Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

  • : Un jour, une œuvre
  • : Créé en 2006, ce blog rédigé par Valérie Beck autrefois consacré à la danse et à ma compagnie se diversifie davantage.
  • Contact

contact

 
n'hésitez pas à me faire part de vos suggestions, de vos découvertes, ou de vos propres articles!

Rechercher

Noureev

 

Danser, telle la phalène sous la lune, le pinceau du calligraphe, ou l'atome dans l'infini 

                                              

marie-taglioni-in-zephire.jpg

31 août 2024 6 31 /08 /août /2024 12:56

 

 

En attendant de retrouver les salles de spectacles, une première vidéo de harpe 27 cordes pour laquelle je réalise des arrangements de traditionnels irlandais, écossais ou autres ; je propose gratuitement les partitions sur mon site d'analyses musicales :    https://musiques-pluriel.webnode.fr/partitions-musescore/

 

A télécharger en PDF.

La première est Lord Mayo; suivront  Foggy dew, Tri Matelod, Scarborough fair, Brian Boru, Chanter song, et bien d'autres ! ...

Et toujours les chansons que j'ai écrites, et les chorégraphies issues des anciens spectacles de ma compagnie de danse, qui métissait le jazz, l'oriental, avec une touche d'autre chose, indéfinissable.

 

 

Partager cet article
Repost0
8 juillet 2024 1 08 /07 /juillet /2024 07:12

Sur youtube, j'ai mis en ligne quelques créations et notamment quelques maquettes ou live de chorégraphies réalisées pour mon ancienne compagnie de danse comme aide-mémoire afin qu'elles puissent répéter chez elles. Je n'ai malheureusement pas beaucoup de vidéos filmées sur scène, ou bien celles-ci sont de piètre qualité. 

J'ai retrouvé par hasard ces maquettes réalisées il y a presque une vingtaine d'années il y a quelques jours, et je les ai revues d'un oeil neuf. Certaines m'ont paru  suffisamment intéressantes pour  que les mette en ligne.

J'avais créé un style qui alliait l'énergie du jazz à la danse orientale saupoudrée de pas inspirés par toutes sortes de choses. Je ne faisais pas  encore à l'époque de danse indienne, j'ai commencé lorsque j'ai arrêté la compagnie à 50 ans. Les musiques pouvaient être classiques, orientales, ou bien encore empruntées à un répertoire comme la world music et bien d'autres choses. 

Voici le lien, pour le plaisir du partage. 

 

Il y a aussi quelques enregistrements maisons de chansons que j'ai composées.

Partager cet article
Repost0
2 juillet 2024 2 02 /07 /juillet /2024 07:18
Lac des cygnes : Park/Marque/Legasa 30 juin 2024

Quand les artistes parlent couramment le Noureev…!

Sae Eun Pak, Paul Marque et Pablo Legasa ont été en état de grâce ce dimanche 30 juin. Cela arrive parfois, quand tout à coup, les interprètes racontent non seulement tous la même histoire, mais qu’en plus, la technique qui est à son sommet, est entièrement au service de la narration. Il se passe alors entre le public et les artistes quelque chose d'inoubliable dont les traces impalpables vibreront toujours.  Et c’est bien pour cela qu’on retourne, année après année, voir des Lac, des Giselle, des Sylphides, pour partager avec les artistes ces moments imprévisibles, qui ne se produisent pas systématiquement à chaque fois, même si c'est la même distribution,  mais qu’on n’oublie jamais lorsqu’ils arrivent.

 

Prologue

En ce dimanche 30 juin, le Lac des cygnes s’ouvre sur un Prince endormi sur un trône, pendant que sur scène, se déroulent ses rêveries. Il y aurait beaucoup de choses à dire du point de vue psychanalytique sur la symbolique de la princesse transformée en oiseau par une figure de l’ombre. Mais ce qui est sûr, c’est que Paul Marque ce jour-là arrive, je ne sais pas quelle magie, à nous faire entrer dans son esprit : on y lit clairement tout ce qui s’y passe. Et on peut donc voir tout le ballet comme si on était le prince. La sensibilité de Paul Marque, artiste d’une infinie subtilité artistique donne une immense lisibilité à cette version de Noureev, si décriée aujourd’hui, alors qu’elle est de toute beauté, si les artistes ont la maturité suffisante pour la danse : ainsi, l’enfermement mental du prince est total et quand bien même il le voudrait, il n’a pas accès au monde extérieur et c’est de l’esprit du Prince que l’on va suivre tout le drame.

Acte 1

Lorsque la cour arrive après ce prologue-drame intérieur, on se rend vite compte que ce prince est un enfant qui n’a pas pu grandir, un petit garçon qui voudrait vivre, être heureux, de toutes ses forces, mais à qui on n’a pas donné les clés pour s’intégrer au monde extérieur ; qu’il le veuille ou non, sa vie se passe dans sa tête, et le jeu tout en nuance de Pablo Legasa présente une nouvelle interprétation de Rothbart :  Legasa ne fait pas de grand mouvement de cape, il n’est pas brutal, il ne virevolte pas dans tous les sens, il n’est pas machiavélique, il est là comme un gardien du seuil, tout-puissant, qui empêche le Prince de franchir la limite qui le sépare du monde extérieur ; quoi qu’il fasse, il échoue. Rothbart devient une allégorie, un symbole de ce qui verrouille le désir du Prince, une sorte de Surmoi, implacable, plutôt qu’un précepteur aux intentions obscures.

La variation mélancolique du Prince confirme son impuissance à vivre, bien qu’il le veuille de toutes ses forces, mais quoi qu’il fasse, il sait qu’il échouera. Ses lignes étirées, ses cambrés désaxés, expriment à la fois la douleur et l’impossibilité de prendre la vie à bras le corps. Le Prince est en même temps si léger, qu'on a peine à croire à sa réalité.

Ensuite, lorsqu’il tente malgré tout de se mêler à la joyeuse cour et aux jeunes filles gracieuses, le simple bras posé par Rothbart sur lui le cloue sur place, comme si l’interdit, le tabou lui étaient dictés par son inconscient.

 

Le pas de trois arrive comme une bouffée d’air, magnifiquement dansée par une Marine Ganio pétillante à souhait, une Aubane Philbert pleine d’ardeur et un Arthur Raveau à la superbe élévation.

La danse des coupes est enlevée avec panache, et le premier acte s’achève sur un prince qui symboliquement, avec son l’arbalète, est invité à prendre sa vie en main. Quel désir vise-t-il ?

Acte 2

Mais lorsqu’Odette/Park entre en scène, Siegfried est en plein rêve. Et dans ce songe, la cygne-reine qui ne sera jamais à aucun moment une femme, est son double féminin : Sae Eun est tellement irréelle, d’une fragilité si absolue, qu’elle pourrait à tout moment disparaître en fumée. Toute dévouée à ses cygnes lyriques et plaintifs, elle ne croit en rien, car tout est perdu d’avance,  et c’est ce que raconte le pas de deux : le drame se refermera impitoyablement sur le prince et son rêve évanescent. Et c'est bien ce fatum que Tchaikowsky avait en tête quand il écrit la partition : " C'est le fatum, cette force du destin qui nous interdit de goûter le bonheur (...) qui reste suspendue comme une épée de Damoclès et sans répit nous empoisonne l'âme. S'il ne nous reste que la résignation et la tristesse, il est alors préférable de tourner le dos à la réalité et de se laisser aller au rêve."  

Dans ce contexte, la coda d’Odette est un summum de désespoir, dont l’intensité gagne le spectateur et le cloue sur place. Il est surprenant qu’après une danse tout en retenue, en lyrisme, en apesanteur, cette coda montre cet oiseau-rêve qui se débat de toutes ses forces pour échapper à son destin, dans un dernier sursaut d’énergie, tout en sachant que cela ne servira à rien.  Là encore, la métaphore est magnifique.

L’acte III offre un beau moment de danse pleine d’énergie ; on réalise une fois de plus que ce n’est pas la chorégraphie qui doit être intéressante, mais ce qu’en font les interprètes. Et ce dimanche après-midi, on est gâté : je retiens surtout la poésie de la Czardas, l’énergie de la danse espagnole, et la gaité sautillante de la danse napolitaine   menée une Millet-Maurin enjouée à laquelle  Manuel Garrido donne la réplique. Quant aux fiancées, quelle grâce ! J’aurais pu les suivre toutes les 6 sur scène encore de longues minutes, tant j’étais émerveillée par la fluidité de leurs mouvements, la gracilité et la féminité de leur danse.  Et c’est si bien dansé que lorsque Odile arrive, personne n’est préparé au drame qui va suivre :

Dès qu' Odile entre en scène, quelque chose vénéneux se faufile dans la fête, mais à peine palpable, car il règne aussi une forme d’insouciance qui rendra d’autant plus tragique le dénouement de cet acte. Pablo Legasa a dansé sa variation avec un brio exceptionnel. Ses sauts incisifs, tranchants comme des faux, annoncent la mise à mort symbolique du prince. Lequel, au contraire, pense avoir enfin trouvé la clé pour vivre : sa variation montre une ardeur, une joie, une libération qui en font en pendant magnifique à la variation de l’acte 1. Les sauts s’envolent, tandis qu’à l’acte 1, il ne pouvait prendre son envol ; ce n’est pas seulement le sentiment amoureux qui l’anime, mais aussi la joie de se sentir vivant, vibrant, ayant enfin trouvé les clés de la liberté ;  Il sait enfin qui il est, et se sent enfin légitime pour vivre sa vie comme il l’entend. Et son désarroi est d’autant plus poignant lorsqu’il réalise que ce nouveau fantasme ne franchira pas les portes de son esprit. Le passage où d’une façon machiavélique Rothbart lui fait à nouveau jurer son amour, comme il l’avait fait à l’acte 2, est d’une perfidie absolue.

Lorsque le douloureux acte 4 commence avec la sublime musique de Tchaikowsky et les plaintes des cygnes, on sait que tout est déjà fini. Princesse comme prince vivent leurs derniers instants sans lutter ; ils s’inclinent devant le destin. Et leur renoncement au bonheur sur les thèmes aux hautbois nous meurtrit complètement. Rothbart n’a même pas à lutter contre le prince, qui est déjà vaincu. Quel intelligence, chez Noureev, de reprendre en partie le duo de l’acte 1, mais ici, avec un prince qui ne peut plus lutter car il réalise que tous ses rêves ne lui ont été  d’aucune utilité ; ils s’ouvrent sur un néant total, sans espoir. La dernière lueur incarnée par le cygne-rêve est anéantie par Rothbart et le prince sombre dans le « lac de larmes » de son désespoir.

 À ce moment, et pour la première fois de ma vie, j’ai vu tous les cygnes littéralement flotter sur l’eau-scène, je ne voyais plus des danseuses, mais des oiseaux blancs, toutes plumes déployées, sur l’eau sombre du lac, embrumée par la détresse du prince. Quel merveilleux épilogue, pour cette tragédie, que cet ultime chant des cygnes.

L’orchestre a été dirigé avec doigté par le chef d’orchestre estonien, Vello Pähn qui a superbement mis en valeur les cuivres souvent indisciplinés de l’orchestre, et réussit à faire entendre chaque plan sonore avec une clarté nimbée d’une immense poésie.

 

J’ai versé beaucoup de larmes tout au long du ballet, et sans m'arrêter les dernières minutes, ce qui ne m’était pas arrivé sur un Lac avec autant d'intensité depuis Letestu/Le Riche /Romoli en 2006, et en l’écrivant, j’en ai encore les larmes aux yeux. Il y a l’émotion, mais aussi ce fameux «  rasa » indien, qui naît directement de l’intensité de tous les artistes sur scène, autrement dit de ce sublime instant de grâce. Car le corps de ballet était lui aussi magnifique, et tous les artistes étaient comme en symbiose, animés par cette grâce qui a fait se lever d’un bond tout Bastille : superbe standing ovation !

 

Ce compte-rendu pour  remercier tous les artistes du fond du cœur, ainsi tous que les techniciens de la scène, José Martinez et tous les répétiteurs, qui redonnent tout son lustre au ballet de l’opéra de Paris.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
5 mai 2024 7 05 /05 /mai /2024 09:21
Aller plus loin : les ballets et leurs contextes. Le Lac des cygnes, Casse-Noisette, Giselle, Don quichotte...

 

    Sur le forum dansespluriel que j'administre, et que des membres réguliers ou pas animent généreusement, car tout le monde est le bienvenu, j'ai pris l'habitude depuis quelques années d'ouvrir des topics pour resituer les ballets dans leur contextes historiques et culturels. J'espère ainsi aiguiser la curiosité du spectateur, balletomane féru ou non, et de nourrir son imaginaire, afin que, si l'occasion lui est donnée de voir le ballet sur scène ou en vidéo, il puisse y entrer pleinement, de tout son être,  et vibrer de toutes ses fibres.

Voici la liste des topics ouverts, que j'alimente suivant le temps dont je dispose. Certains sont récents, il y a encore peu de choses, d'autres ouverts il y a plusieurs années. Voici la liste provisoire, car je compte ouvrir ce type de topic pour tous les ballets qui me tiennent à cœur.

 

En marge du Lac des cygnes

En marge de Casse-Noisette

En marge de Don Quichotte

En marge de Giselle

 

 Bonne lecture! 

Partager cet article
Repost0
18 avril 2024 4 18 /04 /avril /2024 07:07
Don Quichotte : Marchand/ O Neill - 16 avril 2024. ONP

Le prologue qui le 24 mars, a paru bien long, passe très rapidement ce 16 avril grâce à la meilleure place qu’on a prise ainsi qu’ aux intentions très claires de Don Quichotte/Yann Chailloux, personnage au grand cœur, ainsi que celles de son comparse, Sancho Pança/ Fabien Révillion qui  montre dès son entrée en scène plusieurs facettes de son personnage : la paillardise, bien sûr, mais d’autres nuances qu’on n’avait jamais remarquées avant : ce personnage possède un côté très protecteur joué avec beaucoup de conviction. Il anticipe tous les pièges dans lesquels Don Quichotte fonce tête baissée. Par ailleurs,  il s’en donne à cœur joie pour donner la réplique aux  trios, quatuor  ou ensemble plus vaste.  Gai, espiègle et protecteur, il a toujours un œil sur son chevalier qui vit dans son monde au péril de sa vie.

 

L’entrée de Kitri/ O Neill, bondissante et énergique, est joyeusement saluée par des applaudissements enthousiastes. Ce n’est pas si fréquent !  Kitri virevolte, pleine de gaité, s’amuse à provoquer la bonne société, teste ses charmes sur les garçons de la ville, et forme un formidable trio avec ses deux amies, la charismatique Catherine Higgins et la sémillante Célia Drouy. O Neill a une technique sûre, des lignes déliées, mais surtout un haut de corps qui respire et des bras d’une infinie éloquence. Tout n’est que grâce jusqu’au bout de ses dernières phalanges !

Basilio / Hugo Marchand entre en scène avec une joie de danser qui ne se démentira pas pendant tout le spectacle ;  sa danse généreuse, habitée, donne également une grande impression de liberté. Son plaisir à danser est contagieux et on se prend immédiatement de sympathie pour son personnage. Attentif à sa partenaire qu’on sent pleinement confiante avec lui, il la met merveilleusement en valeur sans toutefois s’effacer. L’équilibre est parfait. Le quatuor composé de ce couple et des amies, qui devient un sextuor ou octuor au gré des échanges avec les différents personnages,  possède une  énergie qui se communique  à tout le corps de ballet cette fois-ci parfaitement ensemble : tout le monde prend du plaisir sur scène et en offre généreusement au public. Et c’est ce que je retiendrais de cette soirée : cette offrande de la danse à un public extrêmement réactif qui applaudit spontanément parce qu’il interagit avec  les artistes : les deux trouvent l’un dans l’autre un quelque chose qui les unit le temps de ce spectacle généreux.  Car l’art, s’il peut divertir, peut surtout unir dans une même vibration  public et artistes, et c’est ce qui s’est passé ce 16 avril. C’est la magie du spectacle vivant.

 

Au premier acte, pêcheurs et filles de Barcelone mènent joyeusement la danse avec  une insouciance et une nonchalance qui tranchent avec l’entrée des matadors virils et sérieux. Leurs espagnolades et leurs jeux de cape  offrent à cette joyeuse assemblée un contrepoint parfaitement dosé.   

La variation aux castagnettes, ébouriffante, montre une jeune femme de caractère, ardente  et passionnée ; celle de Basilio offre une batterie superbe et une belle envolée dans les sauts. Ce couple, haut en couleur, alterne les chamailleries et les jeux de séduction propres aux jeunes gens tout juste sortis de l’adolescence,  qui  se teste l’un l’autre ; pourtant, on sent poindre une attirance réelle qui s’épanouira tout au long du ballet.  

Le Gamache de Daniel Stoke, petit nerveux teigneux et précieux, parvient à nous intéresser de longues minutes à son mouchoir ! Quant au Lorenzo de Sébastien Bertaud, il est sous le charme de sa fille, et quoiqu’elle fasse,  il se fait mener par le bout du nez, et on le comprend.

Chaque petit rôle est joué avec la même intensité et cela rend le plateau si vivant qu’on ne voit pas passer le premier acte dont les 20 dernières minutes diffusent une énergie extraordinaire, soutenue par un orchestre léger, aux tempos plus rapides que le 24 mars ce qui renforce l’impression de fougue et d’entrain.

On reste assis sur son siège à l’entracte, un sourire béat sur les lèvres…

Vue de plus près, la scène des gitans n’est plus aussi sombre, et on peut admirer le gitan  d’Antoine Kirscher, puissant, autoritaire, imposant, aux lignes nettes et tranchantes comme découpées dans du métal. Les gitans/gitanes fougueux campent un peuple mystérieux et fascinant qui semble avoir leur propre code et leur propre langage. Tout cela n’était pas visible le 24.

Le duo au châle, langoureux, montre un amour ardent, qui couvait jusqu’alors et qui prend vraiment forme : Kitri, sensuelle, et Basilio plein de désir,  ne sont  plus dans la séduction et dans le jeu, mais troublés par cette vibration particulière qui unit les vrais amoureux.

Dans la scène des dryades, on regrette Kang en reine des dryades et Mcintosh en Cupidon. En revanche, O Neill, tout en légèreté et en musicalité  devient le rêve immaculé et évanescent de Don Quichotte, subjugué.

 

Le troisième acte passera tout aussi rapidement que les deux premiers ; l’énergie et l’enthousiasme de l’ensemble de la troupe ne faiblit pas et le pas de deux de Kitri et Basilio, impressionnant de maîtrise et de beauté visuelle, montre deux artistes animés d’un même souffle, d’une même énergie, tel deux âmes sœurs. Beaucoup de puissance, d’autorité et de poésie émanent de leur danse, ensemble ou seuls ; leur registre semble infini et ils s’insufflent l’un à l’autre l’énergie nécessaire pour tenir ce marathon dansé jusqu’au bout où triomphe leur amour. On reste le souffle suspendu pendant le passage lent,  empreint d’une grande maîtrise et de beaucoup de classe, d’élégance et d’autorité,  qui nous cloue sur nos sièges, et le souffle coupé lors du déferlement de leur virtuosité. On sent leur énergie remuer nos tripes et on n’a qu’un désir : leur donner tout notre enthousiasme de spectateur pour que leur danse les porte encore plus loin. C’est bien de fusion qu’il s’agit…. Rasa, diraient les Indiens mène au Tout…

Le finale, somptueux, déclenche un tonnerre d’applaudissement : le public est heureux et tout le plateau l’est aussi ; on ressort follement joyeux d’avoir vu la compagnie en si grande forme, dans un spectacle d’une incroyable générosité soutenu par un orchestre impeccable ! Et on mettra de longues heures à redescendre de notre petit nuage. Il faudra l’aube pour trouver un peu de sommeil, et encore…

Cette représentation vient rejoindre nos préférées : Pontois/ Bujones, Loudières/Dupont, Le Riche/ Letestu et Pagliero/Paquette.    

 

Partager cet article
Repost0
29 mars 2024 5 29 /03 /mars /2024 13:09

Je suis ressortie de cette matinée du  dimanche 24 mars plutôt mitigée, comme si j'avais assisté à une répétition générale ; tout " pourrait être " mais n'est pas encore parfaitement abouti.
Don Quichotte, c'est un ballet marathon, qui demande de la puissance, de la gaîté et de la virtuosité, sans quoi toute vie disparaît, et il ne reste alors qu’un cruel sentiment de frustration.  

 

À l'acte I,  le couple principal semble mal assorti, et les deux artistes ne se mettent pas en valeur l’un l’autre ;  on s’ennuie parfois un peu ; on ne voit ni jeu de séduction, ni d'amour véritable, ni de complicité, mais plutôt  deux copains qui s'amusent à jouer à s'aimer.

Malgré tout, Germain Louvet campe un Basilio très aérien à la technique étincelante ; il est particulièrement à l’aise dans ce registre, accélérant ou ralentissant des pas à loisir, jouant avec le tempo, ce qui donne beaucoup de vie à ses variations.

Il possède une batterie aussi incisive que précise, une belle amplitude dans les sauts, et se montre un partenaire attentif.

À ses côtés, O Neill semble avoir un peu de mal à savoir ce qu’elle veut faire de sa Kitri. Elle ne trouve pas le « bon ton » malgré beaucoup d’engagement physique et d’enthousiasme. Sa première variation qui oscillait entre la séduction et la puissance, reste de la sorte un peu bancale, un peu raide; où est la danse, la fluidité, l'ardeur, la passion?  Sa variation aux castagnettes dans sa dernière partie est bien plus convaincante. Une raideur inhabituelle dans le haut du corps semblait gêner l'amplitude de certains mouvements, cependant qu'elle déployait beaucoup de puissance et de virtuosité dans les pas et les tours.

L’Espada de Legasa a l’autorité nécessaire et forme un couple flamboyant avec  la danseuse de rue de la séduisante Naïs Duboscq qui a exactement ce qu’il faut de gouaille à la Arletty pour qu'on réalise que les ruelles de la ville sont son domaine, et qu'elle y est à l'aise.

Yonathan Kellerman ONP
Photo issue du site de l'opéra de Paris. Cliquer sur la photo pour accéder à la galerie

 

Le très drôle Gamache de Léo de Busserolles, qui campe un personnage plus teigneux que ridicule avec brio,  donne une réplique parfaite au Sancho Pancha, grivois à souhait de Jérôme Devilder ; ce duo est complété par le bouillant Lorenzo d’Alexander Maryianowksi  qui a le sang chaud, ne réfléchit qu'après coup, mais n’est pas un mauvais bougre et bien sûr par Don Quichotte ( Cyril Chokroun) qui, la tête farcie de livres,  vit dans un autre siècle ; à eux quatre, ils apportent la gaité qui manque au premier acte  dont les ensembles manquent  cruellement... d’ensemble ! Que de pas brouillons, ce qui devient gênant quand les frappes des  talons se désynchronisent et virent presque au grand cafouillage !
 

L'acte II des gitans ne rend rien à cause de ses costumes empesés et de l'éclairage sombre. Sans doute que le gitan d’Alexandre Gasse et le roi des gitans de Matt Vuaflart sont très bien, mais, du fond du parterre, ils disparaissent dans l’ombre aisni que leur peuple  dont les encombrants costumes ne mettent pas la chorégraphie en valeur.
 

Le duo au châle  manquait de complicité, de sensualité, et surtout de poésie. Ces deux amants ne semblent pas du tout en fuite, pas plus qu'ils ne semblent s'abandonner à la douceur d'aimer...  
Quant aux dryades, pas en ligne, elles sont sauvées par leur reine,  la très poétique et sensible Hohyun  Kang  dont la danse suspend le temps ; la simple traversée de la scène avec ses sauts arrière en écart en prenant le bras de Don Quichotte ( Cyril Chokroun) allie douceur et tendresse, et sa variation était un summum de poésie et d’émotion ; tellement aérienne, tellement irréelle et légère, que ses développés secondes semblent être exécutés par un être d'un autre monde.   Le Cupidon de McIntosh est piquant à souhait. Mais O Neill semble une fois encore bien raide dans la difficile variation de cet acte. A vouloir garder les équilibres le plus longtemps possible, il n'y a plus de danse du tout.... Ce deuxième acte était particulièrement décevant.

 

L'irréelle Honyun Kang

 

Au III acte,   c'est tout à coup une tout autre troupe qui surgit et on a peine à y croire : qui a donc de cette façon remonté le moral des danseurs qui s'en donnent enfin à cœur joie dans la scène de la taverne ? Louvet a beaucoup amusé le public avec son faux suicide. Chacun semble avoir trouvé sa place, et la gaieté commune emporte l'adhésion de toute la salle. Quand vient le mariage, le grand " cirque " commence  : quel challenge pour les danseurs que ce finale qui les fait aller au bout de leurs forces et de leurs ressources techniques sans abandonner leurs personnages.
Splendide variation de Louvet, même si les tours en l'air /arabesque finaux lui ont donné un peu de fils à retordre. A sa décharge,  ces pas, redoutables à exécuter et pas vraiment beaux même bien dansés, ne remplaceront jamais  le grand manège qu’on voit dans d’autres versions. .
Quant à O Neill,  toute galvanisée, elle était  enfin  Kitri; son manège de fouettés simples et doubles, flamboyant, a eu un petit accroc, mais elle s'est repris de suite, et a terminé sa série dans un tempo effréné. Personnellement, j'ai beau adorer Noureev, je n'aime pas non plus cette variation avec les retirés au genou qu'il a intégrés, et  je regrette beaucoup le pas du cheval ; d’accord, Kitri a du caractère, mais elle est aussi piquante et séduisante, coquette et féminine, et le pas du cheval montre toutes ces qualités. quelle que soit la danseuse, je n'aime pas cette variation ; Dans Raymonda, les retirés ont un sens mais  dans Don Quichotte,  ils tombent à plat ; pourtant, ceux d'O Neill étaient superbes : elle pose le talon sans le replacer ensuite ce que font beaucoup de danseuses.

Bref un très beau finale, avec une troupe bondissante qui annonce que la prochaine représentation avec la même équipe sera un sans faute ou presque !
Dans l'ensemble, l’orchestre était plutôt bien dosé avec un très bel ensemble de cordes.

Mais qu'on ne s'y méprenne pas; j'adore Hannah O Neill et me désespérais de sa nomination;  ce blog en témoigne d'ailleurs; j'avais fait la sortie des artistes il y a presque dix ans, pour l'un de ses premiers rôles solistes, Paquita, avec Mathias Heymann, afin de lui témoigner mon admiration et mon enthousiasme; je l'ai adorée en Sylphide avec Vincent Chailley, dans le Lac aux côtés de Bittencourt ou de Révillon, dans le Songe en Titania,  dans Agon, bref...  une vraie admiratrice ! J'ai donc décidé de retourner la voir, mais cette fois-ci avec Hugo Marchand !

Partager cet article
Repost0
31 décembre 2023 7 31 /12 /décembre /2023 09:40
Casse-Noisette. Noureev. Marine Ganio et Marc Moreau. 28 décembre 2023

 

A la représentation du 28 décembre,  la magie du spectacle vivant a enchanté toute la salle, aussi bien les petits que les grands, car le public ce soir là était en partie familial. Quand la joie de danser anime tout un plateau, surtout pour un spectacle comme celui là,  tout devient magique et le  public retrouve son regard d’enfant, émerveillé.  Quel magnifique cadeau les artistes nous ont fait là, soutenu par un orchestre au diapason !

Cela commence dès le lever de rideau sur une rue un peu sombre et brumeuse, animée par les silhouettes de la vendeuse de marron chaud qui grelotte sous son châle, et du joueur d’orgue de barbarie qui compte sur la générosité des passants. Les invités arrivent, on dit aux enfants de bien se tenir. Le décor est installé. Dans la grande maison bourgeoise, les adultes adoptent une bonne humeur de bon ton imposé par les conventions de leur statu social.

Noureev a planté le décor de son Casse-Noisette à la fin du 19ème  siècle, date à laquelle

Tchaikowsky a composé la musique. Les enfants s’ennuieraient ferme si un personnage étrange, un bandeau sur l’œil, ne faisait tout à coup irruption  dans ce grand salon ; la fantaisie qu’il apporte avec lui donne vie à cette soirée de Noël et les enfants de l’école de danse s’en sont donnés à cœur joie.

 Comment peut-on dire que les ballets de Noureev sont à bout de souffle quand ils contiennent autant de poésie et de sensibilité, portés sur chaque détail ?

A eux seuls, les décors et les costumes, (légèrement modifiés), traduisent sa pensée : une bourgeoisie empesée dans ses principes, des enfants plein de vie qui auraient passé une soirée bien ennuyeuse sans l’arrivée de Drosselmeyer et de ses créations aussi fascinantes qu’inquiétantes.

 

Dès le premier acte, Marine Ganio affirme des qualités exceptionnelles : musicalité, aisance, grâce, précision ; c’est une enfant sensible, aimante et généreuse, pleine de tendresse pour Casse-Noisette dont les adultes raillent la laideur,  qui devient courageuse face à l’armée des rats qui attaquent son Casse-Noisette la nuit quand tout le monde a disparu. Sa danse traduit tous ses sentiments avec une telle facilité qu’on oublie qu'elle danse et qu'on suit son personnage qui évolue tout au long du ballet : adolescente à peine sortie de l’enfance, elle s’épanouit en une jeune femme amoureuse sous la guidance de Drosselmeyer-Prince. Et là, autre bonheur : celui de voir Marc Moreau, qu’on avait beaucoup aimé dans le Lac l’an passé, s’en donner lui aussi à cœur joie, pour composer cet oncle fantasque, au grand cœur, puis le double sublimé surgi de l’imagination de sa nièce, un prince initiatique empli d’ardeur amoureuse.

 

Animés du même souffle, de la même, ardeur, de la même joie à danser, les pas de deux de ces deux artistes expriment la jeunesse et les battements d’un cœur qui aime pour la première fois. Marc Moreau exploite toute la palette de son registre expressif et technique.  Elégance, bel élévation dans les sauts, batterie incisive,  vivacité, et une joie à danser qui se communique à tout le plateau.

 

Le premier acte passe avec une rapidité déconcertante et s’achève  magiquement sur les Flocons qui étaient une perfection. Là encore, la joie de danser illuminait tous les visages devant ce grand pont inspiré de celui Prague aux statues angéliques derrière lequel apparaît la forêt. Les tutus scintillants argents et blancs, les diadèmes, la neige qui tombe, toute cette poésie slave est portée par l’une des plus belles pages de Tchaikowsky.

Viendront au deuxième acte les craintes de la transgression, car Noureev s’est inspiré des analyses psychanalytique des contes, sans doute déjà pour comprendre sa propre psyché puis ensuite, pour donner sens et profondeur et une lecture personnelle à ses ballets : les monstrueuses chauve-souris, explique le Prince à Clara, ne sont rien d’autre que les parents, la famille, auxquels les crainte de la jeune fille qui devient femme ont donné cette allure horrifique ; elle est rassurée ; et ceux-ci peuvent alors réapparaitre, déguisés et inoffensifs,  pour offrir un moment de divertissement fantaisiste. Roxane Stojanov et Antonio Conforti nous offre un magnifique duo sur une page musicale pleine de douceur et de mystère ;  Roxane déroule ses arabesques et ses développés comme un grand serpent, elle s’enroule à son partenaire qui la met généreusement en valeur et le duo hypnotise toute la salle.

 

Dans  la Valse des fleurs,  l'énergie des garçons parfois en groupe de 4, donne de l'éclat et de la fougue à la partition tout en formant un parfait contrepoint à la danse ciselée de leurs partenaires féminines.

 

Le dernier pas de deux, redoutable, fut animé par le même plaisir de danser : Marine Ganio apparut presque irréelle au son du célesta, et Marc Moreau prit son envol dans le dernier grand manège.

 

Pour finir, il faut parler de l'orchestre et de l'exceptionnelle chef d'orchestre, Andrea Quinn, qui est spécialiste de la musique de ballet. Elle fait sonner l'orchestre avec une énergie, une fougue extraordinaire, donne mille couleurs aux cordes, des phrasés onctueux ou percutants, et la partition se renouvèle avec magie ( à part un piccolo qui n'a rien compris à ce qu'il devait jouer et un tuba qui n'a pas digéré son repas de Noël et a encore des hocquets) La chef applaudissait même les artistes entre deux numéros avec le public.

 

Public qui a fait une vraie ovation à l'ensemble des artistes.

 

Je suis vraiment ravie d’avoir retrouvé la compagnie en pleine forme, et je remercie tous les artistes pour ce moment de pure poésie, de magie,  si généreusement offert.

 

Partager cet article
Repost0
14 octobre 2023 6 14 /10 /octobre /2023 07:35

  Je rends ce matin hommage à une artiste de style odissi qui a " chorégraphié" et fait filmer de façon hautement artistique l'une des chorégraphies du répertoire odissi.  (Lire à ce propos l'article sur Rekka Tandom sur  l'odissi qui m'a profondément remuée cet été).

    La chorégraphie en elle-même de Ratikant Mohapatra ( fis de Kelucharan, l'un des " fondateurs" de la re-création du style odissi) est simple, fluide, féminine. Je préfère mille fois les chorégraphies de Ratikant pour cette fluidité, cette douceur des mouvements qui dialoguent avec des frappes de pieds précises et toujours tellement musicales. 

    Mais Anjali, magnifique danseuse odissi, a su apporter un plus à cette chorégraphie en jouant avec les lignes; C'est presque du Petipa ! Les danseuses se croisent, changent leurs axes, leurs directions, créent des formes géométriques toutes ensemble,  le tout dans une parfaite synchronicité. Parfois la chorégraphie est filmée d'en haut, et on voit bien tout le travail des lignes qui animent la scène et qui apportent vraiment un plus à cette œuvre. 

Je regarde énormément de scènes odissi, mais je n'ai jamais vu cette qualité de danse,  de lignes, cette inventivité qui met superbement en valeur le style odissi ici parfaitement maîtrisé.

J'aimerai beaucoup qu'Anjali qui danse en solo rageshree pallavi la confie  à ce groupe talentueux avec le même bonheur.

Partager cet article
Repost0
4 juillet 2023 2 04 /07 /juillet /2023 13:37

 

 

 

J’ai lu avec grand intérêt le livre de Rekha Tandom, Odissi as yoga.  J’en résume ici les premiers chapitres, vraiment passionnants.

 Dans un autre article, je commenterai de mon point de vue de danseuse et pratiquante de yoga sa vision que je ne partage pas, même si je reconnais qu’elle est la première à essayer de poser des jalons pour replacer l’Odissi dans un cadre vraiment spirituel, ce qui au fond, n’est toujours pas le cas. Car elle écrit en préface de son livre : «  Explorer les principes du yoga dans la danse indienne et construire une pratique artistique tangible basée sur cette compréhension est le but de ce livre. »  Hors, il me semble qu’elle a une connaissance bien superficielle du yoga, ce qui n’est pas le cas de la danse Odissi.

 

Les contradictions et les zones d’ombre.

 

La première chose à savoir, et qui est pour le moins surprenante est que l’Odissi est transmis comme un héritage ancien, alors que ce style a été complètement recréé au 20ème siècle en s’inspirant de diverses sources qui sont toutes éloignées de ce qu’a été cette danse de temple au 12ème siècle, lors de son apogée. 

La deuxième, que cet «  héritage » est transmis avec l’idée que s’écarter de cet enseignement fait perdre l’efficacité spirituelle, que seul le guru détient et peut donner.

 

Ce sont ces deux affirmations que Rekha développe et questionne dans ses premiers chapitres. Elle revient sur l’historique qu’elle résume ainsi :

 

Qu’est ce que l’Odissi aujourd’hui ?

 

Une construction synthétique d’un matériel culturel brut créé au milieu du 20ème siècle et qui contraste avec l’idée d’un produit fini  avec le sous-titre que c’est un héritage ancien qui doit être gardé aussi intact que possible. Le phénomène de transcendance à travers la pratique est livré tel quel sans explication.

 

 

Quelques mots sur ce que l’on sait de l’Odissi dans le passé :

 

Les temples ont été construits entre le 6ème et le 12ème siècle ; danse et temple sont inextricablement liés à partir du 7ème siècle :

  • Le culte de Jagannath est à son apogée à Puri au 12ème siècle ; il  s’incarne dans une forme humaine, sous l’aspect Krishna ; son grand amour est Radha et leur relation la lui permet une fusion avec le Soi. Tout cela est raconté dans la Gita Govinda écrite par Jayadeva
  • Ces poèmes sont évoqués en sculpture à travers les centaines d’alasyakanya qui sont des jeunes filles qui ornent les façades de temple dans des poses souvent langoureuses, et toujours extrêmement gracieuses.
  • Dès le 7ème siècle, on trouve dans les archives des temples les mentions des Maharis, servantes-danseuses-épouses de Jagannath ainsi qu’un rituel de danse pour ces Maharis ou devadasis. C’est au 7ème siècle, que le tantrisme[1] éclot au sein du courant dominant shivaïte.
  • Il est presque certain qu’à partir du 10ème siècle, la danse féminine dans ce contexte tantrique ; la danse est sans doute alors vécu comme un «  yoga » c'est-à-dire un moyen d’union ou est réalisée par des devadasis-yogini.   Rien ne le prouve cependant.
  • Shiva/Shakti, les deux pôles d’un tout,   au cœur du tantrisme au 10/ 11ème siècle, qui deviendra Jagannath,  Dieu tutélaire de l’Orissa, lequel s’incarnera dans une forme humaine en Krishna, sous-tendent cette danse féminine mais qui pourrait transcender le genre.
  • Il faut comprendre tout cela simplement comme des variations émanant d’un point unique qui se décline en différents aspects.
  • Au 12ème siècle, l’architecture des temples et leurs sculptures fleurissent dans toute  cette région. Un espace nouveau est créé au sein des temples, appelé Natya[2] mandapa, pour les prêtresses-danseuses. Il est réservé au culte à travers la danse. C’est là que sont sculptées des centaines d’alasyakanya qui serviront de base pour reconstruire la danse de ces temples après qu’elle ait été perdue.
  • Malheureusement, au 16ème siècle, les invasions musulmanes mettent un point final à ces rituels dansés ; la vie dans les temples s’arrête. Ils sont fermés, leurs occupants chassés.
  • Ils sembleraient qu’à partir de cette date, pour gagner leur vie, les Maharis dansent pour qui «  veut » mais peu à peu, leur réputation chute et elles sont progressivement assimilées à des courtisanes, ce qu’elles étaient peut-être occasionnellement pour gagner leur vie. La danse elle-même se perd et le lien avec le tantrisme.

 

 

Recréer un style de toute pièce : telle est l’odissi aujourd’hui

 

 

En 1947, la situation est tragique, car sous la gouvernance anglaise et son puritanisme, celles qui se nomment encore Maharis, souvent descendantes très très lointaines Maharis (quatre siècles ont passé) reçoivent l’enseignement de leur mère ; elles sont considérées comme des prostituées. 4 siècles ont passé qui ont peu à peu effacé toutes traces de ces rituels dansés, de ce lien puissant avec le divin, la racine sanskrit Di désignant la lumière, car son et lumière sont au cœur du tantrisme.

 

Mais heureusement, avec l’indépendance de l’Inde et grâce à l’appui d’artistes comme Rabindranath Tagore qui la défend avec vigueur, la danse va peu à peu reprendre une place digne et honorable en Inde, et même devenir une raison de fierté nationale. Mais qu’on ne s’y trompe pas : elle devra d’abord faire face à sa très mauvaise réputation, puis, quand le pas sera franchi, va être  recréée de toute pièce et n’aura plus grand-chose à voir avec ce qu’elle fut au 12ème siècle, l’âge d’or du tantrisme dans cette région. Même si certaines femmes se disaient encore descendante de Mahari, plus aucune d’elle ne dansaient dans les temples, ni ne recevaient une formation dans un cadre  sacré comme cela avait été le cas 8 siècles plus tôt.

 

Toujours est-il que la région nouvelle appelée Odisha en fera son fer de lance pour se construire une identité. Cela ne se fera pas tout seul, car les préjugés envers les danseuses considérées comme moins que rien, aura la vie dure. Au début, aucune «  jeune fille de bonne famille » n’est autorisée à prendre des cours. Mais peu à peu, après 1950, le changement est favorable pour «  ressusciter » la danse. Dans le même temps on découvre que les Maharis étaient les épouses de Jagannath, mais la danse est perdue ; l’Odisha voit dans la restauration de la danse l’occasion d’affirmer sa singularité régionale. Jagannath en devient le symbole comme Nataraja l’est pour le baratha natyam (qui a vécu la même chose)

 

Cependant,  la danse va renaître non pas dans les temples, mais au théâtre. C’est un fait à noter important.  C’est à ce moment que la danse va prendre le nom d’Odissi ;  en 1953, à Cuttack,   Priyambada Mohanty présente une pièce de quelques minutes lors d’un festival et l’un des membres du jury, le docteur Charles Fabri, historien de l’art, la «  baptise » Odissi

 

 

Jayantika et les pionniers de l’Odissi

 

 

Se forme alors un groupe de recherche, en 1957, appelé le Jayantika et composé de ceux qui seront les pionniers de la reconstruction (ou plutôt recréation) de l’Odissi : parmi eux : Pankaj Charan Das, Kelucharan Mohapatra,  Deb Prasad Das, Mayadhar Rauth.

 

Ils vont abondamment puiser dans la tradition des gotipuas[3], jeunes garçons élevés comme des danseuses dont les chorégraphies «  régionales » sont assez acrobatiques ; c’est là qu’ils puisent le matériel rythmique, mélodique, chanté ; ils s’inspirent aussi de ce que la baratha-natyam a construit ;  les sculptures sont examinées soigneusement et toutes leurs postures et gestes sont répertoriées. Les traités théâtraux seront aussi examinés à la loupe tel le natya sastra du légendaire Barathi (qui donnera son nom à l’Inde). On s’inspire de Jayadeva et de ses poèmes pour construire des abhinayas. La danseuse Sanjukta Panigrahi sera une collaboratrice très importante pour Kelucharan Mohapatra, même si son travail restera dans l’ombre du guru et pour cause, voir un peu plus loin. Malheureusement, très vite, les pionniers ne seront pas d’accord entre eux, et chacun finira par travailler dans son coin, plus ou moins amer et/ou fâché à vie.

 

Malgré tout, le répertoire va quand même surgir entre les années 1960 et 1970

 

En 1968, le Dr Vatsyayan souligne le fait que tous les styles de danse classiques partagent le principe fondamental qu’elles constituent des formes de sadhana[4]. Ses écrits vont avoir un grand retentissement et sont la cause de l’intérêt grandissant pour la danse indienne « classicisée » comme l’Odissi ou le baratha natyam, d’un point de vue philosophique.

 

Cette même idée va renforcer le statu du guru comme gardien de la connaissance. Il se met à bénéficier d’une inconditionnelle déférence et cela créé des hiérarchies pas toujours propices au but recherché à travers la danse. Ils se déclarent seuls gardiens de la connaissance, et leurs élèves, principalement des filles, sont à la fois leurs interprètes et leurs mécènes. Elles paient leur enseignement, leur permettant  ainsi de vivre et de mener leurs recherches.

 

Le guru tout puissant

 

Mais de là découlent deux problématiques : premièrement,  l’élève doit accepter tel quel l’enseignement sans jamais remettre en cause l’enseignement  ni le pouvoir «  spirituel » de son guru ; deuxièmement,  la danse enseignée est présentée comme étant ancestrale et authentique alors qu’elle n’a même pas une vingtaine d’années dans les années 1970. Jusqu’aux années 2000, plusieurs témoignages confirment l’abandon absolu au guru, sous prétexte de faire mourir son ego ; le souci, c’est que l’ego du guru, lui, était souvent bien actif !

 

Delà découlent plusieurs peurs, craintes, blocages cher les élèves/interprètes :

  • Celle d’être exclu et de perdre le lien avec le spirituel si on ose se séparer de son guru ou si on prend des cours avec un autre guru pour découvrir un autre enseignement, ce qui est – tacitement ou pas – interdit.
  • L’interdiction de modifier quoi que ce soit dans la pratique dansée ; tout est fait au millimètre, ce qui fait que tout le monde danse exactement la même chose de la même façon dans chaque école ou le  guru s’autoproclame guru.
  • L’impossibilité de créer un répertoire autre que celui que le guru transmet sous peine là aussi d’exclusion. Cette exclusion est terrifiante pour des élèves soumis, qui ont pleine confiance en leur guru et en sa manne spirituelle qui leur est alors retirée.

 

Rekha Tandom écrit : «  Ironiquement, l’hésitation et l’incapacité des danseurs qualifiés à travailler avec des visions différentes, indépendantes, reste directement proportionnelle à l’intensité de la relation guru-élève qui sous entend que son ego doit céder devant lui. Ce qui fait que tout le monde accepte de façon inconditionnelle la parole du guru. »

 

Dinanath Pathy, artiste indien à l’esprit avisé, quant à lui, écrit : «  La danse qu’ils créèrent ou fabriquèrent n’était pas authentiquement traditionnelle mais authentiquement contemporaine »

 

Une autre chose est aussi à souligner par rapport à la transmission de cet « héritage ancestral et authentique » : le guru, gardien jaloux du style, pouvait très bien à 20 ans d’écart, transmettre une chorégraphie dont le titre n’avait pas changé mais qui modifiée, remaniée, transformée, présentait  en un mot d’importants changements…

 

Enfin, il est bon de savoir que chaque école détermine ce qui est correct ou incorrect suivant ses propres critères puisque le groupe Jayantika n’a eu qu’une durée de vie très courte, quelques années seulement, avant que tout le monde se sépare pour travailler dans son coin, plus ou moins fâché, vexé, meurtri.

 Ce correct/incorrect n’est, d’ailleurs, jamais expliqué ou analysé par le guru : c’est comme ça, un point c’est tout. De même, toute discussion métaphysique est complètement absente des cours de danse…

 

Enfin, quant au lien avec le tantrisme, ce qui est certain c’est que pendant plus de quatre siècle, le tantrisme avait une telle mauvaise réputation en Inde qu’il fut progressivement délibérément ignoré (au moins en apparence car son enseignement continua dans le secret) ; on lui associait le sexe, ce qui faisait frissonner d’horreur l’Inde toute entière devenue, sous son double joug musulman et anglais, puritaine. 

La grande contradiction aujourd’hui est que tout le monde admet que l’Odissi recréé de toute pièce aujourd’hui est par nature spirituelle, tantrique, mais personne n’en apporte la moindre preuve.

Beaucoup pensent qu’il suffit d’être éveillé à soi-même (comment ? mystère !) pour que la danse se fasse à travers le danseur indépendamment de lui et soit la preuve de sa nature spirituelle. Encore sans doute une histoire de «  pleine conscience » tellement à la mode aujourd’hui, mais qui s’acquiert «  sans effort ». Pourtant,  l’une des triades tantriques est : Iccha Jnana Kryia : volonté, connaissance, action.

 

[1] Principe philosophique que cherche à unir conscience ( shiva) et énergie ( shakti)  pour fusionner dans le Soi – parashiva- en utilisant les différents corps ou koshas considérés comme temple grâce auquel l’alchimie peut se faire à travers des techniques qui utilisent le corps comme creuset et point de départ.

[2] Natya est un terme sanskrit qui désigne tout performance théâtrale, y compris la danse, et bien avant la création des théâtres puisque le natya sastra – traité de natya – attribué à Barratha

[3] On sait peu de choses sur l’historique des gotipuas, sans doute comme les onnagatas, hommes qui remplacent les actrices sur scène interdites à la même époque au Japon, deviennent-ils les dépositaires de la danse car les femmes n’en n’ont plus le droit. On a alors eu recours à de jeunes garçons aux traits féminins jusqu’à ce que la puberté leur fasse perdre leur aspect féminin

[4] En sanskrit sadhana साधन  signifie réalisation ; dans un contexte spirituel, il désigne l’engagement dans une voie mystique, quelle qu’elle soit,  par une pratique quotidienne, qui n’est pas nécessairement physique.

 

Partager cet article
Repost0
15 juin 2023 4 15 /06 /juin /2023 08:00
André Dussolier : sens dessus dessous

La première fois que j’ai vu André Dussolier, c’était à la télé, et il avait un violoncelle… C’était dans la série Un ours pas comme les autres, de Nina Companez, et il avait pour partenaires Anny Duperey, Ludmilla Mickaël, Francis Perrin…. J’avais 16 ans et j’ai été fasciné par sa voix, par cette profondeur psychologique qui donnait à son personnage du mystère et quelque chose de profondément singulier. Au lycée, dans ma classe de 1ere à section musicale, on commentait abondamment chaque épisode et Dussolier était pour nous tous, notre personnage préféré. Cette première rencontre resta inoubliable.  

 

Elle fut suivie par d’autres qui ne démentirent jamais la fascination qu’exerça sur moi son talent d’acteur, parce que précisément, en le voyant, on oublie l’acteur et il ne reste que le personnage. Il faut beaucoup de talent et d’humilité pour s’effacer derrière un personnage ; Depardieu faisait cela très bien autrefois. L’incroyable filmographie de Dussolier révèle toute l’étendue de son registre et si j’écris ce matin sur cet artiste qui n’a nullement besoin de ma modeste voix, c’est avant tout pour retrouver en écrivant tout le plaisir que j’ai eu à le voir, à l’entendre pendant toutes ces années. Il suffit de me rappeler le jeune homme étrange d’Alice ou la dernière fugue de Claude Chabrol, de réentendre la voix du chirurgien-major encourager le malheureux invalide à se réalimenter dans La chambre des Officiers de François Dupeyron, de revoir Simon, l’agent immobilier d’On connaît la chanson d’Alain Resnais,  conduire Nicolas/Bacri d’appartement en appartement, de sentir le désespoir de Marcel dans Melo, Resnais encore, pour retrouver, intacte, toute la magie de ces moments cinématographiques parmi des centaines.  

 

Mais il y a encore plus : depuis plusieurs années déjà, j’écoute régulièrement sa lecture de Proust. J’ai l’intégrale de cette œuvre magistrale que se partagent les voix de  Gallienne, Renucci, Wilson, Londasle, Podalydès. De loin, il les surpasse tous. Son naturel nous emporte dans l’univers des Verdurin, nous fait éprouver les tourments de Swann, nous met en extase devant aubépines, et nous révèle, dans le dernier opus, les mystères de l’espace-temps. Familière de Proust depuis mes 16 ans, j’ai lu et relu bien des fois mes volumes préférés, mais Dussolier m’a révélé mille détails que ma lecture pourtant attentive, avait ignoré Sa voix, tel le Lapin blanc d’Alice, m’a guidée dans les profondeurs de cette œuvre atypique, emplie de sensibilité et d’une profonde humanité.

 

C’est la raison pour laquelle, lorsque j’ai vu par hasard l’annonce de son spectacle Sens dessus dessous,  titre d'un sketche de Raymond Devos qu'il joue pendant le spectacle, j’ai tout de suite voulu y aller. Comme j’ai acheté les places bien en avance, pour la 2ème représentation, j’ai bénéficié d’un tarif raisonnable : une trentaine d’euros pour un premier rang de corbeille. Je note ce détail car les nouveaux tarifs de l’opéra de Paris me restent toujours en travers de la gorge…

 

Et voilà Dussolier sur scène, qui, pendant un peu plus d’une heure, va nous tenir en haleine avec des textes qui nous emportent dans les univers extravagant, léger, drôle, meurtri, sombre, incongru, absurde, tragique, poétique, rêveur, douloureux, de Devos, Dubillard, Guitry, Hugo, Baudelaire, Devos… on rit, on s’effraie, on est empli de compassion, on doute, des larmes nous viennent aux yeux, - comment les refouler en entendant le crapaud de Victor Hugo? - ou bien un fou rire nous prend pour quelques instants. Et André Dussolier, soutenu par un dispositif scénique simple, mais efficace,  passe d’un registre à l’autre ;  sa voix virevolte, s’épanche, ralentit, accélère, s’irrite, se moque, s’apaise, questionne, vibre, créée sous nous yeux le plus vivant des mondes, celui des mots que chacun, dans la salle, s’approprie à son tour, et le tout avec ce naturel que j'aime tant chez lui.  Il ne joue pas, il vit ce qu'il nous raconte, avec cette humilité, cette présence à la fois lumineuse et discrète, mais surtout,  toujours cette voix-violoncelle qui à 77 ans, n’a rien perdu de son extraordinaire musicalité qui module à loisir toute l’étendue de son immense talent d’acteur   

 

 

Partager cet article
Repost0