Noureev, Roméo et Juliette
Hier, en regardant la magnifique captation de ce ballet chorégraphié par Noureev avec dans les rôles titres Loudières, Legris, Jude, Averty, Delanoé et Romoli pour ne citer qu’eux, je me suis dit avec tristesse que le Roméo qui sera présenté la saison prochaine à l’opéra de Paris n’aura plus grand-chose à voir avec l’original
Certes, ce ne sont pas les bons danseurs qui manqueront – Pujol est extraordinaire dans le rôle-titre, Leriche y a brillé, - je ne sais pas s’il voudra réendosser le rôle aux nombreux portés - de même Ganio pourrait y faire des merveilles, sans parler de Dorothée Gilbert aussi
Non, si cette future saison ne me tire que des pensées nostalgiques, c’est parce que Noureev lui-même ne sera plus là pour tout régler, et que dix sept ans après, les danseurs qu’il avait formés ne sont plus là non plus insufflé son esprit à cette chorégraphie longue, difficile, mais pleine d’émotions.
Ah, me direz-vous, il faut bien que les choses changent un jour !
Oui, si elles ne perdent pas en qualité…
Pour la captation, aussi belle soit-elle, certaines choses avaient déjà été changées par rapport à la production de 1984 et la reprise de 1991
Par exemple, la chambre ne s’ouvrait plus sur le ciel bleu immense de Vérone… ce sont ces petits détails qui font que peu à peu la magie s’évente comme un parfum dans un flacon, gardé trop longtemps.
Par le passé, j’ai vu bien des danseurs et danseuses se fondrent dans les personnages avec un talent qui arrachait les larmes : Guillem et Hilaire, dans leur jeunesse, étaient simplement Roméo et Juliette ; ils sont inoubliables. Vingt ans après, je m’en rappelle encore. Pujol y a montré à la fois sa virtuosité technique et ses qualités de tragédienne ; elle m’a bouleversée ! Leriche a apporté sa poésie, son engagement total d’artiste inspiré ; un Roméo sublime !
Dans les rôles secondaires Romoli se révélait une « teigne » en Tybalt, tandis que Delanoé campait le plus délicieux et facétieux des Mercutio
Voilà pour les souvenirs
J’en ai d’autres, moins brillant : un Hilaire épuisé, en juillet, ayant remplacé tous ses collègues blessés, et affichant une mine fatiguée et des pas approximatifs, une Letestu- Juliette, ennuyeuse à mourir, exibant une technique sans la moindre once d’émotion, un Thibault- Mercutio qui en fait dix fois trop et qui ne fait rire que lui-même ! à oublier !
La dernière fois que j’ai vu ce petit bijou, j’étais triste : il y a une scène très belle qui ne rend bien que si tout est parfaitement en place ; c’est une danse de divertissement, vraiment poétique, pendant laquelle des jongleurs dansent avec des drapeaux ; lorsque ceux-ci sont maniés avec la même énergie, faite de ralentis, d’accélérés, de vrilles inattendues, on devient alors comme un enfant : on admire la magie des grands tissus flottant le long des hampes, on se perd dans la contemplation des drapeaux qui se déploient, tourbillonnent, s’élèvent puis s’abaissent tous ensemble. C’était tout à fait dans l’esprit de Noureev de mêler ainsi différents styles de danse.
Ce soir là, ce n’était pas le cas : les danseurs agitaient leur drapeau n’importe comment, aucun d’entre eux n’était ensemble ; le comble c’est que quelques uns ont même eux des fous rires sur scène à cause de leur « raté ». C’était pathétique !
Année après année, les pas restent, mais l’esprit, la magie s’envolent…Tout ce qui avait un sens avec Noureev devient figé, vide…
Tout ce qui faisait la force de ce ballet tiré de Shakespeare n’est plus qu’ un divertissement creux, sans âme…
En outre, comment faire la saison prochaine pour choisir sa distribution, vue que celle-ci parait quand toutes les places sont déjà vendues ?
Pour en revenir à la captation elle-même, j’étais heureuse de revoir Charles Jude, extraordinaire dans le rôle de Tybalt. Dès son entrée en scène – et sur le dvd – on ne voit plus que lui ! Il faisait partie des danseurs qui avait à la fois une forte personnalité, une maitrise technique, et un sens artistique prodigieux. La rencontre avec Noureev lui a permis d’aller au bout de ce potentiel déjà riche !
J’ai assisté à l’une de ces dernières scènes, dans le rôle d’Albrecht, de Giselle
Si la Giselle ne m’avait pas trop emballée –Elisabeth ¨Platel que j’ai toujours trouvée sèche, scolaire, trop appliquée - Jude s’était révélé un prince émouvant au délà des mots…
A suivre!!!