et à notre époque. Adapter sans trahir les fondements même de l’Odissi, dont la vocation première est d’élever l’âme du spectateur.
Ce qui me ramène à un article précédent où je m’inquiétais de l’avenir du ballet. Noureev n’est plus là pour donner son souffle, écrivais-je, et les ballets perdent peu à peu leur âme. Mais il suffira qu’un nouveau Noureev naisse pour que le ballet classique retrouve non seulement son éclat, mais surtout, sa raison d’être.
Vous trouverez sur Youtube presque toutes les videos que je cite; mais rien ne vaut le direct! impossible de retrouver les énergies du récital via une video...
Arushi et sa tante Madhavi