Je réédite cet article car l'oeuvre sera redonnée la saison prochaine et d'autres articles vont venir s'ajouter!
Ezio Frigerio et Rudolf Noureev – Autour de Roméo et Juliette. Volet 1
Noureev a principalement travaillé avec deux décorateurs et costumiers : Ezio Frigerio et Nicholas Georgiadhis.
Il connaissait bien le dernier qui oeuvrait pour le Royal Opera Ballet, troupe à laquelle il était rattaché au début de son arrivée à « l'Ouest ».
En 1981, pour sa première collaboration à l’opéra, Noureev est appelé par la directrice Rosella Hightower à remonter Don Quichotte, comme il l’a déjà fait pour d’autres compagnies. Il demande à Georgiadhis de faire décor et costumes. Ceux-ci seront conservés jusqu’en 2001, date à laquelle une nouvelle production est commandée… qui est d’ailleurs loin d’être une réussite. Nous sommes nombreux à regretter les magnifiques tutus vert d’eau des Dryades et leur écrin…
Ezio Frigerio travaillera une première fois avec Noureev sur Roméo et Juliette. Il raconte : « Noureev m’a un jour appelé,j'étais à Rome, et il semblait que ce soit une question de vie ou de mort, il fallait que je vienne immédiatement ! » Il ajoute : « Noureev avait une vraie passion pour la Renaissance italienne, mais cette culture s’était faite avec des images d’Epinal qui avaient peu à voir avec la véritable Renaissance. »
Noureev avait dansé son premier Roméo dans la chorégraphie de McMillan avec Margot Fonteyn (Juliette) et cela avait été pour lui une révélation. Lorsqu’on lui passe une dizaine d’années plus tard la commande d’une chorégraphie nouvelle pour le London festival ballet, il est déjà engagé sur un autre projet, cinématographique celui-là : Valentino. Il créera le rôle de Juliette sur Patricia Ruanne. Je reviendrai sur les conditions si particulière de cette création dans un autre article.
L’opéra de Paris a gardé quelques maquettes de la chambre de Juliette qui baignait dans un clair de lune romantique.
chambre London Festival
Frigerio en voyant celles-ci comprend l’ampleur de sa tâche. « Je l’ai donc emmené se promener au milieu de cette culture si bizarre de la Renaissance Italienne" dit Ezio qui se rend compte que Noureev ne rentre pas dans certaines peintures ou décorations. "Il avait des goûts très arrêtés avec lesquels je n’étais pas d’accord. Il voulait que la chambre s’ouvre sur un décor romantique, très 19ème siècle, comme c’était le cas pour la production de Londres. Il avait une vision de l’art baroque toute personnelle », ajoute-t-il encore. Et il conclut « J’ai fait au mieux pour à la fois satisfaire son goût oriental de la surcharge, et en même temps pour rester fidèle à mon propre style. Cela a été loin d’être facile, et de tout repos. Mais je crois qu’au final, il était vraiment content »
Chambre Paris 1984
C’est la raison pour laquelle, le tout premier décor prévu pour Garnier, présentait la chambre de Juliette s’ouvrant sur la place de Vérone qu’on devine au loin. Frigério s’est inspiré de peinture, « la città ideale » afin d’évoquer Vérone. Il sait qu’au fond la ville de Vérone est secondaire, car Shakespeare lui-même n’en a qu’une vague idée. Lorsque le ballet est repris en 1995 pour Bastille, Frigerio revoit ses maquettes avec en tête les derniers souhaits de Noureev qui au fil du temps, a modifié sa conception de Roméo, abandonnant un certain réalisme pour une vision plus allégorique.
Chambre Paris 1995
Il pense que rendre la mort partout présente est la clé de l’œuvre et décide donc que la chambre n’aura plus cette grande baie ouverte sur une ville lumineuse, écrasée de chaleur et de poussière, mais sera cloisonnée par des lambris. Pour Frigerio, cela permettait de donner plus de profondeur, de poids, au drame, et au spectateur un sentiment d’oppression, de fatalité. Dès le début, le spectateur pressent ce qui attend les héros qui vont mourir les uns après les autres : Mercutio, Tybalt, Pâris, Roméo, Juliette; toute une jeunesse qui disparaît.
J’avoue que la toute première fois, en voyant ce décor, j’ai amèrement regretté la chambre romantique et son ouverture. Mais Frigerio a mille fois raison : le drame shakespearien prend plus de densité de cette façon.
Noureev a toujours su d’instinct s’en remettre à des artistes de grands talents ; d’ailleurs, disent ses proches, il avait toujours un goût très sûr lorsqu’il chinait des antiquités. C’est ce qui manque aujourd'hui à l’opéra de Paris et les restrictions budgétaires n’en sont pas les seules raisons. Il n’y a plus son œil pour tout superviser, un peu comme un Louis XIV qui, parmi les maquettes du Louvre, a choisi la plus sobre et la plus puissante, ou encore qui a donné à Versailles sa grandeur.
( à suivre)