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Danser, telle la phalène sous la lune, le pinceau du calligraphe, ou l'atome dans l'infini 

                                              

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4 mars 2014 2 04 /03 /mars /2014 09:45

Soirée d'adieu du 28 février  d'Isabelle Ciaravola

 

Tatiana : Isabelle Ciaravola

Onéguine :  Hervé Moreau

Lenski  :  Mathyas Heymann

Olga :  Charline Giezendanner

 

 

 

 

 

Lors de la dernière reprise en décembre 2011, j’avais eu le plaisir de voir la Tatiana d’Isabelle avec Mathieu Ganio. J'étais impatiente de découvrir cette même Tatiana aux côtés d'Hervé Moreau.

  Ce danseur mince, musculeux, mais très fin exhale dès son entrée une puissance, une autorité souveraine. Sa technique, aiguisée comme une lame de couteau, dessine  un personnage noir, odieux, en colère contre lui-même. Sa rencontre avec Tatiana fait froid dans le dos : la jeune fille, lointaine et douce, peu préoccupée des choses qui amusent ses proches, tombe sous le charme immédiat de cet homme hautain et tranchant comme une faux qui oublie jusqu’à sa présence. La première variation d’Onéguine est un concentré de lassitude, d’aigreur et de douleur. Il n’a plus de rêve. On aurait envie de souffler à Tatiana de fuir.
 Je ne sais toujours pas comment Ciaravola fait pour passer d'une presque enfant mélancolique, un peu hors du temps,  pleine de compassion pour les autres, la tête emplie de romans à la femme accomplie et rayonnante qu'elle devient au troisième acte. Aux angles durs, secs, aux arabesques pointues d’Onéguine, elle oppose une silhouette ondoyante et  délicate, toute en finesse et en délié, et son regard limpide. On ne pourrait imaginer un couple plus mal assorti.

Le pas de deux dans la chambre est  intense, fluide et glacial tout à la fois : on dirait que c’est la mort elle-même qui a surgi du miroir, et non pas un amoureux. Lors des portés vertigineux et périlleux, Isabelle n'est qu’une plume dont se joue celui qu’elle aime. Là où elle exprime la douceur du désir, il montre la force de son emprise sur elle. A son réveil, elle décide de lui faire parvenir sa lettre : son geste est réfléchi et passionné tout à la fois.  Tatiana est douce mais déterminée.

L’ Olga de Giezendanner,  est pleine de vie, malicieuse et  beaucoup moins superficielle que dans le roman. Cette sœur,  aux antipodes de Tatiana,  forme avec  Lenski un couple plein de fraîcheur : Heymann est parfait en  poète candide qui n'a pas vingt ans et qui met le monde en vers parce qu’il est amoureux. Sa technique a la rondeur et la candeur de l'enfance par encore quittée.  

 

  La scène du bal qui fera tout basculer, évoque les quatuors de Don Giovanni  ou des Noces de Figaro, où chacun chante un sentiment différent entremêlant des émotions parfois aux antipodes.  Onéguine enrage, Olga s’amuse, Lenski est blessé, Tatiana pressent le drame. Tout finira par la mort absurde du poète, plongeant les deux sœurs et Onéguine lui-même dans la douleur la plus totale. Juste avant le duel, les adieux de Lenski-Heymann à la vie sont poignants.

 

Pour le dernier acte, Paquette-Grémine semblait très ému.  Il est un mari aimant  mais sérieux. Parée de sa robe rouge, Ciaravola/Tatiana  aime son mari  et assume à présent parfaitement une place importante dans la société. Elle se plie de bonne grâce aux devoirs de son rang. Quand elle croise Onéguine, elle reçoit un choc, mais reste maîtresse d’elle-même ainsi que l'exige son statu.
Onéguine, bouleversé par cette rencontre,  revivra son passé dans une sorte de frénésie touchante : on se trouve pour un court instant en osmose avec lui, son cœur nous est enfin ouvert. A ce moment là, Hervé Moreau est comme un chat écorché, tout à vif devant la douleur des souvenirs.

Dans le dernier pas de deux, Onéguine montre une telle violence dans l'intensité de  ses sentiments  qu’il en devient brutal. Il impose sa passion avec une rage excessive, utilisant sa force physique pour convaincre Tatiana  de son repentir.  Ciaravola oscille sans cesse entre l’abandon à cette passion restée vivante en elle, et le refus d’y céder.  Elle finit par déchirer la lettre d’Onéguine,  parce qu’il n’y a pas d’autres choix possible mais ce geste la brise. Et dès le départ d’Onéguine,  elle tombe à genoux, anéantie.

Ce pas de deux a atteint des sommets d’intensité dramatiques. Les deux danseurs semblaient survoler toutes les difficultés techniques, et n’être plus à ce moment là que sentiments passionnés et douleur profonde.

L’ensemble du ballet a été porté avec émotion d’un bout à l’autre par une troupe soudée et harmonieuse et des solistes de haut vol. Cette représentation rejoint les «  inoubliables » parmi lesquelles cette année, il y a aussi la Dame aux camélias et Le Parc, toujours avec Isabelle Ciaravola.

 

 Autre lecture

 

 

Il est passionnant de voir que la lecture est très différente de celle que fait Mathieu Ganio, plus fidèle au roman. Les pas de deux par exemple, n’ont pas cette violence, cette brutalité qui fait frémir. Avec Mathieu Ganio, Onéguine est bien l’Harold Childe de Byron, auquel s’identifiait Pouchkine et non pas le personnage noir qu’on trouve aussi dans l'oeuvre de Musset, « confession d’un enfant du siècle » auquel Sami Frey donnait un visage     implacable.

Celui de Ganio est plus slave, il porte en lui un spleen, une Sensucht typique de ce siècle ; il blesse par incapacité à avoir envie de vivre, ce que Pouchkine décrit dans son roman. Mais il n’est pas cruel ; quand il déchire la lettre, c’est pour protéger Tatiana de lui-même ; le pas de deux du miroir est lyrique et passionné. Et au troisième acte, la prise de conscience qu’il aime Tatiana est réel. Il ne vient pas s'emparer d'elle de force mais lui dire avec d’infinis regrets   tout l’amour qu’il porte en lui.

Les deux Onéguine sont aussi splendides l'un que l'autre, le premier est tranchant comme une faux, le second, insaisissable et fantasque et leur partenariat avec Ciaravola est également poignant.

    
 
 

 

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