La soirée de Nicolas Le Riche du 9 juillet 2014
Nicolas a longuement pensé à cette soirée qui vient marquer d’un point final une longue carrière à l’opéra de Paris. Une bonne fée ayant croisé ma route, j’ai pu y assister contre toute attente dans d’excellentes conditions visuelles. C’était plus qu’une soirée d’adieu, c’était une offrande, un partage.
Sur scène, le rideau se lève et Mathieu Cheddid est là, tout fragile, avec ses amplis et sa guitare, silhouette perdue sur la grande scène de Garnier. Il chante une ballade toute simple accompagnée d’un seul arpège, sur laquelle Nicolas improvise avec simplicité. C’est sobre, touchant. Le ton est donné ; Nicolas nous le dit tout bas : j’aime la simplicité, l’authenticité, le partage. C’est ce que je veux partager avec vous ce soir.
Toute sa carrière va se dérouler devant nous à travers l’école de danse, les solistes et le corps de ballet.
Voilà précisément que quelques élèves de l’école de danse nous offrent un court passage des Forains de Petit… ils plantent le décor, évoquant ainsi en quelques instants la fragilité et le nomadisme de ce métier auquel Nicolas a consacré toute sa vie : « un jour ici, un jour ailleurs, un jour en forme, l’autre pas »… Et par-dessus tout cela, le désir absolu, évident, de partager avec un public. Puis Nicolas-le-Forain annonce le jeune Francesco dans le Tambour, premier personnage qu’il a incarné sur scène.
Quelle manière élégante de montrer que lorsqu’un danseur étoile termine sa carrière, une nouvelle génération se prépare à son tour…. Quelle jolie façon de présenter un souvenir qui lui tient à cœur à travers le corps d’un jeune garçon qui apprend le métier !
Dans la touchante évocation de ses premiers pas se lit un message simple: « Nous, les artistes, ne sommes là que de passage, pour le partage. »
Puis voilà que s’installe devant le décor des forains planté par les enfants, une troupe magnifique parée des somptueux costumes de Raymonda. En quelques minutes, Nicolas évoque maintenant l’ouragan Noureev. Pourquoi Raymonda ? Pas pour nous dire qu’il a excellé dans le rôle d’Abderam, non, Nicolas est trop modeste pour cela, mais pour exprimer toute sa reconnaissance à cet homme qui a offert à l’opéra de Paris en premier cadeau ce ballet splendide et à son image : oriental, excentrique, démesuré, flamboyant. Le passage choisi présente différents styles de danse, si chers à Rudik. Au passage, on remarque plein de danseurs qu’on aime et l’extrait présenté donne envie de revoir tout le ballet.
Puis le Faune vient clore cette première partie. Et l’on est complètement envoûté par la fusion des arts. Musique, décor, mouvement, tout ne fait qu’un. Les yeux d’Eve Grinsztajn brillent comme deux gemmes, Bélingard ne fait qu’un avec le décor peint ; une beauté lointaine comme venu d’un ailleurs indicible se dépose sur Garnier. Là encore, Nicolas ne s’auto-congratule pas mais célèbre Nijinsky, qui a passé sur la danse comme un immense poète, car seuls les poètes en recréant le monde nous donnent les clés pour en comprendre le sens et la profondeur.
Après l’entracte, vint le Jeune Homme et la Mort qui avait la froide beauté sensuelle de Eleonora Abbagnato. Nicolas l’a dansé de toutes les fibres de son âme, de son cœur. Là encore, cette œuvre magistrale où danse, décor, musique s’unissent si intimement qu’ils n’en font qu’un est résolument intemporelle. Et l’on regrette en regardant Nicolas danser que la retraite soit maintenant à 42 ans pour les hommes au lieu des 45 il y a quelques années, tant il excelle encore dans ce type de rôle. Il avait un quelque chose de Babilée, ce soir là, dans la fulgurance de sa batterie, l’élévation de ses sauts, la précision et la fureur de ses pirouettes. Nicolas a rendu hommage à ce danseur, à qui l’œuvre avait été « offerte ». Avec le temps qui passe, la danse se transmet d’un corps à un autre, d’une génération à une autre, sans rompre le fil si fragile de cet art de l’éphémère.
Après l’entracte, le rideau se leva sur un des plus beaux passages d’Appartement. C’est celui de la Porte. Déjà vu avec Céline Talon, inoubliable de fragilité et avec Renavand, poignante dans sa douleur aux côté de Nicolas les années précédentes.
Avec Guillem, c’était encore autre chose, car quoiqu’elle danse, elle apporte toujours avec elle de l’imprévu. Il était stupéfiant de les voir danser tous deux, comme deux jumeaux, tellement reliés l’un à l’autre qu’on aurait dit un miroir parfait. Mille nuances ont été ajoutés par la présence de Guillem qui ne vieillit pas ; je me suis même dit qu’elle dansait encore mieux qu’avant. Il y avait une fraîcheur, une jeunesse, une espièglerie dans certains passages auxquels je ne m’attendais pas mais qui sonnaient si juste ; avec elle, ce pas de deux n’était pas douleurs, souffrances, amour déchirant, mais tout ce qui peut naître dans une rencontre amoureuse, les peines, mais aussi les joies, les rires, la fantaisie… Quelle magicienne, cette Guillem !
Puis vint l’un des plus beaux passages de Caligula, celui où le tyran est avec son cheval et laisse son folie, un court instant, pour un moment de poésie. L’Incitatus d’ Audric Bezard a exécuté des pas de hautes écoles avec confiance car guidé par Caligula-Mathieu Ganio, l’un des créateurs du rôle, qui tenait la longe, et qui, tout en guidant le cheval, irradiait toute sa lumière sur scène.
Puis l’on vit les techniciens installer la grande table rouge de Boléro.
Attaqué bien trop vite par Kevin Rhodes, ce qui valut bien des couacs à l’orchestre, je tremblais que Nicolas n’arrive pas à « tenir » la pulsation, car comment placer sauts et grands battements sur un tempo pareil ?
Et bien, ce fut une perfection ! Tous les garçons du corps de ballet étaient splendides, Karl Paquette et Joshua Hoffalt avaient repris leur place d’autrefois dans le corps de ballet et donnaient le ton : c’était si beau, si intense, si vibrant, si viril et féminin à la fois, si violent et sensuel, si parfaitement dansé, que Maurice Béjart s’est glissé en coulisse et a jeté un coup d’œil avant de repartir pour son ailleurs.
Il est aujourd’hui impossible de croire que Nicolas s’arrêtera de danser… tout comme Guillem, ces artistes ont encore tellement de choses à partager avec un public qui les aime de tout leur cœur !