Ecrit en 2006
Je voudrais aujourd'hui rendre hommage à un danseur absolument génial, inclassable, hors " tout" qui s'appelle Jean Babilée...
Je ne vous mentirai pas, je ne l'ai jamais vu sur scène...
Mais vous voyez cette photo? Elle était dans mon tout premier livre sur la danse que l'on m'avait offert pour mes douze ans... comme je n'aimais pas lire, je me contentais de regarder les photos... et celle ci plus qu'une autre m'intriguait, m'inquiétait, me fascinait... ce n'est que des années plus tard que j'ai su qu'il s'agissait du " Jeune homme et la Mort" de Roland Petit, créé pour Babilée, en 1949... Jean avait 23 ans, un tempérament de feu, entier, fort, et indépendant... et je comprends qu'il ait aussi fortement inspiré R Petit : pour moi, c'est son plus beau ballet : un concentré de 17 minutes de passion, de désespoir, d'amour, de solitude, de mort... avec pour fond les toits de Paris ( Cocteau était passé par là...)
Dans un documentaire que j'ai vu ensuite, j'ai eu la chance de voir Babilée danser ce rôle...
Bigre!
Rien ne peut lui être comparable... Noureev et Leriche sont bouleversants, émouvants, ils vous embarquent dans cette histoire de garçon qui attend son amie, qui trouvera la mort.... on est captivé... hors temps, hors tout pendant tout le ballet...
mais Babilée est ... à couper le souffle! Il y a une férocité dans sa danse, une rage, et une maîtrise tout à la fois... ses pirouettes sont comme la foudre, ses sauts comme le tonnerre, ses mouvements soulèvent des lames de fond qui nous engloutissent, et tous les accessoires utilisés semblent fondre dans ses mains de feu... indescriptible!
A 80 ans, il est toujours en mouvement, et il ne s'arrêtera qu'à son dernier souffle je suppose... comme Graham...
Barishnikov dit que de tous les danseurs c'est celui qui l' a le plus "inspiré" à cause, en partie ( outre sa technique) du questionnement existentiel qui l'accompagne... et pourtant, quand il l'a vu danser, Babilée avait plus de cinquante ans...
Babilée aime à raconter des anecdotes de sa vie. En voici trois parmi tant d'autres...
la toute première: enfant, il s'est blessé en tombant d'un arbre, je crois, tout à coup, il entend le médecin dire derrière la porte de sa chambre : " s'il bouge seulement un peu, il restera paralysé à vie". Alors, dit-il, " je n'ai plus bougé d'un cil pendant des mois"
La seconde : lorsqu'il est arrivé à l'Opéra, en cours d'année, certains enfants savaient déjà des pas, et lui non. Du coup, les autres se moquaient de lui. Alors dans les vestiaires, il a ouvert la fenêtre et s'est mis en équilibre sur les mains sur le rebord, la rue dix mètres en dessous, et est resté là! Il a imposé aussitôt le respect
Dans la dernière, il raconte que Béjart lui avait créé un ballet et que celui ci lui a un jour demandé si tel danseur pouvait le danser : " non, a dit Babilée, c'est mon ballet"!
Il danse exactement comme il est : avec la même ferveur, la même impétuosité avec laquelle il vit, la même intransigeance...
On peut trouver un magnifique documentaire à télécharger sur lui :
http://www.vodeo.tv/18-106-1771-Babil%C3%A9e-91.html?visu=1771
Il incarne pour moi la danse dans ce quelle a de plus instinctif, alors qu'il y a un énorme travail derrière.
Il disait encore : "je dansais, je dansais, au cours, je travaillais, je faisais les pas, mais cela n'allait pas...
et un jour, tout à coup, tout m'a paru facile, j'ai eu l'impression de trouver mon envol, et le professeur m'a dit : " voilà tu y es..."
( à suivre!)
Jean Babilée est mort le 31 janvier 2014.