Laura Hecquet, en rouge cette fois ci ( photo Guilloteau. l'express)
Le palais de Cristal de Balanchine, découvert en 1993 à la Bastille par d’émérites interprètes, m’avait laissé un tel sentiment d’ennui que je n’étais guère prête à le revoir… sauf que, associé à la création de Benjamin Millepied qui a eu le bon goût de choisir une œuvre de Ravel que j’adore, j’ai passé outre ma « répulsion ». J’ai accepté l’ennui d’un Balanchine pour le plaisir d’écouter un Ravel, me disant que, même si la chorégraphie m’ennuyait, il me resterait la musique…
Ce Palais de cristal, qui a défrayé la presse parce que Lacroix a recréé pour la circonstance de fabuleux costumes, a été vu du fin fond du second balcon…
Une aubaine en fait, pour découvrir qui est réellement charismatique !
Et voici le trio gagnant : Paquette, Hecquet et Thibaut. Leur silhouette, réduite à une hauteur de phalange d’un auriculaire vu de la haut, n’est en pas moins emplie de lumière, et d’un quelque chose qui happe votre regard et le fait irrémédiablement converger vers eux, où que ces artistes se trouvent sur la scène.
Paquette, en rouge, dansait avec Pagliero, magnifique elle aussi : brillante et féminine à souhait, gracieuse, ses petits pieds cisèlaient les pas avec précision d’horloger suisse. Ces pointes, coupantes comme des diamants, et ses chevilles déliées si libres, donnaient à sa danse une attaque vive, une batterie percutante mais racée. Son visage irradiait le plaisir de danser. Toute parée de rouge, une aigrette plantée fièrement dans sa coiffure, elle était belle et pétillante. Paquette occupait tout l’espace scénique ; sa danse était large, généreuse. On en oubliait les danseurs alentours tant ce couple captivait le regard.
La couleur suivante était le bleu et là, on se surprend à retenir son souffle devant la délicatesse musicale de Laura Hecquet, à la fois princesse lointaine et fée mélancolique, qui harmonise à la perfection des mouvements souples comme les branches d’un saule à un hautbois aristocratique et empli de spleen. La gravité de son visage renforce une impression de noblesse mêlée à une grâce, une élégance naturelles. Tout est moelleux, abandonné, comme dansé en confidence ; l’intériorité de cette âme touchante palpite presque entre nos mains ; quels mots pour décrire les pliés sautillés sur pointes, exécutés avec tant de douceur, comment décrire un buste qui suit les spirales du hautbois avec une tristesse presque Schubertienne ?
Laura Hecquet restera absolument inoubliable dans cet accord parfait sur une musique latine, claire, mais ombrée et embrumée d’un peu de Sensucht germanique.
J'étais trop haut pour admirer toute la délicatesse de Nolwenn Daniel, magnifique dans son costume blanc-rose, accompagnée par Emmanuel Thibaut en grande forme, aux lignes pures, qui prouve encore que même près de la retraite il possède encore du ballon, des pieds précis, du plaisir à danser, et une espièglerie enfantine qui ravit le cœur. En vert sapin, F Alu et V Colosante n'étaient ni très synchrones, ni très bien assortis… c'était au final un peu brouillon. C’est dommage.
Dans l'ensemble, les lignes étaient plutôt belles et le corps de ballet (ce sont les dernières séries) avait trouvé ses marques, son souffle ; il était bien réglé, même si la danse reste un peu figée, un peu glacée.
La création de Benjamin Millepied m’a un peu déçue, je m’attendais à plus d’intensité. Je suis restée sur ma faim.
Côté orchestre, déception aussi : sans doute à cause de la danse, les tempos retenus sont trop lents et trop étirés, d’une manière générale ; en revanche, le lever du jour a pris le TGV…. Quel dommage, au lieu que les contrebasses paressent langoureusement pendant que les chants d’oiseaux surgissent tranquillement puis s’étirent doucement de leur torpeur, elles cavalaient après eux… à peine sorties de leur songe, les voilà qui s’ébrouent si rapidement que tout semble trop nerveux, trop rapide… l’orchestre a une belle transparence, les pupitres sont bien équilibrés, mais le tout manque un peu de cette sensualité profonde que certains chefs parviennent à donner à cette œuvre délicate et passionnée. ( Seiji Ozawa, par exemple)
Côté chorégraphie, ça n'a pas la puissance d'un Belarbi!
Si je parle de Belarbi, c'est que les danseuses en cheveux longs et jupes flottantes m'ont rappelé son magnifique Hurlevent et les pirates en noir, les hommes en long manteau, dits « gardiens » de cette même œuvre.
Alors, c'est plutôt plaisant à regarder, il y a des moments magiques, mais beaucoup de bavardages, de redites, et de choses parfois un peu naïves.
D’autre part, l’utilisation excessive des rondes, boucles, spirales, etc… finit par lasser, de même que le procédé de faire partir un mouvement d’un danseur qui le transmet aux autres…
De là-haut, les structures de Buren rappellent les cuisines des années 70, elles masquent d’ailleurs en partie la scène pour certains passages ; du deuxième balcon, les structures ressemblent à de gros plastiques pendouillant et leur reflet sur la scène blanche est vénéneux. Les costumes des garçons sont aussi seyants que des baby-gros pour adultes…
Côté danseurs, c’était bien dansé : la magnifique silhouette d’Albisson est vraiment mise en valeur par la chorégraphie. Fluide, poétique, fraîche, Albisson est une Chloé belle, attrayante. Marc Moreau danse avec cœur et flamme. Mais à aucun moment on ne sent ces deux artistes véritablement amoureux. Il manque un petit quelque chose pour qu’on sente cet amour.
Fabien Revillon a incarné son Bryaxis avec panache et virtuosité. Le pas de deux avec Léonore Baulac avait une vraie force et poésie.
Léonore Baulac est tout simplement fascinante. Séductrice, séduisante, souple comme une liane, on ne la quitte plus des yeux dès qu’elle est en scène.
Je me demande cependant ce que cette œuvre aurait donné avec la distribution suivante : Abbagnato, Pujol, Ganio, Alu, elle était mon premier choix au départ.
Mais qu'aurait été cette œuvre si Millepied avait eu quatre mois au lieu de quelques semaines pour régler la chorégraphie? Certaines scènes restent en mémoire et le tout se suit aisément. Revue sur culture box, j’ai été stupéfaite de constater comme le propos change sitôt que l’on voit l’œuvre de face et de près. Certains passages y gagnent, d'autres pas du tout.
Si elle est reprise dans les années à venir, il est fort possible que Millepied la remanie comme c’est souvent le cas. Une œuvre poétique, assurément, mais à laquelle il manque un peu de force, ou de conviction...
De cette soirée du 7 juin, me parvient, en écho, sublime et irréelle, Laura Hecquet, dans son tutu bleu strassé, si belle, avec son visage plein de gravité et de délicatesse.
Je lui ai d’ailleurs consacré un modeste article que je compte bien enrichir de photos et de détails biographiques dans les mois à venir.
J’aurais tant aimé la voir passer première danseuse au concours de cette année.