Qu'est ce que la danse kalbeya?
C'est l'une des danses les plus mystérieuses, fascinantes et envoûtantes que j'ai découverte tout récemment, grâce à Simona Jovic, danseuse rom.
D'où vient t'elle?
Du désert du Thar, qui est l'un des grands déserts du monde, situé dans le Nord de l'Inde, au Rajasthan. Le Pakistan n'est pas loin, et musicalement, je m'en suis tout de suite rendue compte en écoutant la musique.
Dans ce désert, vit la caste des Kalbeyas, qui est celle des magiciens et des charmeurs de serpent. Non, non, nous ne sommes pas dans le tombeau Hindou de Fritz Lang, et la danse n'a rien à voir avec celle de Debra Paget, même si il y a un point commun, le cobra!
Au son du pungi, sorte de clarinette au corps rond, le cobra sort de son panier. A ce moment, la danseuse danse en décrivant sur le sol un grand cercle qui sera le domaine du cobra. Sa robe est noire, sa jupe très vaste, elle porte parfois des pantalons dessous, et a des sonnailles à ses chevilles pour bien marquer la structure binaire de la musique.
A partir de là, elle va improviser,comme c'est le cas pour toutes les danses et les musiques rom.
Rom?
Oui, gyspsy, tziganes, ghawazee... ils viendraient tous de là, de cet endroit du monde, du désert du Thar... quelques siècles avant JC, il semblerait que certains aient déjà quitté le Rajasthan et soient partis vers les plateaux iraniens, la Turquie. Mais c'est au 13ème siècle que leur exode va commencer, car ils sont chassés... ils partiront pour un long voyage, un long exil, et emporteront avec eux leurs musiques, leurs danses, qui, au cours de leur rencontre, s'enrichiront de ce qu'ils trouveront en chemin... c'est ainsi que vont naître toutes les musiques et danses tziganes, qu'elles soient turques, egyptiennes, d'Europe de l'Est, Russe, Espagnole... chacune, bien sûr, ayant développé au fil du temps ses caractéristiques propres. C'est par la musique et par la danse, par leur sens de l'improvisation que ces peuples rom ont gardé leur identité. Mais la source est commune:
Le Style
D'ailleurs, ce qui fut fascinant pendant le stage que je fis avec Simona Jovic, fut de retrouver beaucoup d'éléments qui appartiennent aujourd'hui au flamenco, aux danses tziganes : comme les accents d'épaules, les accents avec la tête, les petits accents avec les poignets, de multiples détails qui font la saveur de ces danses, car si le vocabulaire est commun, la façon de le prononcer change considérablement d'un endroit géographique à l'autre! Ainsi les mouvements sont plus ou moins marqués, exécutés sur des tempi qui changent, et bien évidemment, les instruments ne sont pas les mêmes non plus d'un pays à l'autre. Les accents de hanche, communs à beaucoup de danses rom, sont très vifs, très marqués, dans la danse kalbeya et ils s'accompagnent souvent de jeux de bras, de mains : tout est en mouvement. Mais au delà de la grande liberté des mouvements, le style est très défini par une multitudes de détails qui font toute la différence et qui, mal exécuté, font perdre le sens de la danse elle même.
Il fut tout aussi savoureux de retrouver des éléments qui appartiennent aux danses indiennes du Nord, comme le kathak : les danseuses très souples, exécutent des cambrés impressionnants pour attraper avec leurs bouches ou même leurs paupières, toutes sortes de petits objets posés sur le sol. La position des doigts en "lotus" est commune aux danses indiennes, mais la où le barahta natyam est très géométrique, très posé, très contrôlé, la danse kalbeya, elle, a un côté complètement exubérant, vif, libre, joyeux, spontané, lancé dans l'énergie. Les sonnailles aux chevilles sont communs aux danses indiennes aussi. De même que les tours qu'on retrouve non plus en baratha natyam, mais dans les danses kathak : les danseuses kalbeya ou Sapera ( qui veut dire serpent) les utilisent beaucoup en tournant longtemps sur place ce qui est très envoûtant. Elles peuvent ou non incliner la position de leur buste, jouer avec les bras, et marquer les accents par des gestes du poignets, des mains. Et leurs grandes jupes, leurs voiles délicats sur leur tête tournent avec elles.
Ces danseuses dansent aussi beaucoup au sol, sur les genoux, et elles exécutent des mouvements de hanches, d'épaules, montrent leur souplesse.
Improvisation et transmission
Rien n'est structuré, rien n'est préparé, et la danse kalbeya est l'une des danses les plus vives que je connaisse. Visuellement, elle a quelque chose de très mystérieux, comme si les danseuses, par leur danse, lançaient des charmes, ou se livraient à quelques rites magiques.
La transmission, comme c'est le cas pour toutes les danses de cultures rom, se fait de père en fils, pour la musique, de mère en fille pour la danse. On regarde les grands, on imite, on apprend.
Si la transmission orale cesse, si la raison d'être de cette caste disparait, toute la culture mourra du coup elle aussi. On dit que cette caste kalbeay divertissaient autrefois les Princes. Itinérants, ils voyageaient et lorsqu'ils s'arrêtaient quelque part, ils montraient leurs tours, leurs serpents et leurs danseuses, un peu comme nos ménestrels, nos montreurs d'ours du moyen Age.
Aujourd'hui, ils se produisent dans les grands festivals qui sont donnés au Rajasthan et aussi pour les touristes. Ainsi, existe le risque qu'au fil du temps toute cette culture disparaisse ou se perde, ou même change... le pire peut être, serait le phénomène d'aculturation qui a touché déjà tant de pays...
S'initier soi même!
Ce qui est fabuleux lorsque l'on s'initie soi même à une danse, c'est qu'on la vit de l'intérieur et que tout de suite, on la comprend mieux puisque c'est le corps qui est sollicité et pas seulement l'esprit.
J'ai donc fait pendant ces quatres heures un long voyage qui m'a emportée beaucoup plus loin que d'habitude car cet univers m'était étranger, même si musicalement, j'ai trouvé bien des points communs avec la musique qawali.
je remercie vivement Simona Jovic qui sait rendre accessibles, vivantes, passionnantes toutes ces danses du peuple rom.
J'attends avec impatience le prochain stage!!!!
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site : http://www.simonajovic.com/