Voilà plusieurs années déjà que je voulais voir Cyrano de Bergerac dans la mise en scène de Podalydès, rêvant à travers la distribution papier d’une sorte de perfection théâtrale.
J’en suis ressortie très déçue ; le texte magnifique de Rostand cohabite avec une mise en scène curieuse dans sa volonté à la fois de rappeler l'époque à laquelle a été écrite le texte, de lui donner en même temps un ancrage dans « l’époque » de l'histoire, tout en la rendant contemporaine. Trois temps en un qui rendent le tout bancal... par exemple, le siège d'Arras évoque la guerre 1914... Roxane arrive d'ailleurs non pas " dans un carosse" mais dans un avion...elle porte un costume d'aviateur; les cadets sont en bleu dans un décor rouge et rappellent les soldats lors de ce conflit...
A ce méli-mélo temporel se mêle dès l’ouverture un autre méli-mélo de fort mauvais goût.
Certes, il ne doit guère être facile de donner des corps à toutes ces voix qui fusent au début, et qui réclament pour entrer au théâtre la gratuité sous les prétextes les plus farfelus. L’ambiance très Baz Lurhmann est pour le moins déstabilisante : trop de bruit, trop d’effets, et surtout une volonté de gommer l’époque même de Cyrano. On est projeté dans une ambiance à la Moulin Rouge du même réalisateur que je citais plus haut. Il y a même un écran qui permet de visualiser ce qui se passe une fois l'entrée du théâtre franchi.
Si vous ajoutez au tout une musique envahissante, tonitruante - tel le Boléro de Ravel, ou la Valse de Chostakovith - vous aurez compris qu'on est dans un spectacle " pitre" ou rien n'est vraiment sérieux...
La scène de l'hôtel Bourguignon qui laisse étourdi permet de réaliser assez vite qu’on ne trouvera pas là l’une des notes essentielles à ce Cyrano : la sensibilité. Ce personnage perd sa souffrance, perd son cœur, pour n’être plus qu’un polichinelle virevoltant, plein de panache et d’esprit. Mais de cœur : point !
Alors oui, c'est brillant, tourbillonnant, bien joué, mais à aucun moment l’émotion ne se laisse sentir, ni même deviner. A aucun moment le texte de Rostand qui est pourtant gorgé d’émotion sur le fil ne prend son envol. Il ne reste que la « farce ».
Vuillermoz que j'ai tant aimé dans les Trois Soeurs campe un Cyrano brillant, drôle, ingénieux, mais il ne souffre jamais même lorsqu’il comprend que Roxane ne l’aime pas. A la limite, cela l’arrange. Il peut déployer son esprit et son astuce. Il ne déclare donc plus son amour à Roxane, mais se sert de Christian comme prétexte à jouer avec les mots, à faire briller son esprit. L'amour se désincarne et ne devient plus qu'une passion intellectuelle. La scène du balcon devient clownesque avec une Roxane suspendue dans les airs comme un saucisson, et qui bat des bras pendant tout le dialogue, le tout accompagné par une musique sirupeuse …
Cette Roxane, plus femme de tête plus que de cœur a de l’énergie à revendre. Elle n’est ni une précieuse, ni une jeune femme touchée par l’amour, mais un être épris de liberté qui vit comme elle l’entend. Elle empoigne sa vie à bras le corps, tout comme son brillant cousin Cyrano.
C’est pour ainsi dire son double féminin. On se demande même comment elle peut aimer Christian.
De tous, c’est d’ailleurs ce personnage ( Loic Corbery) qui m’a le plus convaincue dans son rôle d’amoureux qui ne manque pas de courage mais de mot. Il donne une vraie profondeur à cet cadet amoureux et gauche et on s’y attache. Il est sobre, humain, vivant. Authentique.
Tous les autres rôles sont déshumanisés si on réfléchit bien, ils sont là pour mettre en valeur un texte mais sans référence à un univers d'humain. Ils renforcent donc le " théâtre où tout est pour de faux". Il semblerait que ce soit une volonté de Podalydès que de tirer ce Cyrano du côté de la comedia dell'arte. Les personnages deviennent des sortes de clowns qui pas un instant ne croient en leur réalité, en leur destin. C'est flagrant lorsque Cyrano fait mine de tomber de la lune, pour retarder de Guiche ( qui ne m'a laissé AUCUN souvenir) et permettre le mariage de sa cousine. Cyrano se pare du masque du Pulcinella de la comédia. Vuillermoz s'en donne à coeur joie, certes, mais la scène m'a paru bien longue...
Masque de Pulcinella
Finalement, l'acte que j'ai préféré est le dernier, lorsque Cyrano va mourir et rend visite à Roxane au couvent même si le côté polichinelle reste jusqu'au bout pour le personnage de Cyrano, car la mise en scène était plus sobre. On rencontre un peu d’émotion…enfin… il était temps... trois heures ont déjà passé...
Quel dommage de ne pas avoir réellement rencontré ce soir là « Ragueneau, mon ami, pâtissier et poète » ou encore Le Bret, camarade de Cyrano « Dis moi tout bas qu’elle ne t’aime pas » ou bien la Duègne en manque de plaisir. « Aimez-vous les gâteaux que l’on appelle petit chou ?
- J’en suis férue à en périr» sans parler de Lignière... "j'ai écrit une chanson.... comme c'était méchant!!!"
Dommage aussi que les compagnons d’armes de Cyrano ne soient pas plus crédibles, que De Guiche pâlisse face au pitre qu’est Cyrano…
Dans cette mise en scène, la pièce devient creuse, un peu vaine, artificielle. Pour faire briller les mots, on gomme tout le reste.
Pour me consoler, je me suis ruée le soir même sur la plus belle version cinématographique qui soit, celle de Rappeneau, où l’intelligence de la mise en scène rivalise avec l’intensité et la diversité des émotions présentes…
Quoi, me direz vous, préférer le cinéma au théâtre où tout vit!
Et bien oui, je l'avoue, ce film habite mon coeur à jamais, tandis que la mise en scène, elle, sera vite oubliée....
Crédit photo R Gaillarde et B Enguérand.