Le Centre national du costume, qui a ouvert ses portes en juin 2006 à Moulins et qui est le premier au monde à conserver les costumes de trois grands centres – la Comédie Française, l’Opéra de Paris et la Bibliothèque de France, propose du 16 juin ou 31 décembre une exposition autour du ballet La Source.
Un ballet oublié
Cette oeuvre créée le 12 novembre 1866 sur une musique de Delibes et de Minkus – trottait depuis quelque temps déjà dans la tête de JG Bart ancien danseur étoile de l’opéra de Paris, lorsque B. Lefevre, la directrice de la danse, lui donna l’occasion concrète d’en re-créer la chorégraphie, avec l'aide de Marc Olivier Dupin qui a assuré la réalisation.
Il ne restait pas grand-chose du ballet de 1866 : quelques dessins, ou illustrations : JG Bart eut donc toute latitude pour donner vie à une création totalement originale.
Une oeuvre entre tradition et modernité
Autour de lui s’est rapidement rassemblée une équipe de grands talents : tout d'abord, C Hervieu Léger pour le conseiller dans la dramaturgie, puis Éric Ruf pour les décors, et Christian Lacroix pour les costumes. Ce dernier a déjà travaillé à plusieurs reprises pour les théâtres et pour l’Opéra de Paris. Annie Deniau – l’auteure du magnifique livre sur N. Leriche – fut invitée à réaliser un reportage photos depuis la conception du ballet jusqu’à sa présentation sur la scène. La plupart de ses photos illustrent le catalogue de l’exposition.
C'est la première fois à l’opéra qu’un ballet du 19ème est créé sans aucune référence à la chorégraphie originale. Pour tous les artistes, il s’agissait de présenter une œuvre d’aujourd'hui, mais en hommage au passé. Tradition et modernité devaient cohabiter dans la fluidité. JG Bart était tout désigné pour utiliser le langage classique qu’il connaît si bien et qu’il aime, en ajoutant des pas faussement empruntés à la danse de caractère comme c’était si souvent le cas dans les grands ballets du 19ème.
Sans doute est-ce la raison pour laquelle le résultat final est conforme aux espérances des créateurs. Eric Ruf , Christian Lacroix et JG Bart ont su insuffler ce qu’il fallait de modernité à cette oeuvre collective pour l’inscrire dans le 21ème tout en gardant une esthétique très proche de celles des ballets néo-classiques du 19ème. Par exemple, les cordages qui délimitent l’espace et évoquent la forêt, ont été inspiré à Eric Ruf par ce qui restait du rideau de l’ ancien opéra qui a brûlé : la référence au passé est là, mais les décors sont résolument contemporains. À cette équipe artistique s’est ajoutée Dominique Brugières aux lumières, qui a réalisé un travail exceptionnel.
Christian Lacroix a très souvent collaboré à des oeuvres théâtrales. Il est passé maître dans l'art de créer des costumes colorés, gais, vivants, qui emportent pour le spectateur dans un monde poétique, où l'oeil se délecte de la richesse de son imagination, toujours au service de l'histoire à raconter.
Christian Lacroix réinvente l'orientalisme
Christian Lacroix s’exprime ainsi :
« J’avais envie de donner l’impression que ces costumes, comme le ballet, avaient été sortis d’un long sommeil, dans leur fraîcheur et leur mémoire, avec des aspects rustiques contrastant avec l’opulence des brocarts, des ornements, des bijoux »
Les Nymphes, vêtues de longs tutus romantiques aux jupes d’organza japonais - le tissu le plus léger du monde qui flotte autour d’elles au moindre mouvement, accentuant toute l’irréalité des personnages - sont coiffées de très délicates coiffures ornées de strass Swarowski. Un partenariat, mis en place depuis quelques années avec les ateliers Swarowski, spécialisés dans la création de cristaux, a resserré ses liens plus précisément sur cette œuvre.
Les odalisques, parées de pantalons et de tuniques taillés dans des saris anciens, côtoient des Caucasiens aux grands et somptueux manteaux. Leurs compagnes portent des robes colorées, composées de riches brocards, qui rappellent les vêtements traditionnels. Nous sommes au cœur du travail de Christian Lacroix qui réinvente l’orientalisme. Cette esthétique a soufflé sur les ballets du 19ème, influencés par la découverte des cultures « exotiques » parfois imaginaires, qu’ont décrites Hugo ou Nerval, qu’ont peintes Delacroix, Fromentin ou Gérôme, ou qu’a mises en musique Félicien David. Ici, l’orientalisme est un peu russe, et son le coloris rappelle davantage un Borodine qu’un Delibes ou un Minkus. C’est ce qui rend l’œuvre particulièrement originale.
Par ailleurs, C Lacroix s’inspire aussi d’une très riche iconographie qui sera en partie présentée au public de l’exposition, ainsi que des costumes ethniques prêtés par le musée du quai Branly. Une fois dessinés, les costumes ont ensuite été créés dans les différents ateliers de couture de l’opéra Garnier, répartis entre l’atelier du « flou » - les jupes des tutus par exemple – l’atelier tailleur, pour les costumes plus masculins, l’atelier décoration pour les bijoux, les accessoires, les teintures, les patines, et l’atelier modiste pour les coiffes, les chapeaux. Tout est réalisé à la main, à l’opéra, comme dans les plus grandes maisons de couture. Il est amusant de savoir que des mannequins capables de prendre des positions de danseurs ont été spécialement créés pour réaliser ces costumes par Daniel Cendron, artiste plasticien spécialiste de la fabrication de faux corps.)
L’exposition est comme un grand voyage qui plonge le spectateur des ateliers jusqu’à la scène. Les maquettes des décors sont visibles elles aussi – Eric Ruf les a créés dans sa loge à la Comédie Française.
Elle est complétée par des projections videos à l'auditorium, des ateliers de pratique, un centre de documentation où l'on peut trouver de nombreux ouvrages sur les costumes et leur histoire.
A lire prochainement sur ce blog : La Source, de JG Bart : hommage ou nostalgie?
Informations pratiques :
CNCS : Quartier Villars- Route de Montily - 03000 Moulins
TEl : O4 70 20 76 20
ou www.cncs.fr