Dansespluriel après 12 ans d'activité a été sauvagement fermé du jour au lendemain sans préavis par les nouveaux gestionnaires de XOOIT. Prise en otage avec une demande de rançon scandaleuse - 1200 euros par an pour conserver ce forum, j'ai décidé avec Elisabeth d'en ouvrir un nouveau et gratuit, celui-là.
Vous pourrez donc continuer de lire les passionnés de danse à cette adresse :
Bien que le scénario aux dialogues bien écrits ne soit pas vraiment conforme à la réalité et prenne certaines libertés avec la vie de Ravel (Raphael Personnaz, excellent et physiquement souvent très proche) bouleversant même la chronologie, j'ai eu un plaisir infini à suivre ce compositeur qui a toujours été tenu pour discret, sensible, et bien que très secret, empreint d'une profonde humanité ce qu'attestent tous ses liens, qu'ils soient professionnels, amicaux ou encore privés et secrets, lorsque par exemple, il se rendait dans les maisons closes.
Et c’est bien cette personnalité tout en retenue, aussi énigmatique que sensible qu’Anne Fontaine a mise en scène avec beaucoup de subtilité, écrivant un scénario certes libre, mais qui permet de mettre en scène un compositeur attachant.
Le choix de Boléro est un bon choix, car c’est l’œuvre la plus connue de Ravel. Le titre ne pouvait ainsi que donner envie à un public non connaisseur d’aller à la rencontre de ce compositeur à la fois très connu et parfaitement inconnu…
Pour Boléro, la composition n'a pas été du tout longue et pénible contrairement à d'autres œuvres, mais le choix de la réalisatrice de montrer à travers cette création le processus de création minutieux, obsessionnel jusqu'à réécrire plusieurs fois certains passages afin d'atteindre à la perfection, résume ce qui s'est passé pour de nombreuses autres œuvres, comme par exemple pour le Tombeau de Couperin, dont chaque pièce est dédiée à un ami mort pendant la Première Guerre mondiale.
Rien ne prouve non plus qu'il y ait eu entre Misia Sert (Doria Tillier) et Ravel un sentiment amoureux - les deux entretenaient une amitié profonde - mais je trouve que toute cette partie du film aux dialogues souvent spirituels, met bien en lumière la volonté du très secret Ravel ne pas s'engager amoureusement parlant, - pudeur, peur, timidité, ou désir de rester libre de son temps pour la musique ? - ainsi que l'intérêt lui portaient les mécènes et le rôle de leurs encouragements à composer suivant son désir et non pour rechercher l'approbation des critiques ( le critique Lalo fils - l'excellent pianiste A Tharaud - qui passe dans le film est savoureux de méchanceté).
Rien ne prouve non plus que la relation entre Ravel et sa pianiste Marguerite Long ( E. Devos) ait été aussi affectueuse, mais ce n’est pas grave ; elle faisait partie des artistes qui admiraient le compositeur et ont mis une grande partie de leur énergie au service de l’œuvre de Ravel.
Enfin, Jeanne Balibar en Ida Rubinstein, commanditaire du Boléro campe un personnage fantasque et haut en couleur, ce qu'elle était. C’était une femme riche, libre et avant-gardiste, tout comme Ravel. Ils se comprenaient très bien sur ce plan de l’avant-garde et Rubinstein toujours eu une confiance absolue en Ravel. Là encore, certaines libertés ont été prises concernant les relations professionnelles et respectueuses qui existaient entre la danseuse et Ravel, mais cinématographiquement, les scènes sont de ce fait intenses en mettant en valeur leurs dissensions qui n'existaient pas en réalité ; il avait son accord pour créer le ballet dont elle rêvait sur deux mélodies uniques ( on chantonne en général la première jusqu'à la moitié, la mémoire devenant imprécise ensuite, et on oublie complètement la seconde, très orientale !) qui prennent une densité et une ampleur exceptionnelle grâce au génie de son orchestration.
Beaucoup d’encre a coulé sur ce Boléro qui reste une œuvre atypique, sorte de gigantesque crescendo qui repose sur un travail d’orchestration minutieux, véritable exercice de style.
Pour résumer, j'ai aimé la façon dont Ravel est raconté, la beauté de l'image, et la délicatesse des dialogues. L'extraordinaire musique de Ravel longtemps taxé de compositeur sans coeur ponctue le film, et ce bel hommage m'a enchantée. Merci à la réalisatrice et à toute son équipe. J'ai revu le film trois fois en tout.
J’ai donc aimé le film, profondément, et le portrait de Ravel et de son époque qui s’y dessine subtilement ; il est si rare que des biopics soient aujourd’hui consacrés à des compositeurs de musique dite « classique » et celui est, de mon point de vue, une parfaite réussite.
Parmi les nombreuses scènes qui me restent en mémoire, je citerai celle dans l'usine avec Ida Rubinstein, les insomnies de Ravel, qui nuit comme jour, est obsédé par sa création, Les Contes de ma Mère l'Oye joués avec Misi Sert, qui restitue tout une époque, celle du mécénat artistique, les mécènes étant parfois de grands connaisseurs, pratiquant eux même la musique, la répétition de la Valse ( créée pour Diaghilev qui finalement n'en voudra pas) " tout finit toujours en catatstrophe !" scène dans laquelle Personnaz est très crédible en chef d'orchestre, les scènes dans les maisons closes, intimes et chaleureuses.... bref, un film terriblement attachant, tout comme Ravel.
En attendant de retrouver les salles de spectacles, une première vidéo de harpe 27 cordes pour laquelle je réalise des arrangements de traditionnels irlandais, écossais ou autres ; je propose gratuitement les partitions sur mon site d'analyses musicales : https://musiques-pluriel.webnode.fr/partitions-musescore/
A télécharger en PDF.
La première est Lord Mayo; suivront Foggy dew, Tri Matelod, Scarborough fair, Brian Boru, Chanter song, et bien d'autres ! ...
Et toujours les chansons que j'ai écrites, et les chorégraphies issues des anciens spectacles de ma compagnie de danse, qui métissait le jazz, l'oriental, avec une touche d'autre chose, indéfinissable.
Sur youtube, j'ai mis en ligne quelques créations et notamment quelques maquettes ou live de chorégraphies réalisées pour mon ancienne compagnie de danse comme aide-mémoire afin qu'elles puissent répéter chez elles. Je n'ai malheureusement pas beaucoup de vidéos filmées sur scène, ou bien celles-ci sont de piètre qualité.
J'ai retrouvé par hasard ces maquettes réalisées il y a presque une vingtaine d'années il y a quelques jours, et je les ai revues d'un oeil neuf. Certaines m'ont paru suffisamment intéressantes pour que les mette en ligne.
J'avais créé un style qui alliait l'énergie du jazz à la danse orientale saupoudrée de pas inspirés par toutes sortes de choses. Je ne faisais pas encore à l'époque de danse indienne, j'ai commencé lorsque j'ai arrêté la compagnie à 50 ans. Les musiques pouvaient être classiques, orientales, ou bien encore empruntées à un répertoire comme la world music et bien d'autres choses.
Quand les artistes parlent couramment le Noureev…!
Sae Eun Pak, Paul Marque et Pablo Legasa ont été en état de grâce ce dimanche 30 juin. Cela arrive parfois, quand tout à coup, les interprètes racontent non seulement tous la même histoire, mais qu’en plus, la technique qui est à son sommet, est entièrement au service de la narration. Il se passe alors entre le public et les artistes quelque chose d'inoubliable dont les traces impalpables vibreront toujours. Et c’est bien pour cela qu’on retourne, année après année, voir des Lac, des Giselle, des Sylphides, pour partager avec les artistes ces moments imprévisibles, qui ne se produisent pas systématiquement à chaque fois, même si c'est la même distribution, mais qu’on n’oublie jamais lorsqu’ils arrivent.
Prologue
En ce dimanche 30 juin, le Lac des cygnes s’ouvre sur un Prince endormi sur un trône, pendant que sur scène, se déroulent ses rêveries. Il y aurait beaucoup de choses à dire du point de vue psychanalytique sur la symbolique de la princesse transformée en oiseau par une figure de l’ombre. Mais ce qui est sûr, c’est que Paul Marque ce jour-là arrive, je ne sais pas quelle magie, à nous faire entrer dans son esprit : on y lit clairement tout ce qui s’y passe. Et on peut donc voir tout le ballet comme si on était le prince. La sensibilité de Paul Marque, artiste d’une infinie subtilité artistique donne une immense lisibilité à cette version de Noureev, si décriée aujourd’hui, alors qu’elle est de toute beauté, si les artistes ont la maturité suffisante pour la danse : ainsi, l’enfermement mental du prince est total et quand bien même il le voudrait, il n’a pas accès au monde extérieur et c’est de l’esprit du Prince que l’on va suivre tout le drame.
Acte 1
Lorsque la cour arrive après ce prologue-drame intérieur, on se rend vite compte que ce prince est un enfant qui n’a pas pu grandir, un petit garçon qui voudrait vivre, être heureux, de toutes ses forces, mais à qui on n’a pas donné les clés pour s’intégrer au monde extérieur ; qu’il le veuille ou non, sa vie se passe dans sa tête, et le jeu tout en nuance de Pablo Legasa présente une nouvelle interprétation de Rothbart : Legasa ne fait pas de grand mouvement de cape, il n’est pas brutal, il ne virevolte pas dans tous les sens, il n’est pas machiavélique, il est là comme un gardien du seuil, tout-puissant, qui empêche le Prince de franchir la limite qui le sépare du monde extérieur ; quoi qu’il fasse, il échoue. Rothbart devient une allégorie, un symbole de ce qui verrouille le désir du Prince, une sorte de Surmoi, implacable, plutôt qu’un précepteur aux intentions obscures.
La variation mélancolique du Prince confirme son impuissance à vivre, bien qu’il le veuille de toutes ses forces, mais quoi qu’il fasse, il sait qu’il échouera. Ses lignes étirées, ses cambrés désaxés, expriment à la fois la douleur et l’impossibilité de prendre la vie à bras le corps. Le Prince est en même temps si léger, qu'on a peine à croire à sa réalité.
Ensuite, lorsqu’il tente malgré tout de se mêler à la joyeuse cour et aux jeunes filles gracieuses, le simple bras posé par Rothbart sur lui le cloue sur place, comme si l’interdit, le tabou lui étaient dictés par son inconscient.
Le pas de trois arrive comme une bouffée d’air, magnifiquement dansée par une Marine Ganio pétillante à souhait, une Aubane Philbert pleine d’ardeur et un Arthur Raveau à la superbe élévation.
La danse des coupes est enlevée avec panache, et le premier acte s’achève sur un prince qui symboliquement, avec son l’arbalète, est invité à prendre sa vie en main. Quel désir vise-t-il ?
Acte 2
Mais lorsqu’Odette/Park entre en scène, Siegfried est en plein rêve. Et dans ce songe, la cygne-reine qui ne sera jamais à aucun moment une femme, est son double féminin : Sae Eun est tellement irréelle, d’une fragilité si absolue, qu’elle pourrait à tout moment disparaître en fumée. Toute dévouée à ses cygnes lyriques et plaintifs, elle ne croit en rien, car tout est perdu d’avance, et c’est ce que raconte le pas de deux : le drame se refermera impitoyablement sur le prince et son rêve évanescent. Et c'est bien ce fatum que Tchaikowsky avait en tête quand il écrit la partition : " C'est le fatum, cette force du destin qui nous interdit de goûter le bonheur (...) qui reste suspendue comme une épée de Damoclès et sans répit nous empoisonne l'âme. S'il ne nous reste que la résignation et la tristesse, il est alors préférable de tourner le dos à la réalité et de se laisser aller au rêve."
Dans ce contexte, la coda d’Odette est un summum de désespoir, dont l’intensité gagne le spectateur et le cloue sur place. Il est surprenant qu’après une danse tout en retenue, en lyrisme, en apesanteur, cette coda montre cet oiseau-rêve qui se débat de toutes ses forces pour échapper à son destin, dans un dernier sursaut d’énergie, tout en sachant que cela ne servira à rien. Là encore, la métaphore est magnifique.
L’acte III offre un beau moment de danse pleine d’énergie ; on réalise une fois de plus que ce n’est pas la chorégraphie qui doit être intéressante, mais ce qu’en font les interprètes. Et ce dimanche après-midi, on est gâté : je retiens surtout la poésie de la Czardas, l’énergie de la danse espagnole, et la gaité sautillante de la danse napolitaine menée une Millet-Maurin enjouée à laquelle Manuel Garrido donne la réplique. Quant aux fiancées, quelle grâce ! J’aurais pu les suivre toutes les 6 sur scène encore de longues minutes, tant j’étais émerveillée par la fluidité de leurs mouvements, la gracilité et la féminité de leur danse. Et c’est si bien dansé que lorsque Odile arrive, personne n’est préparé au drame qui va suivre :
Dès qu' Odile entre en scène, quelque chose vénéneux se faufile dans la fête, mais à peine palpable, car il règne aussi une forme d’insouciance qui rendra d’autant plus tragique le dénouement de cet acte. Pablo Legasa a dansé sa variation avec un brio exceptionnel. Ses sauts incisifs, tranchants comme des faux, annoncent la mise à mort symbolique du prince. Lequel, au contraire, pense avoir enfin trouvé la clé pour vivre : sa variation montre une ardeur, une joie, une libération qui en font en pendant magnifique à la variation de l’acte 1. Les sauts s’envolent, tandis qu’à l’acte 1, il ne pouvait prendre son envol ; ce n’est pas seulement le sentiment amoureux qui l’anime, mais aussi la joie de se sentir vivant, vibrant, ayant enfin trouvé les clés de la liberté ; Il sait enfin qui il est, et se sent enfin légitime pour vivre sa vie comme il l’entend. Et son désarroi est d’autant plus poignant lorsqu’il réalise que ce nouveau fantasme ne franchira pas les portes de son esprit. Le passage où d’une façon machiavélique Rothbart lui fait à nouveau jurer son amour, comme il l’avait fait à l’acte 2, est d’une perfidie absolue.
Lorsque le douloureux acte 4 commence avec la sublime musique de Tchaikowsky et les plaintes des cygnes, on sait que tout est déjà fini. Princesse comme prince vivent leurs derniers instants sans lutter ; ils s’inclinent devant le destin. Et leur renoncement au bonheur sur les thèmes aux hautbois nous meurtrit complètement. Rothbart n’a même pas à lutter contre le prince, qui est déjà vaincu. Quel intelligence, chez Noureev, de reprendre en partie le duo de l’acte 1, mais ici, avec un prince qui ne peut plus lutter car il réalise que tous ses rêves ne lui ont été d’aucune utilité ; ils s’ouvrent sur un néant total, sans espoir. La dernière lueur incarnée par le cygne-rêve est anéantie par Rothbart et le prince sombre dans le « lac de larmes » de son désespoir.
À ce moment, et pour la première fois de ma vie, j’ai vu tous les cygnes littéralement flotter sur l’eau-scène, je ne voyais plus des danseuses, mais des oiseaux blancs, toutes plumes déployées, sur l’eau sombre du lac, embrumée par la détresse du prince. Quel merveilleux épilogue, pour cette tragédie, que cet ultime chant des cygnes.
L’orchestre a été dirigé avec doigté par le chef d’orchestre estonien, Vello Pähn qui a superbement mis en valeur les cuivres souvent indisciplinés de l’orchestre, et réussit à faire entendre chaque plan sonore avec une clarté nimbée d’une immense poésie.
J’ai versé beaucoup de larmes tout au long du ballet, et sans m'arrêter les dernières minutes, ce qui ne m’était pas arrivé sur un Lac avec autant d'intensité depuis Letestu/Le Riche /Romoli en 2006, et en l’écrivant, j’en ai encore les larmes aux yeux. Il y a l’émotion, mais aussi ce fameux « rasa » indien, qui naît directement de l’intensité de tous les artistes sur scène, autrement dit de ce sublime instant de grâce. Car le corps de ballet était lui aussi magnifique, et tous les artistes étaient comme en symbiose, animés par cette grâce qui a fait se lever d’un bond tout Bastille : superbe standing ovation !
Ce compte-rendu pour remercier tous les artistes du fond du cœur, ainsi tous que les techniciens de la scène, José Martinez et tous les répétiteurs, qui redonnent tout son lustre au ballet de l’opéra de Paris.
Sur le forum dansespluriel que j'administre, et que des membres réguliers ou pas animent généreusement, car tout le monde est le bienvenu, j'ai pris l'habitude depuis quelques années d'ouvrir des topics pour resituer les ballets dans leur contextes historiques et culturels. J'espère ainsi aiguiser la curiosité du spectateur, balletomane féru ou non, et de nourrir son imaginaire, afin que, si l'occasion lui est donnée de voir le ballet sur scène ou en vidéo, il puisse y entrer pleinement, de tout son être, et vibrer de toutes ses fibres.
Voici la liste des topics ouverts, que j'alimente suivant le temps dont je dispose. Certains sont récents, il y a encore peu de choses, d'autres ouverts il y a plusieurs années. Voici la liste provisoire, car je compte ouvrir ce type de topic pour tous les ballets qui me tiennent à cœur.
Le prologue qui le 24 mars, a paru bien long, passe très rapidement ce 16 avril grâce à la meilleure place qu’on a prise ainsi qu’ aux intentions très claires de Don Quichotte/Yann Chailloux, personnage au grand cœur, ainsi que celles de son comparse, Sancho Pança/ Fabien Révillion qui montre dès son entrée en scène plusieurs facettes de son personnage : la paillardise, bien sûr, mais d’autres nuances qu’on n’avait jamais remarquées avant : ce personnage possède un côté très protecteur joué avec beaucoup de conviction. Il anticipe tous les pièges dans lesquels Don Quichotte fonce tête baissée. Par ailleurs, il s’en donne à cœur joie pour donner la réplique aux trios, quatuor ou ensemble plus vaste. Gai, espiègle et protecteur, il a toujours un œil sur son chevalier qui vit dans son monde au péril de sa vie.
L’entrée de Kitri/ O Neill, bondissante et énergique, est joyeusement saluée par des applaudissements enthousiastes. Ce n’est pas si fréquent ! Kitri virevolte, pleine de gaité, s’amuse à provoquer la bonne société, teste ses charmes sur les garçons de la ville, et forme un formidable trio avec ses deux amies, la charismatique Catherine Higgins et la sémillante Célia Drouy. O Neill a une technique sûre, des lignes déliées, mais surtout un haut de corps qui respire et des bras d’une infinie éloquence. Tout n’est que grâce jusqu’au bout de ses dernières phalanges !
Basilio / Hugo Marchand entre en scène avec une joie de danser qui ne se démentira pas pendant tout le spectacle ; sa danse généreuse, habitée, donne également une grande impression de liberté. Son plaisir à danser est contagieux et on se prend immédiatement de sympathie pour son personnage. Attentif à sa partenaire qu’on sent pleinement confiante avec lui, il la met merveilleusement en valeur sans toutefois s’effacer. L’équilibre est parfait. Le quatuor composé de ce couple et des amies, qui devient un sextuor ou octuor au gré des échanges avec les différents personnages, possède une énergie qui se communique à tout le corps de ballet cette fois-ci parfaitement ensemble : tout le monde prend du plaisir sur scène et en offre généreusement au public. Et c’est ce que je retiendrais de cette soirée : cette offrande de la danse à un public extrêmement réactif qui applaudit spontanément parce qu’il interagit avec les artistes : les deux trouvent l’un dans l’autre un quelque chose qui les unit le temps de ce spectacle généreux. Car l’art, s’il peut divertir, peut surtout unir dans une même vibration public et artistes, et c’est ce qui s’est passé ce 16 avril. C’est la magie du spectacle vivant.
Au premier acte, pêcheurs et filles de Barcelone mènent joyeusement la danse avec une insouciance et une nonchalance qui tranchent avec l’entrée des matadors virils et sérieux. Leurs espagnolades et leurs jeux de cape offrent à cette joyeuse assemblée un contrepoint parfaitement dosé.
La variation aux castagnettes, ébouriffante, montre une jeune femme de caractère, ardente et passionnée ; celle de Basilio offre une batterie superbe et une belle envolée dans les sauts. Ce couple, haut en couleur, alterne les chamailleries et les jeux de séduction propres aux jeunes gens tout juste sortis de l’adolescence, qui se teste l’un l’autre ; pourtant, on sent poindre une attirance réelle qui s’épanouira tout au long du ballet.
Le Gamache de Daniel Stoke, petit nerveux teigneux et précieux, parvient à nous intéresser de longues minutes à son mouchoir ! Quant au Lorenzo de Sébastien Bertaud, il est sous le charme de sa fille, et quoiqu’elle fasse, il se fait mener par le bout du nez, et on le comprend.
Chaque petit rôle est joué avec la même intensité et cela rend le plateau si vivant qu’on ne voit pas passer le premier acte dont les 20 dernières minutes diffusent une énergie extraordinaire, soutenue par un orchestre léger, aux tempos plus rapides que le 24 mars ce qui renforce l’impression de fougue et d’entrain.
On reste assis sur son siège à l’entracte, un sourire béat sur les lèvres…
Vue de plus près, la scène des gitans n’est plus aussi sombre, et on peut admirer le gitan d’Antoine Kirscher, puissant, autoritaire, imposant, aux lignes nettes et tranchantes comme découpées dans du métal. Les gitans/gitanes fougueux campent un peuple mystérieux et fascinant qui semble avoir leur propre code et leur propre langage. Tout cela n’était pas visible le 24.
Le duo au châle, langoureux, montre un amour ardent, qui couvait jusqu’alors et qui prend vraiment forme : Kitri, sensuelle, et Basilio plein de désir, ne sont plus dans la séduction et dans le jeu, mais troublés par cette vibration particulière qui unit les vrais amoureux.
Dans la scène des dryades, on regrette Kang en reine des dryades et Mcintosh en Cupidon. En revanche, O Neill, tout en légèreté et en musicalité devient le rêve immaculé et évanescent de Don Quichotte, subjugué.
Le troisième acte passera tout aussi rapidement que les deux premiers ; l’énergie et l’enthousiasme de l’ensemble de la troupe ne faiblit pas et le pas de deux de Kitri et Basilio, impressionnant de maîtrise et de beauté visuelle, montre deux artistes animés d’un même souffle, d’une même énergie, tel deux âmes sœurs. Beaucoup de puissance, d’autorité et de poésie émanent de leur danse, ensemble ou seuls ; leur registre semble infini et ils s’insufflent l’un à l’autre l’énergie nécessaire pour tenir ce marathon dansé jusqu’au bout où triomphe leur amour. On reste le souffle suspendu pendant le passage lent, empreint d’une grande maîtrise et de beaucoup de classe, d’élégance et d’autorité, qui nous cloue sur nos sièges, et le souffle coupé lors du déferlement de leur virtuosité. On sent leur énergie remuer nos tripes et on n’a qu’un désir : leur donner tout notre enthousiasme de spectateur pour que leur danse les porte encore plus loin. C’est bien de fusion qu’il s’agit…. Rasa, diraient les Indiens mène au Tout…
Le finale, somptueux, déclenche un tonnerre d’applaudissement : le public est heureux et tout le plateau l’est aussi ; on ressort follement joyeux d’avoir vu la compagnie en si grande forme, dans un spectacle d’une incroyable générosité soutenu par un orchestre impeccable ! Et on mettra de longues heures à redescendre de notre petit nuage. Il faudra l’aube pour trouver un peu de sommeil, et encore…
Cette représentation vient rejoindre nos préférées : Pontois/ Bujones, Loudières/Dupont, Le Riche/ Letestu et Pagliero/Paquette.
Je suis ressortie de cette matinée du dimanche 24 mars plutôt mitigée, comme si j'avais assisté à une répétition générale ; tout " pourrait être " mais n'est pas encore parfaitement abouti.
Don Quichotte, c'est un ballet marathon, qui demande de la puissance, de la gaîté et de la virtuosité, sans quoi toute vie disparaît, et il ne reste alors qu’un cruel sentiment de frustration.
À l'acte I, le couple principal semble mal assorti, et les deux artistes ne se mettent pas en valeur l’un l’autre ; on s’ennuie parfois un peu ; on ne voit ni jeu de séduction, ni d'amour véritable, ni de complicité, mais plutôt deux copains qui s'amusent à jouer à s'aimer.
Malgré tout, Germain Louvet campe un Basilio très aérien à la technique étincelante ; il est particulièrement à l’aise dans ce registre, accélérant ou ralentissant des pas à loisir, jouant avec le tempo, ce qui donne beaucoup de vie à ses variations.
Il possède une batterie aussi incisive que précise, une belle amplitude dans les sauts, et se montre un partenaire attentif.
À ses côtés, O Neill semble avoir un peu de mal à savoir ce qu’elle veut faire de sa Kitri. Elle ne trouve pas le « bon ton » malgré beaucoup d’engagement physique et d’enthousiasme. Sa première variation qui oscillait entre la séduction et la puissance, reste de la sorte un peu bancale, un peu raide; où est la danse, la fluidité, l'ardeur, la passion? Sa variation aux castagnettes dans sa dernière partie est bien plus convaincante. Une raideur inhabituelle dans le haut du corps semblait gêner l'amplitude de certains mouvements, cependant qu'elle déployait beaucoup de puissance et de virtuosité dans les pas et les tours.
L’Espada de Legasa a l’autorité nécessaire et forme un couple flamboyant avec la danseuse de rue de la séduisante Naïs Duboscq qui a exactement ce qu’il faut de gouaille à la Arletty pour qu'on réalise que les ruelles de la ville sont son domaine, et qu'elle y est à l'aise.
Le très drôle Gamache de Léo de Busserolles, qui campe un personnage plus teigneux que ridicule avec brio, donne une réplique parfaite au Sancho Pancha, grivois à souhait de Jérôme Devilder ; ce duo est complété par le bouillant Lorenzo d’Alexander Maryianowksi qui a le sang chaud, ne réfléchit qu'après coup, mais n’est pas un mauvais bougre et bien sûr par Don Quichotte ( Cyril Chokroun) qui, la tête farcie de livres, vit dans un autre siècle ; à eux quatre, ils apportent la gaité qui manque au premier acte dont les ensembles manquent cruellement... d’ensemble ! Que de pas brouillons, ce qui devient gênant quand les frappes des talons se désynchronisent et virent presque au grand cafouillage !
L'acte II des gitans ne rend rien à cause de ses costumes empesés et de l'éclairage sombre. Sans doute que le gitan d’Alexandre Gasse et le roi des gitans de Matt Vuaflart sont très bien, mais, du fond du parterre, ils disparaissent dans l’ombre aisni que leur peuple dont les encombrants costumes ne mettent pas la chorégraphie en valeur.
Le duo au châle manquait de complicité, de sensualité, et surtout de poésie. Ces deux amants ne semblent pas du tout en fuite, pas plus qu'ils ne semblent s'abandonner à la douceur d'aimer...
Quant aux dryades, pas en ligne, elles sont sauvées par leur reine, la très poétique et sensible Hohyun Kang dont la danse suspend le temps ; la simple traversée de la scène avec ses sauts arrière en écart en prenant le bras de Don Quichotte ( Cyril Chokroun) allie douceur et tendresse, et sa variation était un summum de poésie et d’émotion ; tellement aérienne, tellement irréelle et légère, que ses développés secondes semblent être exécutés par un être d'un autre monde. Le Cupidon de McIntosh est piquant à souhait. Mais O Neill semble une fois encore bien raide dans la difficile variation de cet acte. A vouloir garder les équilibres le plus longtemps possible, il n'y a plus de danse du tout.... Ce deuxième acte était particulièrement décevant.
Au III acte, c'est tout à coup une tout autre troupe qui surgit et on a peine à y croire : qui a donc de cette façon remonté le moral des danseurs qui s'en donnent enfin à cœur joie dans la scène de la taverne ? Louvet a beaucoup amusé le public avec son faux suicide. Chacun semble avoir trouvé sa place, et la gaieté commune emporte l'adhésion de toute la salle. Quand vient le mariage, le grand " cirque " commence : quel challenge pour les danseurs que ce finale qui les fait aller au bout de leurs forces et de leurs ressources techniques sans abandonner leurs personnages.
Splendide variation de Louvet, même si les tours en l'air /arabesque finaux lui ont donné un peu de fils à retordre. A sa décharge, ces pas, redoutables à exécuter et pas vraiment beaux même bien dansés, ne remplaceront jamais le grand manège qu’on voit dans d’autres versions. .
Quant à O Neill, toute galvanisée, elle était enfin Kitri; son manège de fouettés simples et doubles, flamboyant, a eu un petit accroc, mais elle s'est repris de suite, et a terminé sa série dans un tempo effréné. Personnellement, j'ai beau adorer Noureev, je n'aime pas non plus cette variation avec les retirés au genou qu'il a intégrés, et je regrette beaucoup le pas du cheval ; d’accord, Kitri a du caractère, mais elle est aussi piquante et séduisante, coquette et féminine, et le pas du cheval montre toutes ces qualités. quelle que soit la danseuse, je n'aime pas cette variation ; Dans Raymonda, les retirés ont un sens mais dans Don Quichotte, ils tombent à plat ; pourtant, ceux d'O Neill étaient superbes : elle pose le talon sans le replacer ensuite ce que font beaucoup de danseuses.
Bref un très beau finale, avec une troupe bondissante qui annonce que la prochaine représentation avec la même équipe sera un sans faute ou presque !
Dans l'ensemble, l’orchestre était plutôt bien dosé avec un très bel ensemble de cordes.
Mais qu'on ne s'y méprenne pas; j'adore Hannah O Neill et me désespérais de sa nomination; ce blog en témoigne d'ailleurs; j'avais fait la sortie des artistes il y a presque dix ans, pour l'un de ses premiers rôles solistes, Paquita, avec Mathias Heymann, afin de lui témoigner mon admiration et mon enthousiasme; je l'ai adorée en Sylphide avec Vincent Chailley, dans le Lac aux côtés de Bittencourt ou de Révillon, dans le Songe en Titania, dans Agon, bref... une vraie admiratrice ! J'ai donc décidé de retourner la voir, mais cette fois-ci avec Hugo Marchand !
A la représentation du 28 décembre, la magie du spectacle vivant a enchanté toute la salle, aussi bien les petits que les grands, car le public ce soir là était en partie familial. Quand la joie de danser anime tout un plateau, surtout pour un spectacle comme celui là, tout devient magique et le public retrouve son regard d’enfant, émerveillé. Quel magnifique cadeau les artistes nous ont fait là, soutenu par un orchestre au diapason !
Cela commence dès le lever de rideau sur une rue un peu sombre et brumeuse, animée par les silhouettes de la vendeuse de marron chaud qui grelotte sous son châle, et du joueur d’orgue de barbarie qui compte sur la générosité des passants. Les invités arrivent, on dit aux enfants de bien se tenir. Le décor est installé. Dans la grande maison bourgeoise, les adultes adoptent une bonne humeur de bon ton imposé par les conventions de leur statu social.
Noureev a planté le décor de son Casse-Noisette à la fin du 19ème siècle, date à laquelle
Tchaikowsky a composé la musique. Les enfants s’ennuieraient ferme si un personnage étrange, un bandeau sur l’œil, ne faisait tout à coup irruption dans ce grand salon ; la fantaisie qu’il apporte avec lui donne vie à cette soirée de Noël et les enfants de l’école de danse s’en sont donnés à cœur joie.
Comment peut-on dire que les ballets de Noureev sont à bout de souffle quand ils contiennent autant de poésie et de sensibilité, portés sur chaque détail ?
A eux seuls, les décors et les costumes, (légèrement modifiés), traduisent sa pensée : une bourgeoisie empesée dans ses principes, des enfants plein de vie qui auraient passé une soirée bien ennuyeuse sans l’arrivée de Drosselmeyer et de ses créations aussi fascinantes qu’inquiétantes.
Dès le premier acte, Marine Ganio affirme des qualités exceptionnelles : musicalité, aisance, grâce, précision ; c’est une enfant sensible, aimante et généreuse, pleine de tendresse pour Casse-Noisette dont les adultes raillent la laideur, qui devient courageuse face à l’armée des rats qui attaquent son Casse-Noisette la nuit quand tout le monde a disparu. Sa danse traduit tous ses sentiments avec une telle facilité qu’on oublie qu'elle danse et qu'on suit son personnage qui évolue tout au long du ballet : adolescente à peine sortie de l’enfance, elle s’épanouit en une jeune femme amoureuse sous la guidance de Drosselmeyer-Prince. Et là, autre bonheur : celui de voir Marc Moreau, qu’on avait beaucoup aimé dans le Lac l’an passé, s’en donner lui aussi à cœur joie, pour composer cet oncle fantasque, au grand cœur, puis le double sublimé surgi de l’imagination de sa nièce, un prince initiatique empli d’ardeur amoureuse.
Animés du même souffle, de la même, ardeur, de la même joie à danser, les pas de deux de ces deux artistes expriment la jeunesse et les battements d’un cœur qui aime pour la première fois. Marc Moreau exploite toute la palette de son registre expressif et technique. Elégance, bel élévation dans les sauts, batterie incisive, vivacité, et une joie à danser qui se communique à tout le plateau.
Le premier acte passe avec une rapidité déconcertante et s’achève magiquement sur les Flocons qui étaient une perfection. Là encore, la joie de danser illuminait tous les visages devant ce grand pont inspiré de celui Prague aux statues angéliques derrière lequel apparaît la forêt. Les tutus scintillants argents et blancs, les diadèmes, la neige qui tombe, toute cette poésie slave est portée par l’une des plus belles pages de Tchaikowsky.
Viendront au deuxième acte les craintes de la transgression, car Noureev s’est inspiré des analyses psychanalytique des contes, sans doute déjà pour comprendre sa propre psyché puis ensuite, pour donner sens et profondeur et une lecture personnelle à ses ballets : les monstrueuses chauve-souris, explique le Prince à Clara, ne sont rien d’autre que les parents, la famille, auxquels les crainte de la jeune fille qui devient femme ont donné cette allure horrifique ; elle est rassurée ; et ceux-ci peuvent alors réapparaitre, déguisés et inoffensifs, pour offrir un moment de divertissement fantaisiste. Roxane Stojanov et Antonio Conforti nous offre un magnifique duo sur une page musicale pleine de douceur et de mystère ; Roxane déroule ses arabesques et ses développés comme un grand serpent, elle s’enroule à son partenaire qui la met généreusement en valeur et le duo hypnotise toute la salle.
Dans la Valse des fleurs, l'énergie des garçons parfois en groupe de 4, donne de l'éclat et de la fougue à la partition tout en formant un parfait contrepoint à la danse ciselée de leurs partenaires féminines.
Le dernier pas de deux, redoutable, fut animé par le même plaisir de danser : Marine Ganio apparut presque irréelle au son du célesta, et Marc Moreau prit son envol dans le dernier grand manège.
Pour finir, il faut parler de l'orchestre et de l'exceptionnelle chef d'orchestre, Andrea Quinn, qui est spécialiste de la musique de ballet. Elle fait sonner l'orchestre avec une énergie, une fougue extraordinaire, donne mille couleurs aux cordes, des phrasés onctueux ou percutants, et la partition se renouvèle avec magie ( à part un piccolo qui n'a rien compris à ce qu'il devait jouer et un tuba qui n'a pas digéré son repas de Noël et a encore des hocquets) La chef applaudissait même les artistes entre deux numéros avec le public.
Public qui a fait une vraie ovation à l'ensemble des artistes.
Je suis vraiment ravie d’avoir retrouvé la compagnie en pleine forme, et je remercie tous les artistes pour ce moment de pure poésie, de magie, si généreusement offert.
Je rends ce matin hommage à une artiste de style odissi qui a " chorégraphié" et fait filmer de façon hautement artistique l'une des chorégraphies du répertoire odissi. (Lire à ce propos l'article sur Rekka Tandom sur l'odissi qui m'a profondément remuée cet été).
La chorégraphie en elle-même de Ratikant Mohapatra ( fis de Kelucharan, l'un des " fondateurs" de la re-création du style odissi) est simple, fluide, féminine. Je préfère mille fois les chorégraphies de Ratikant pour cette fluidité, cette douceur des mouvements qui dialoguent avec des frappes de pieds précises et toujours tellement musicales.
Mais Anjali, magnifique danseuse odissi, a su apporter un plus à cette chorégraphie en jouant avec les lignes; C'est presque du Petipa ! Les danseuses se croisent, changent leurs axes, leurs directions, créent des formes géométriques toutes ensemble, le tout dans une parfaite synchronicité. Parfois la chorégraphie est filmée d'en haut, et on voit bien tout le travail des lignes qui animent la scène et qui apportent vraiment un plus à cette œuvre.
Je regarde énormément de scènes odissi, mais je n'ai jamais vu cette qualité de danse, de lignes, cette inventivité qui met superbement en valeur le style odissi ici parfaitement maîtrisé.
J'aimerai beaucoup qu'Anjali qui danse en solo rageshree pallavi la confie à ce groupe talentueux avec le même bonheur.