Devdas
Pour la première fois de ma vie, je suis face à une énigme. Elle se nomme Devdas ! Lorsque mon professeur d’Odissi m’a conseillée de voir les chorégraphies du film afin d’observer les attitudes et expressions des danseuses, tout à fait dans la lignée des Gopi amoureuses, j’ai d’abord été sur Youtube, mais ai finalement décidé de m’offrir le double DVD, le second proposant des bonus qui m’intéressaient : interview du réalisateur, de Maria Kiran, et même un double commentaire sur l’une des chorégraphies par Kader Belarbi et Maria Kiran.
À peine le début du film commença-t-il que je me suis mise à pouffer ! Quoi ? Devdas sélectionné pour Cannes, un vulgaire Feux de l’amour version indienne ?
Je n’en croyais pas mes yeux : personnages grotesques, mise en scène ridicule, émotions excessives – pendant tout le film, il y a toujours un personnage qui pleure – et puis surtout, le propos machiste du film m’a été insupportable. En outre, la version française est ignoble, mal doublée, et les voix ne vont pas avec les personnages. En version originale, c’est plus acceptable.
L'histoire
Parvâti, l’amoureuse de Devdas, qui l’a attendu patiemment dix ans, entretenant symboliquement la lampe à huile sans jamais l’avoir laissée s’éteindre une seule fois, ne reçoit de son amoureux que des blessures morales ou physiques. Le sommet de sa violence se manifeste dans la scène où il la blesse cruellement au front avec un collier, lui disant que la cicatrice qui la défigurera pour toujours sera la marque de son amour. Croyez-vous que la belle se rebelle ? Non, heureuse de porter cette cicatrice, elle le remercie de lui avoir fait cette marque !
J’en suis restée sans voix !
La suite n’est guère mieux ! Devdas, qui n’a pas voulu épouser Parvati, car de caste inférieure à la sienne — finit par arriver de son plein gré chez la belle courtisane Chandramuki et là, à nouveau insultes et mépris alors que la belle le console, le soigne, et dit gentiment qu’elle est habituée à être humiliée.
Le personnage est-il sympathique ? Que nenni : il s’apitoie sur son sort, il geint, se plaint, se noie dans l’alcool, pendant que les deux femmes s’évertuent à trouver des solutions pour le rendre heureux !
Les hommes sont tous monstrueux dans le film : entre le mari de Parvati qui finit par la séquestrer, son beau-frère qui a des vues sur elle, s’encanaille dans les bordels alors qu’il a chez lui une toute jeune et ravissante épousée et finit par l’humilier publiquement, et le père de Devdas qui ne sait que crier et battre ! Quelle société !
J’ai passé à la télécommande rapide la dernière demi-heure, car Devdas n’en finissait pas de mourir. La mise en scène atteint le sommet du grandiloquent et du grotesque : ralenti, effet de couleurs tapageur, flots de larmes….
La place des femmes dans ce film?
À la fin du film, je me suis sérieusement posé des questions sur la place de la femme dans ce genre de cinéma et surtout je me suis demandé comment les femmes reçoivent ce genre de film en Inde.
Le réalisateur prétend qu’il offre un cinéma populaire qu’on va voir en famille. Mais alors, quelles images les femmes ont-elles d’elles-mêmes ? Soumission, amour désintéressé, coups, blessures morales et physiques... Le tout enrobé dans des décors kitschissimes et des costumes somptueux pour faire passer le tout ?
Intriguée, j’ai fini par acheter le roman, espérant trouver des réponses dans la lecture. Ce fut pire encore, car dès l’enfance, on voit Parvâti brutalisée par Devdas (elle rentre un jour chez elle le dos en sang). Elle y est décrite comme orgueilleuse, alors qu’elle souhaite simplement être respectée. Ce qui m’a littéralement interloquée est le mot de la fin de l’auteur qui écrit :
« Je n'ai aucune idée de ce que Parvâti est devenue maintenant à la suite de tant d'années.
Je ne cherche pas à le savoir non plus. Mais c'est pour Devdas que j'éprouve un profond chagrin. Après avoir lu l'histoire tragique de sa vie, vous éprouverez sans doute le même sentiment que moi. Néanmoins, si jamais vous rencontrez un malheureux, un débauché et un pêcheur comme Devdas, alors priez pour son âme. Priez pour que, quoi qu'il advienne, personne ne meure de la même façon pitoyable que Devdas. La mort n'épargne personne. Mais qu'à cette dernière heure, le front du mort reçoive le toucher de doigts affectueux, que la flamme de sa vie s'éteigne sous le regard d'un visage empli d'affection et de compassion, qu'il voie au moins une larme dans les yeux d'un être humain. Ce serait pour lui un bonheur suffisant au moment de son départ pour l'autre monde. "
La question est : "Est-ce une déclaration de l’auteur ou du narrateur ? Par un biais subtil, si subtil que je ne le perçois pas, l’auteur dénonce-t-il au final la condition de la femme en Inde ? Veut-il montrer à quel point l’homme est gâté, et la femme soumise ? " Je n’en sais rien ! Le récit, plein d’ambigüités, décrit l’amour-obsession que Devdas et Parvâti éprouvent l’un pour l’autre, dans un jeu de dominant-dominée. Mais est-ce de l’amour ? Plus tard, Chandramuki la courtisane vouera une passion tout aussi brûlante à Devdas, tentant de le soigner, de le guérir, se transformant à la fois en infirmière, sœur, confidente…
Alors, me direz-vous, pourquoi avez-vous regardé jusqu’au bout ?
Parce que j’ai été fascinée par l’actrice Madhuri Dixit ! Un vrai coup de foudre ! C’est une danseuse exceptionnelle et elle donne au film une indéniable profondeur. Son personnage a un charisme étonnant ; on devine que cette femme n’a pas eu le choix ; que malgré tout, elle est digne ; qu’elle sait en imposer aux hommes ; qu’elle est bonne, charitable, dévouée ; qu’elle a décidé une fois pour toutes d’être heureuse, ou tout au moins de le paraître.
Et c’est là qu’il me faut vous parler de la danse dans ce film, une vraie réussite !
Une fois habituée au style musical ‘populaire’ et aux voix aigües des filles, j’ai pu réellement apprécier la beauté des chorégraphies et leur inventivité. Contrairement aux autres films bollywood, ce ne sont pas des " clips" sortis tout droit de MTV; non, il y a eu un vrai travail chorégraphique fait par des danseurs et chorégraphes rompus aux danses indiennes classiques.
Pour ces deux raisons - l’extraordinaire Madhuri qui insuffle un peu de son âme aux deux poupées de cire que sont Devdas et Chandramuki et les chorégraphies – Devdas a commencé à me hanter. Revu une seconde fois quasiment en entier, puis encore plusieurs fois juste pour les passages dansés, le film m'est resté indigeste mais j'ai pu apprécier la magie et la pertinence des danses : elles emmènent le récit vers la mythologie, avec Krishna grand séducteur de gopis (ce sont les gardiennes de troupeaux avec lesquelles le Dieu batifole tant et plus -, qui trompe sans cesse sa chère Radha, qui se comporte comme un adolescent attardé…
Il parait que c’est ce que souhaitaient les chorégraphes : transposer Devdas/Parvâti/ Chandramuki en Krishna, Radha et Madurai…
Pour ce faire, ils ont largement emprunté à l’Odissi, au Kathak, aux danses populaires indiennes, le tout mélangé à des influences occidentales…
Vu sous cet angle, le film ne serait alors qu’un prétexte à mettre en danse de façon populaire, colorée, festive, luxueuses, la mythologie bien connue des Indiens ?
Cet argument ne tient qu’à moitié car d’une part, le film est réalisé d’après l’œuvre de Chatterjee, au message trouble, deuxièmement, la durée totale des danses représentent environ 35 minutes pour trois heures de film.
Il est temps à présent d’entrer dans chacune des chorégraphies et de les relier aux danses classiques indiennes.
L’analyse de tout ceci pour un second article !
Prochain article : le détail des danses dans Devdas
Radha et Krishna près de la rivière Yamuna
Parvâti et Chandramuki fêtent Durga