Samia Gamal....
Je suppose que, sauf si vous faites de la danse orientale, vous ne la connaissez pas... C'est l'une de mes danseuses préférées, toutes catégories confondues ( classique, contemporain, etc...) et pourtant, je ne connais sa danse que par la video puisque Samia est morte depuis douze ans déjà.
C'était une danseuse fabuleuse et une femme très très belle. Là, sur cette photo tirée du film " Afrita Hanem" qui signifie madame la diablesse, elle à vingt cinq ans... elle dansera jusqu'à près de 70 ans.
Cette scène est sûrement l'une des plus réussies du cinéma égyptien des années 1940 : poésie, dimension onirique, chorégraphie parfaite, costume audacieux mais tellement chic, car aucune paillette, aucun ornement superflu ne l'alourdit. Le tissus flotte autour de la danseuse, renforce la grâce de ses bras, lui donne des allures à la fois de princesse mais aussi de libellule, de papillon, d'un insecte aux ailes diaphanes qui dansent avec lui.
" J'ai toujours eu la danse en moi" dit Samia Gamal, et pourtant, sa famille, comme beaucoup de famille de tradition musulmane voyait d'un très mauvais oeil la danse et refusait que leur petite Samia danse, même à la maison et pour elle. Elle dit encore qu'on la grondait terriblement si on la surprenait à exécuter quelques pas de danse. C'est parce qu'elle quitte sa famille pour aller travailler dans un atelier de couture qu'elle pourra finalement faire le métier dont elle a toujours rêvé. Elle dansera d'abord dans des sortes de cabaret-théâtres très en vogue dans cette société d'avant guerre et d'avant révolution aussi, avant d'entamer une immense carrière au cinéma. Le roi d'Egypte la nommera " première danseuse d'Egypte" et il ne s'y trompait pas!
Pourquoi l'aimé-je tant?
Parce que sa danse " orientale" est une pure merveille de finesse, de légèreté, d'intensité, d'espiéglerie, d'art. Elle glisse dans l'air, jamais le mouvement ne s'arrête, et il est tellement fluide que l'on ne voit pas comment Samia le réalise : on a l'impression qu'elle improvise sa danse comme elle respirerait. Certes, les chorégraphies empruntent au ballet classique, aux danses latines, à toutes sortes de styles à la mode et mélangent tout cela à la technique orientale pour un résultat unique! Mais Samia se les approprie avec sa personnalité faite de féminité, de grâce, de fraîcheur.
Comme toutes les danses dites orientales, l'énergie part du ventre et non des pieds, mais chez Samia, pas de lourds mouvements de bassin, pas de vibrations, pas de hanche "haut bas", d'accents marqués : rien de tout cela qui constitue une partie de la technique. Non, une danse fluide, aérienne, ou les bras suivent naturellement le mouvement de son corps, avec grâce et un raffinement immense et inattendu pour de la danse orientale, où les bras, en principe, ne font que cadrer le mouvement. Rien a voir par exemple avec Fifi Abdou, qui danse un style baladi, ancré dans la terre, sans toute cette dimension de l'air...
D'ailleurs, la fluidité des bras de Samia révèle chez elle une grande souplesse du cou et des épaules particulièrement déliées chez elle. Le buste aussi peut s'incliner avec un naturel confondant qui est pourtant dû à une très grande maitrise des isolations.
Ses ondulations n'ont rien de lascif ni de vulgaire, ses déhanchements ne sont jamais suggestifs : sa séduction est faite de gaité, d'espiéglerie, de légèreté. Si je devais la comparer à une actrice d'aujourd'hui, ce serait Nicole Kidmann dans le rôle de Satine, par exemple, mais sans le côté tragique.
Et puis surtout le cinéma la magnifie :
que ce soit dans Afrita Hanem ou d'autres films, la dimension onirique est souvent présente; Samia danse au milieu de miroirs, ou de colonnes d'un palais de conte de fée, ou bien dans une rue d'egypte mais en robe de soirée moirée, ou bien au milieu d'une immense cage de cristal, ou bien encore derrière un paravent ajouré, un voile piqué de brillants sur la tête...
Elle semble irréelle, inaccessible, comme sortie tout droit d'un rêve.
Quand l'Occident lui offre des rôles, que ce soit la Vallée de Rois ou Ali Baba, on relègue sa danse à de l'oriental de divertissement, et franchement, je n'aime plus... où est passée la dimension artistique, la dimension onirique qui faisaient toute la beauté des films égyptiens des années 40?
La danse orientale vue par l'Occident est une danse séductrice qui ne fait plus rêver les hommes mais qui les fait saliver... c'est la toute la différence, elle est énorme car tout à coup, la danse orientale de Samia est réduite à distraire des hommes qui ne voient dans les danseuses qu'un objet de désir et non de rêve, d'une ouverture sur un monde magique, inaccessible, celui de quelque fée clochette malicieuse mais fidèle dans le pays du Jamais-jamais...
L'Occident n'a pas compris Samia ni la danse orientale.
Mais regardez ces premiers films, sa danse, sa maitrise, sa créativité, son ingéniosité, et son absence totale de vulgarité. Regardez ses voiles s'envoler entre les colonnes sculptées de Palais de Mille et une nuits. Regardez l'énergie gracile et précise qui émane de ses épaules, regardez son regard, son sourire : on sent encore quelque chose d'adolescent ou d'enfantin qui efface la lourde sensualité qui caractérise parfois la mauvaise danse orientale. Toute l'énergie est libre, volatile. On dit que Samia est la première à avoir danser en talons, donc sur demi pointes, pour apporter encore plus de légèreté.
Samia était une fée. Elle a fait de la danse orientale un art à part entière. Les danseuses orientales d'aujourd'hui, si vulgaires dans les pays du Maghreb, Dina en tête, devraient s'en souvenir...
On peut voir un documentaire sur Samia Gamal dans :
"regard sur le cinéma musicale arabe."
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