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  • : Créé en 2006, ce blog rédigé par Valérie Beck autrefois consacré à la danse et à ma compagnie se diversifie davantage.
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Noureev

 

Danser, telle la phalène sous la lune, le pinceau du calligraphe, ou l'atome dans l'infini 

                                              

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14 janvier 2013 1 14 /01 /janvier /2013 07:00

Marco Spada – Pierre Lacotte

 

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Dans les années 1970, Pierre Lacotte remonte la Sylphide, ballet mythique  imaginé d’après le Trilby de Nodier avec  dans les rôles-titres Mickaël  Denard et Ghislaine Thesmard. Le ballet  diffusé à la télévision connaît un tel succès qu’il est ensuite  remonté à l’opéra de Paris. Thesmard, qui n’avait jamais intégré le corps de ballet, y gagne ses galons d’étoile. Quelques temps plus tard, Lacotte confie le rôle de James à Noureev qui  adore le rôle. S’en suit de nombreuses tournées avec  Ghislaine Thesmard qui danse la Sylphide. Un jour qu’ils étaient tous à New York, attablés joyeusement après une représentation, Noureev demande à Lacotte : « Qu’avez-vous en projet actuellement ? » et le chorégraphe lui répond «  Justement, l’Opéra de Rome m’a commandé un Marco Spada sur une musique d’Auber ».

-          Ah, s’exclame Noureev qui occupait une grande partie de ses nuits à lire et à découvrir toute la culture artistique occidentale,  j’aime beaucoup cette musique, parlez moi un peu du ballet. »

Et Lacotte lui raconte les aventures du dénommé Marco Spada, bandit sympathique qui dépouille les gens. Sa fille n’en sait rien : ce bandit est noble et cache son identité soigneusement, afin qu’Angela n’ait pas à en souffrir.  Il se déploie sur scène  toute une série de bals, d’enlèvement, de fêtes,  de soupirants qui finissent dans des malles, de trappes secrètes,  d’amoureux qui entrent et sortent pas des fenêtres. A la fin du ballet, tout le monde se retrouve dans les montagnes, à danser joyeusement. Lacotte ajoute qu’il y aura beaucoup de scènes de pantomime, comme dans les ballets de l’époque. Aussitôt, Noureev prend ce bandit en affection et dit «  Mais c’est un rôle pour moi ! »

-          Bien sûr, répond Lacotte, c’est un rôle pour vous, mais voyez-vous, comment monter un ballet avec vous qui dansez aux quatre coins du monde ? J’y avais bien pensé, mais cela me semble impossible car il me faudra du temps pour remonter le ballet »

-          Et si je m’engage à vous donner tout un mois de mon temps ? demande Noureev.

-          Vous le pourriez, vraiment, vous toujours tellement occupé ? questionne l’autre.

 

Noureev griffonne aussitôt sur  un bout de nappe en papier : «  Moi, Noureev, je m’engage à me rendre disponible  tout un mois pour être à la disposition de Pierre Lacotte » Il arrache le bout de papier qu’il tend à Pierre. Celui-ci éclate de rire et Noureev se met à rire aussi.  Il sait très bien qu’il a la réputation, justifiée d’ailleurs, d’être fort peu disponible – il n’avait donné que trois jours à Petit pour filmer son jeune Homme et la mort – Il s’est souvent brouillé avec des chorégraphes – dont Petit- car il danse parfois «  à sa sauce » les chorégraphies apprises en quelques jours et réinterprétées plus ou moins sur scène. Il sait qu’il n’est pas très populaire à cause de la vitesse de travail qu’il impose à tous ceux qui collaborent avec lui.  Ce soir-là, il n’est pas dupe ; il devine ce que pense Pierre à part lui ; mais celui-ci décide de tenter l’aventure et  téléphone le lendemain au directeur de l’opéra de Rome pour lui dire : «  Finalement je vais confier le rôle de Spada à Noureev » L’autre au bout du fil s’étrangle : «  Etes vous sûr ? Pourrons-nous  vraiment compter sur lui ? »

Le ballet sera bien donné à Rome en 1981 puis remonté à l’ONP  en 1985. Il  a fait l’objet d’une captation, rééditée en DVD en 2009.  

ll se déroule en trois actes et est léger comme la musique d’Esprit Auber.  La chorégraphie d’origine – 1857 – faite à partir de  l’opéra du même nom, est bien sûr perdue, comme nombre de ballets de cette époque. Mais Lacotte, en grand habitué des reconstructions de ballet, connaît parfaitement  le vocabulaire et le style chorégraphiques du 19ème siècle :  le bas du corps travaille énormément et demande beaucoup d’agilité, d’aisance et de précision. Paquita - " avec ses   pas qui tuent", comme le disent les danseurs  - en est un excellent exemple.

 Lacotte excelle à inclure  de très nombreux    petits pas  virtuoses, précis, avec une petite   batterie incisive, et des sauts nombreux «  Noureev, dit-il, adorait tous les pas compliqués que je créais pour lui, et il en redemandait davantage. Il a travaillé avec moi pendant un mois, se rendant disponible, heureux d’apprendre, s’amusant comme un fou avec les scènes de mime. Il adorait notamment la  pantomime avec le moine et il aimait particulièrement  mourir sur scène à la fin du ballet »

 

 

Dans Marco Spada, G. Thesmard vive, enjouée, gaie, donne à  Angela sa brillante, sa majesté, sa force de caractère aussi, avec des pointes d’acier et des pieds d’une précision hallucinante. M Denard alias le prince Frederi amoureux d’Angela, campe un jeune premier élégant et racé, et surtout fort sympathique !  Quand à Noureev, si sa danse a perdu en précision et en propreté, c’est un vrai bonheur de le voir se donner ainsi corps et âme à un rôle drôle, qui lui sied à ravir. Il s'amuse dans les scènes de pantomime et nous avec lui, et son énergie, sa flamboyance, son panache, tout est intact.

J'aime particulièrement le troisième acte, brillant, enlevé, où les variations se succédent dans une effervescence et une joie générale : car ce ballet déborde de bonne humeur!

 Il met le cœur en joie. Ce n’est  peut être pas un chef d’œuvre,  il n'a pas la somptuosité des costumes ou des décors de la Fille du Pharaon – remonté par ce même Lacotte pour le ballet du Bolchoi -  mais il fait partie de ces œuvres légères, insouciantes,  qui donnent une idée claire de ce qu’était le ballet au 19ème   où la précision et la beauté des pas montrent  tout le travail de l’école française  sur laquelle se construit toujours à l’ONP la technique d’aujourd’hui.

Rien que pour le plaisir de voir Noureev dans ce rôle de bandit au grand coeur – il a 43 ans – c’est un bonheur d’avoir ce Marco Spada.

 

 

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commentaires

B
<br /> Shana, merci pour ce billet. Je découvre grâce à vous ce ballet dont le nom me disait vaguement quelque chose mais dont j'ignorais absolument tout ! J'essaierai de le voir car vous m'avez donné<br /> envie !<br />
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H
<br /> Bien d'accord avec votre appréciation. On sent Rudolf tellement heureux de danser ce ballet et sa joie est tellement communicative que lui comme nous passons sur les "a-peu-près" liés à l'âge et<br /> à son état de santé. A voir et revoir sans restriction.<br />
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