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  • : Un jour, une œuvre
  • : Créé en 2006, ce blog rédigé par Valérie Beck autrefois consacré à la danse et à ma compagnie se diversifie davantage.
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Noureev

 

Danser, telle la phalène sous la lune, le pinceau du calligraphe, ou l'atome dans l'infini 

                                              

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24 janvier 2012 2 24 /01 /janvier /2012 21:35

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Comme un rêve

 

 

Quel bonheur de revoir Dominique Khalfouni danser !

J’avais envie d’acheter ce DVD de Marlène Ionesco depuis quelque temps déjà. C’est après avoir vu Mathieu Ganio danser Onéguine que je me suis finalement décidé à l’acquérir.

 

Ce film très intimiste et très touchant fait le portrait de Dominique par petites touches ; il  dévoile une immense artiste et une femme toute simple, douce. Sous une fragilité apparente se cache une très forte personnalité à la volonté d’acier…

On le découvre lorsque l’on apprend qu’à 16 ans – tout juste engagée dans le corps de ballet -  une rupture des ligaments de la rotule lui interdira de danser.  Le verdict des médecins est sans espoir et tombe comme un couperet : elle ne retrouvera qu’une flexibilité du genou partielle.  Pour elle qui danse depuis l’âge de quatre ans, faire autre chose n’est pas envisageable, elle le sait, elle y a réfléchi et c’est impossible.  Elle décide donc, après plusieurs mois de genou dans le plâtre, de se rééduquer toute seule ; quel courage ! Seulement voilà, comment se rééduquer seule lorsque l’on n’a même pas vingt ans et une blessure terrible ?

Une bonne fée croise son chemin en la personne de Lilian Arlen. Cette femme, qui a elle-même subi de nombreuses blessures pendant sa carrière, a beaucoup réfléchi et  a construit sa pédagogie pour que les danseurs puissent travailler avec d’autres méthodes que celles enseignées à l’opéra afin de mieux connaître leur corps.  Dominique lui voue un grand amour, car sans elle, dit-elle, elle n’aurait pas pu continuer la danse. « Et puis cette femme avait une flamme… »

 

Elle évoque aussi Yvette Chauviré, qui avait ouvert à l’opéra de Paris un cours de style « facultatif » ;  elle a adoré travailler avec elle ; on la voit répéter la Mort du Cygne. Mais c’est Grigorovitch, invité à l’opéra de Paris en 1976 pour y monter son Ivan le Terrible qui va la propulser étoile. Khalfouni est encore sujet à cette époque ; elle vient de faire du corps de ballet pour le Lac des cygnes ; elle dit qu’elle a eu du mal à quitter les classes de quadrilles et de coryphées. Hors Grigorovitch lui offre le rôle d’Anastasia. Elle s’y révèle tellement bouleversante et artiste accomplie qu’elle est nommée étoile sur ce rôle. « C’était comme un rêve, dit-elle, j’ai appelé ma mère pour être sûre que tout était bien réel, mais je n’y croyais pas »

Les images d’archives de ce ballet montrent tout le lyrisme et la magnificence de la ligne de cette danseuse, qui a dû être inoubliable dans ce rôle au côté d'Atanasoff.

Ensuite, elle commence à danser les rôles du répertoire ; on la voit dans un extrait du Spectre de la Rose   aux côtés de Noureev.

Et puis il y a deux rencontres capitales :

 

L’une avec Vassiliev qu’elle croise au Bolchoï lorsqu’elle part toute seule en Russie pour y découvrir une autre façon d’aborder la danse classique. «  C’était très dur, dit-elle, car je ne connaissais personne et personne ne me disait bonjour quand j’arrivais au théâtre. Mais la Russie m’attirait et je sentais que j’avais là-bas quelque chose à trouver » Au Bolchoi, elle voit danser Vassiliev, Maximova, Plissetskaia et tant d’autres, et elle comprend que dans ce lyrisme russe, dans cette expression théâtrale portée à son point culminant, il y a ce qu’elle cherche. La Russie la marque profondément.

Vassiliev, longuement interviewé dans ce film, dit adorer Khalfouni. « Il y a en elle cette souffrance propre aux Russes qui s’exprime dans leur art. On le voit dans ses yeux. Ses yeux magnifiques qui montrent toute la beauté de son âme »  Et c’est tellement vrai ! Son regard profond, sincère, est toujours aussi beau aujourd’hui. Plus tard, lorsque Vassiliev   organisera une tournée en Italie, sa femme Katia étant blessée, il demandera à Dominique à danser à sa place, car «  je ne voyais pas qui d’autre à part elle pouvait danser comme ma femme Katia »  Quelle admiration de la part de ce danseur flamboyant, tellement slave, qui s’exprime avec passion sur l’art et la technique, la seconde ne permettant pas forcément d’atteindre le premier. C’est un de mes grands regrets de spectatrice que de ne l’avoir jamais vu sur scène…

 

La seconde rencontre, c’est avec Baryshnikov avec qui Dominique danse Giselle lorsqu’il vient à Paris. L’entente artistique est telle que Baryshnikov lui propose ensuite une tournée aux États-Unis. Khalfouni demande donc la permission d’aller y danser l’été, permission qui lui est refusée. Elle donne sa démission quasiment aussitôt.  Deux choix s’offrent à elle : partir aux États-Unis ou rejoindre la troupe des Ballets de Marseille dirigée par Roland Petit.

 

Elle choisit cette deuxième option. Là, elle y aura une magnifique carrière marquée par des rôles comme celui de Pavlova, ou Albertine, dans Proust.

Elle y construit sa vie, y habite une maison en face de chez ses parents, ce lui permet de créer une vie de famille harmonieuse ; Mathieu et Marine ses enfants grandissent là, et dit-elle, «  six mois de l’année lorsqu’ils rentraient de l’école, ils sautaient directement dans la piscine ». Quand elle part en tournée, elle part confiante, car ses enfants ont juste à passer d’une maison à une autre.  Elle dit  encore «  je voulais être maman autant que danseuse ; d’ailleurs quand je rentrais à la maison, j’étais une maman, c’est tout »  On sent que ce sont des années de bonheur pour Dominique. C’est émouvant de la voir sur les lieux d’autrefois, revoir sa maison, l’école de ses enfants, parler à un petit chat qui semble protéger son ancienne demeure et s’émerveiller sur deux grosses jarre de terre cuite sur lesquelles figurent des dragons qu’elle a laissées en partant et qui trônent dans la cour.

 

Elle a vécu là quelques unes de ses plus heureuses années, même si, dit-elle, l’arrivée dans ce petit théâtre de Province est un choc, après avoir connu l’opéra de Paris, où   «  j’avais du mal à trouver ma place ».

Elle montre tout de même le regret d’être partie avant que Noureev ne soit nommé directeur de la danse en 1983. «  Le répertoire de l’opéra n’était pas aussi riche avant son arrivée, dit-elle, mais si j’avais su qu’il allait venir et apporter avec lui tant d’oeuvres, je serais peut-être restée. J’avais un peu travaillé avec lui et nous nous étions bien entendus »

 

 

A Paris, elle y retourne quand ses enfants décident à leur tour de devenir danseurs. Mathieu Ganio intègre le corps de ballet de l’opéra de Paris, et passe directement de sujet… à danseur étoile, comme sa maman. Il est nommé sur le rôle de Basilio, dans Don quichotte. Il est très jeune. Et comme Dominique, il est invité à danser le ballet Gisèle en Russie aux côtés de Olesia Novikova. Les quelques extraits filmés des coulisses dans le dvd sont empreints de poésie. On aimerait en voir plus ! Lui aussi y sera marqué par la façon de danser. Comme sa mère, il a une ligne magnifique, un placement superbe et ce lyrisme si rare chez les garçons étoiles de l’opéra de Paris actuellement.  Sa danse est pure.  

On le voit aussi répéter les très difficiles et techniques chorégraphies de Genus de Mcgrégor. Il s’y montre parfaitement à son aise –  notamment dans un pas de deux avec Letestu, vertigineux ! Mais, dit-il, « j’aime énormément incarner des personnages qui ont des émotions à exprimer. Je veux pouvoir toucher le public »

C’était le cas avec sa bouleversante interprétation de Onéguine cet hiver. L’un de mes plus beaux moments de danse de ces dernières années…

 

Quelques images du film, nous montre la maman expliquant à son fils un placement pour préciser une figure technique… puis elle confie qu’elle aimerait bien passer du temps en studio pour travailler avec lui, mais que celui-ci est déjà très entouré à l’opéra et qu’elle, elle ne veut pas s’imposer.

Dans un autre extrait, c’est sa fille Marine  qui danse dans tout l’éclat de sa jeunesse Delibes suite sur une chorégraphie de José Martinez.

 

On sent que la danse reste la passion de cette artiste toujours magnifique. Dominique dit encore que l’un de ses plus grands bonheurs est maintenant de voir ses enfants danser. Un spectacle la nourrit pendant des jours…

Elle regrette de ne pas pouvoir transmettre elle aussi les rôles d’autrefois. Elle dit aussi que c’est lorsque le corps commence à perdre de sa vigueur que la maturité artistique arrive… c’est le regret de tant d’artistes… être danseur de ballet est l’équivalent d’être un sportif de haut niveau… et c’est vrai que la compréhension de l’artistique ne vient qu’une fois qu’on a soi même vécu en partie une vie humaine… mais alors, le corps lui s’en va

 

Petite aparté de Philippe Candeloro qui disait «  un jour, vous arrivez à la patinoire, et le triple salchow que vous passiez la veille ne passe pas très bien ce jour là ; vous vous dites : je ne suis pas très en forme. Mais le lendemain, c’est pareil. Et quelques jours après, vous comprenez que vous ne le passerez plus jamais… c’est comme ça ; le corps un jour, vous lâche… »

 

 

Khalfouni envie les musiciens qui peuvent continuer à jouer de leur instrument bien au-delà de 42 ans, date fatidique de mise en retraite des danseuses.

 

 

L’intervention de Pierre Lacotte confirme qu’il est regrettable que Khalfouni ne soit pas invitée de temps à autre à transmettre des rôles comme Giselle ou le double rôle d’Odette/Odile aux nouvelles danseuses de l’opéra.

 

Ce DVD est donc plus qu’un documentaire ; c’est un double portrait, très beau, très simple de deux êtres absolument attachants, talentueux et poétiques.

Ce qui touche, c’est que l’un comme l’autre non pas l’air de se rendre compte à quel point ce sont des artistes magnifiques, ils sont tellement humbles !

 

L’expression «  c’était comme un rêve » revient souvent dans les mots de Khalfouni.

 

Je regrette d’ailleurs aujourd’hui de ne plus avoir les photos d’elle qu’adolescente je découpais dans la presse ; je l’avais vue lors de gala télévisuel, et je l’adorais ; elle était en outre d’une beauté à couper le souffle ! Ce n’était ni une Pontois, ni une Motte, mais ses bras magnifiques, son lyrisme, sa poésie étaient vraiment uniques !

Dans le numéro 3 de Danser il y avait un poster d’elle exécutant un grand jeté, ses longs cheveux noirs flottant au vent. Cela remonte à il y a trente-deux ans, mais j’ai gardé aussi  longtemps que j’ai pu ce poster qui a fini par s’abimer… Je n’ai plus ces photos, et c’est dommage, car je les aurais scannées pour illustrer l’article…

 

On parlait beaucoup d’elle quand j’étais au lycée ; «  c’est la meilleure ! » déclarait une amie. Aussi, fûmes nous très tristes d’apprendre son départ de l’opéra de Paris. Quand j’ai su que c’était pour rejoindre la troupe des ballets de Roland Petit, je me suis dit «  quel gâchis »

Ma réaction est sans doute exagérée, car comme je l’ai écrit dans un autre article, les œuvres de Roland Petit vont du sublime au pire que tout, mais en tout cas,  elle a eu de très beaux rôles…

Mais j’imagine aussi le bonheur que j’aurais eu à la voir danser à la grande époque Noureev…

 

Merci infiniment à Marlène Ionesco pour ce film, superbe, émouvant, sur ces deux artistes, illustré de nombreuses photos, ou extraits de ballets tirés d’archives rares.

Un document magnifique et profondément humain.

 

 


Vous pouvez trouver ce DVD dans les boutiques de l'opéra de Paris ou bien le commander directement auprès de Delange production

 

 


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