"C'est comme dans Pétrouchka, disait Noureev, la vie s'écoule au dehors, bruyante et joyeuse, et à l'intérieur du petit théâtre de foire - dans l'univers clos de la boîte - se joue un drame intime."
Casse noisette, conte de Noël?
C'est plus que cela... il y a une profondeur, une mélancolie dans l'oeuvre de Noureev qui l'éloigne des versions bêbêtes données par les autres compagnies.
C'est déjà une partition d'une envoûtante beauté, où les mélodies tour à tour enchantent, ensorcèlent ou bien attristent .
L'émotion, dans Casse noisette, c'est déjà les voix, les instruments qui s'associent et se répondent plein de gaité ou de larmes. Casse noisette est traversée par un souffle magistral, gigantesque, et tellement russe...
Les sons de la fée Dragée déposent leurs givres sur les arbres dénudés que le gel a blanchi... la valse des flocons de neige virevolte sur un paysage qui disparait peu à peu, engloutis dans le silence blanc, les contrebasson, basson, clarinette graves boisent ces paysages profonds et mélancoliques où frémissent les cordes et les voix d'enfants, qui un jour, peut être, seront vieux...
profondeur, tristesse, poésie, candeur.. tout est là, dans ce pays imaginaire, ce pays du jamais jamais, où l'on va quand on est enfant triste...
Alors on fait surgir des hordes de rats qui se battent contre des soldats de bois, un casse noisette vous emporte dans un pays de neige où se dessinent les poétiques silhouettes des grands angesde pierre qui veillent sur des temps révolus, on regarde émerveillée les créatures s'animer...est ce qu'on y croit vraiment? est ce qu'on fait semblant? quand la famille réapparait au milieu de ce pays du jamais jamais, le rêve devient épouvante et il faut s'en protéger...
Le drame intime dans le conte d'enfant... Si Noureev l'a mis avec tant de simplicité touchante, mais tant de force aussi, c'est que ce drame le touche de près
Il vit loin de sa Russie, de ses neiges, de sa famille... de sa mère.
Clara, l'enfant, n'est comprise que d'un seul des adultes invités au reveillon de Noel. Son bizarre oncle, Drosselmeyer, qui lui offre le casse noisette; ce seul adulte, un tant soit peu interessant et aimant devient prince pendant le sommeil de Clara; ensemble, ils découvrent lepays du jamais jamais, loin de l'intimité de la maison sombre où l'on fête Noël, et de ses invités qui respirent l'ennui... tout comme Peter emmenait avec lui Wendy et les enfants...
La valse des flocons de neige restitue à elle seule toute l'âme russe : Noureev avec son fantastique costumier et décorateur Georgiadis, a su mettre en scène cette valse en lui donnant une poésie que je n'ai vue dans aucune autre production : soit les flocons sont ridicules, soit les décors sont ridicules - ou pires les deux ( flocons affublés de gros pompons blancs qui gênent les danseuses, rose bonbon des décors, coiffes de mauvais goût, arbres recouvert de fausse neige qui font pitié! - soit la chorégraphie est bêbête...
là, c'est le grand hiver russe, poétique où l'on devine l'ombre de Snegourotchka, dans ce pays du jamais jamais où rien ne blesse, ou tout est immense et blanc...
Le casse noisette de Noureev redonne toute sa place à l'enfance et au monde de l'enfance... celle où les ombres de l'angoisse se profilent et sont tenus en échec par le monde imaginaire, le monde de Noël où il est permis de croire que tout ira bien, que tout est possible....
à suivre