Je voudrais plutôt vous parler de la magie du spectacle en lui même... j'ai lu Casse noisette à l'âge de dix ans environs; ce conte écrit par Hoffmann est plus terrifiant qu'enchanteur ; il y a une violence tant de la part du monde des rats que de celle des enfants qui détruisent ou encore des parents qui ne comprennent rien à rien!... quand on est enfant et qu'on lit cela, ça ne rassure guère sur l'état du monde...
C'est vraiment cela qui me restait donc du Roi des rats, titre du conte.
Mais dans cette version, il y a une ambiance étonnante. Revenons un instant sur les danses des parents : on y j'y entend les motifs musicaux qui parcourent les oeuvres de Schumann, comme les variations ABBEG, ou Carnaval, inspirées elles aussi par les bals évoqués dans les nouvelles des romantiques allemands ( Je pense au Flegeljahre de Jean Paul). Cultivé comme il l'était, Noureev a parfaitement su entremêler tous les fils proposés par Dumas, Hoffmann, Schumann, Tchaikovsky, Petipa, en y ajoutant sa propre sensibilité
C'est magique d'assister à Casse noisette un 25 décembre. De s'émerveiller de l'arrivée des invités dans la rue, où tombe la neige, qui veillent à ce que leurs enfants soient bien comme il faut, à l'ennui que ceux ci ressentent face aux amusements des grandes personnes. Toute la vie apportée par les enfants turbulents, dissipés, qui égaillent ce grand salon bourgeois de leurs, bagarres, disputes, rires, jeux est parfaitement restituée par les enfants de l'école de danse.
J'ai pu goûter le tapotement des petites pattes de rats sur le sol, le combat des courageux soldats de plomb contre ces vilains rats ( enfants de l'école de danse vraiment craquants dans leur costume!!) la charge du Casse noisette et de ses petits hussards à cheval, l'arrivée flamboyante et magistrale du roi des rats qui terrifie Clara. Ce sont d'ailleurs les rats qui arracheront la robe de petite fille de Clara alors qu'elle tente de défendre son Casse Noisette contre les dents acérés et les griffes du Roi, immense et terrifiant
Heureusement, le Prince apparait, les fenêtres du salon s'ouvre sur les flocons de neige qui tourbillonnent dans le grand parc endormi où les branches nues et noires des arbres étendent leur mélancolie et leurs regrets au dessus des statues de pierre des anges bienveillants. Noureev n'est pas un bon chorégraphe? il suffit de regarder cette scène des flocons pour se persuader du contraire; tout est simple mais féérique ; aussi bien les vibrations des mains, que cette façon que les danseuses ont d'enrouler et de dérouler le corps sur elles même, comme le fond les tourbillons de neige... comme ceu que Noureev a connu enfant en Russie. La neige qui danse, qui couvre tout....
Les costumes de Georgiadis recouverts de strass argentés évoquent parfaitement le miroitement du givre sous la lune d'hiver, quand dans les nuits glacées, mais claires, les rayons lunaires argentent les paysages...
( hélas, ça ne se voit pas sur les écrans de télé, le miroitement des strass disparait)
La neige tombe à gros flocons.... s'élève alors les voix flûtées des fils et des filles de Snegourotchka, qui vibrent dans les rafales glacées du vent qui joue, danse, et emportent des tourbillons de neige...
C'est à ce moment qu'apparait le premier pas de deux entre le prince ( qui a les traits dans le rêve de clara de son oncle Drosselmeyer) et clara, jeune fille amoureuse...
Les pas de deux de casse noisette sont les plus légers, les plus gracieux, les plus vifs que j'aie jamais vus!
Ils ont une couleur qui leur est propre. Comme les tourbillons de neige, ils emportent le prince et clara dans une danse en mouvement perpétuel, légère comme des flocons, où l'on ressent en tant que spectateur l'ivresse que procure les sentiments amoureux : c'est frais, féérique, poétique, plein d'une extase quasi printanière; les danseurs alternent les grandes arabesques, les sauts, les mouvements amples qui traduisent l'immensité de leurs sentiments, leur frénésie aussi, avec des petits pas pleins de vie, raffinés, délicats et fragile comme le givre.
La partition livre des pages aux grandes envolées lyriques, comme seuls les compositeurs russes savent en écrire sans crainte d'exprimer leurs sentiments profonds. Tout est en accord. Danseurs, spectateurs, musiciens, décors, tout le monde est emporté dans un même souffle qui, lorsque j'y pense, traduit complètement ce que je ressens le soir de Noel : tout est possible, tout est neuf, tout est magique, le monde est poésie et féérie ( ensuite, ce sentiment retombe plus ou moins!!!) Merci à Noureev d'avoir si bien su comprendre l'essence de la magie de Noël, lui, qui enfant, n'a connu que le froid, la misère et la faim...
Après ce pas de deux, défileront d'autres scènes : d'épouvantes, quand Clara voit horrifié son casse noisette, puis son oncle dévorés par les rats sous ses yeux, quand les grandes personnes viendront la tourmenter...
est ce la réminiscence de cette scène que raconte Noureev, lorsque son père l'avait emmené dans la forêt et l'y avait abondonné, ( en fait, il l'espionnait caché derrière un arbre) pour voir s'il avait du courage, sachant que les loups n'étaient pas loin? Noureev évoquait cette scène avec beaucoup de haine, montrant par la la cruauté de certains adultes...
mais très vite, le prince a ses côtés lui montrera la poésie possible des choses : comme dans les contes de Hoffmann ou de Gautier, les figures de la tapisserie de sa chambre prendront vie
Là aussi, la vie de Noureev a servi de fil à la relecture de son Casse noisette. Il s'est toujours entouré d'oeuvres d'art, sa chambre en regorgeait, peut être lui aussi voyait il ses icônes russes s'animer dans sa chambre la nuit...
Puis viendront la grande valse des fleurs, magnifiquement interprétée ce soir là par l'opéra de Paris, et le sublime pas de deux final, plus grave, moins adolescent que le premier, mais d'une singulière et envoûtante beauté
La aussi, reparait le goût qu'avait Noureev pour le " grand siècle" de Louis XIV même si les costumes sont ici plus "louis XV"... je ne peux m'empêcher de penser aussi à Louis II de Bavière qui avait ce même amour pour Louis XIV, d'où la galerie des glaces d'un de ses chateaux; les deux partagent la même démesure...
La danseuse abandonne sa robe de petite fille ( ou plutôt la combinaison qu'elle avait dessous, puisque les rats la lui avaient arraché) pour revêtir un splendide tutu doré et un diadème qui rappelle les coiffes russes. Elle est parée de bijoux, elle devient femme, en quelques sortes, dans son rêve tout au moins...
Je reviens une fois encore sur la beauté de la danse offerte par M Ganio et D Gilbert
Il y a eu de grands moments de grâce dans ce qu'ils ont offert au public
Des moments où la beauté est telle que l'âme en est saisie
Les yogi tantrique disent que si l'âme est " frappée" suffisamment fort dans la contemplation en un instant de la beauté, la libération peut arriver
bon, je suppose qu'au préalable, l'individu aura fait moult méditation
mais ceci pour dire à quel point ils tiennent en estime le pouvoir de la beauté esthétique sur l'être humain
ce qui est traduit par la notion de " rasa" en sanskrit
c'est vraiment à cette rasa que j'ai goûté ce soir là, en voyant ce casse noisette de Noureev
Depuis j'ai exhumé ma vieille cassette VHS avec Maurin, Hilaire... je reviendrai en parler bientôt!!!
Pour finir, une belle image de M Ould Braham et de J Bélingard