Soirée du 22 décembre
Hannah O Neill, Fabien Révillion, Karl Paquette
Je n'ai malheureusement aucune photo de ces trois artistes en scène ensemble et le regrette tellement!
Cette soirée très inégale était marquée par la prise de rôle de Fabien Révillion en Prince Siegfried aux côtés d’Hannah O Neill dans le rôle d’Odette/Odile, déjà vue en 2015 dans ce même rôle. Inégale parce que malgré un corps ballet en forme et heureux de danser, l’enthousiasme de l’acte I est brutalement refroidi par l’arrivée de 32 cygnes surgelés, tout droit sortis d’un camp de redressement en Sibérie, que des travaux forcés ont rendu en tous points semblables aux esclaves robotisés du Métropolis de Fritz Lang. Les 4 petits cygnes, n’ont pas été épargnés : ces pauvres automates dont les ressorts trop tendus agitent compulsivement têtes et pieds, exécutent des mouvements étriqués et saccadés en se piétinant mutuellement dans une danse mécanique sans âme. On regrette alors douloureusement le quatuor Ould Braham, Gilbert, Froustey et Fiat de 2006, se demandant quel maître de ballet sadique a pu réduire au motif de « papier peint » ces cygnes qui sont la splendeur de ce ballet. Du massacre pur…
Au 3ème acte, la Czarda de Séverine Westermann et Cyril Mitilian nous ramène vers la danse : ils sont très énergiquement et joliment entourés et nous aide à supporter les chorégraphies plates qui se succèdent. Le reste paraît un peu long malgré la conviction avec laquelle dansent les artistes et les solistes. Le divertissement bavard se clôt par la gracieuse et très féminine danse des fiancées.
Karl Paquette, Rothbart ou Wolfgang, qui connaît le rôle sur le bout de la cape, apporte mille détails à ce personnage à l’ombre machiavélique. Tour à tour inquiétant, féroce, brutal, énigmatique, il manipule un virginal prince Siegfried qui s’efforce de plaire à son précepteur sans comprendre – ou oser comprendre- ce que Wolfgang attend de lui. Dans leur premier duo d’une intimité troublante, ce jeune élève appliqué au regard éloquent, s’efforce d’apprendre une chorégraphie dont le sens l’effraie. Pudique, modeste, assumant mal son titre de Prince et ses désirs profonds, il se soumet facilement aux autres. Dans le pas de deux suivant, dérouté par la rudesse avec laquelle Wolfgang le projette sur le sol, il lève douloureusement la tête sans se révolter, confiant à son regard candide une interrogation poignante. Aussi, n’est-on pas le moins du monde étonné que, lorsqu’il rencontre la princesse Odette, il se plie aux désirs de celle-ci et lui offre spontanément une promesse d’amour éternel.
Le Prince Siegfried de Fabien Révillion est un cœur tendre, touchant par son inexpérience. On avait, les saisons passées, aimé son Benvolio bon camarade, qui donnait une réplique tempéré à un Roméo trop impulsif ou à un Mercutio trop bagarreur ; on avait été émue par l’homme blessé du Chant de la Terre, tout en quête d’absolu, qui se heurte à la rudesse du monde ; on avait apprécié la danse ciselée et raffinée de son Des Grieux, dans la Dame aux camélias. Mais surtout, on avait pleuré son Lenski, jeune poète de 20 ans blessé à vif par la futile Olga mais plus encore par son ami Onéguine, détestable ce soir là qui le pousse à bout et provoquera une mort d’une injustice insoutenable. On adore son prince Siegfried, humain, vulnérable, pas armé pour le monde dans lequel il vit.
Tout au long des 4 actes, Fabien Révillion insuffle au Prince Siegfried candeur, rêverie, innocence ou passion. Il est toujours juste. La construction du personnage, intelligente et tout en finesse, est soutenue par une danse tour à tour modeste (1ere variation), spontanée et puissante (acte III) ou bien douloureusement lyrique ( acte IV) Partenaire attentif, chaque pas ou geste exprimant un sentiment, une pensée, une émotion. Un travail d’interprète remarquable et parfaitement abouti, servi par une technique sûre qui devient flamboyante quand c’est nécessaire.
Pour son deuxième Lac, la charismatique Hannah O Neill, à la danse belle comme un matin de givre, est moins convaincante que l’an passé : à vouloir devenir une Odette toute de douceur et de fragilité, sa danse perd en sincérité. Être une princesse Leia lui allait mieux. Dans l’acte III, renonçant à la séduction mutine de 2015, elle s’essaie à une perfidie mesurée. Ce compromis ne convainc pas non plus. Heureusement, la danseuse parvient enfin au IVème acte à trouver le ton juste, et l’osmose avec son partenaire devient totale : les deux nous offrent un ultime pas de deux déchirant de douleur et de larmes au milieu de cygnes qui tout à coup, retrouvent un peu d’âme eux aussi.
Découvrir le Siegfried de Fabien Révillion a été un vrai cadeau de Noël.
Ainsi, malgré l’imperfection de cette soirée, emporte-t-on à la maison un trio d’artistes qui nous ont raconté à trois voix l’un des contes à double fond les plus tragiques qui soient et on les en remercie du fond du cœur.