Se pencher sur la personnalité de Pouchkine est complexe tant le poète a de multiples personnalités comme son œuvre l’atteste, et surtout son Eugène Onéguine écrit sur une période qui couvre dix années de sa vie.
Né au sein d’une famille aristocratique qui n’a pas le sou, mal aimé par sa mère qui a horreur de sa peau très mate, de ses cheveux trop frisés, lointain héritage de son arrière-grand-père, il n’intéresse pas davantage son père. Pouchkine a donc de lui une image plutôt misérable, lorsqu’Alexandre 1er décide de fonder en 1811 le premier lycée impérial. Il prend pour modèle l’un des 45 lycées créés en 1802 par Napoléon soucieux d’offrir aux garçons des études sérieuses et solides dans tous les domaines, quand jusqu’alors il n’y avait d’autre choix que l’école militaire ou le pensionnat.
Le bâtiment érigé à Tsarkoïe Selo – le village du Tsar se situe à Saint Petersbourg. Il jouxte les palais d’été des Tsars, et Alexandre 1er souhaite qu’il n’accueille que les meilleures graines de la société russe afin de former la future l’élite administrative et militaire. Il n’y a que 33 places.
Mais une chose tout à fait exceptionnelle est décidée : l’enseignement sera donné exclusivement en russe, même s’il est donné par des professeurs étrangers. Que l’enseignement soit donné en russe n’est pas anodin : toute l’élite russe parle français, correspond en français, écrit en français, laissant la langue russe aux paysans, ou au petit peuple. Mais l’ennemi du moment est Napoléon qui l’année suivante franchira le Dniepr, et qui, sans l’ingénieux Koutouzov, aurait sans doute soumis le Tsar comme les autres monarques d’Europe.
C’est grâce à l’aide d’un oncle que Pouchkine entrera au lycée, pour la fierté de ses parents – à défaut d’avoir leur amour ; par décret, le tsar interdit toute sortie de ce lycée pendant les 6 ans que dureront les études, quand bien même il s’agirait de rendre visite à un parent malade ou mourant… Mais les élèves auront tôt fait de contourner cette règle et Pouchkine ne sera pas le dernier à découcher pour fréquenter dès ses 17 ans le cercle des hussards et les actrices.
À 15 ans, il écrit ses premiers poèmes en russe ce qui est une véritable révolution. Ce sont aussi ses premiers triomphes. Certes, il y a bien eu avant lui Radichtchef qui, sous l’influence des Lumières, avait en 1790 publié un ouvrage en russe, dans lequel il dénonçait le servage et les injustices sociales, tout en valorisant cependant la beauté de la culture russe. Mais Pouchkine est tout jeune, et son talent attire aussitôt l’attention des poètes officiels de l’empire, comme Joukovsky ou Derjavine qui prennent aussitôt en affection Pouchkine malgré son indiscipline. Sa capacité à se faire aimer – trait de caractère qui durera toute sa vie- lui évitera plus tard la Sibérie, car ses amis n’hésiteront pas, au péril de leur propre sécurité, à intercéder en sa faveur auprès des tsars.
A Tsarkoïe Selo, Pouchkine nouera de profondes amitiés qui ne se démentiront jamais. Et pourtant, hypersensible, terriblement susceptible, cynique, se déclarant athée, blessant ses meilleurs amis pour le plaisir de faire un trait d’esprit, il est souvent brouillé avec ceux qui l’entourent, s’isole, se dit meurtri à vie ; mais dès le lendemain, tout est oublié et il leur déclare leur affection. Un grand cœur, un goût pour la provocation, par plaisir du jeu, un tempérament prompt à s’emporter, à se quereller, à provoquer en duel, mais aussi à pardonner, tel est ce jeune poète qui sortira fonctionnaire du lycée, tout en sachant que sa voie véritable est la poésie : c’est à elle qu’il veut consacrer sa vie, et les thèmes de la liberté la traverseront sans cesse, malgré lui, et pour son malheur….
Pouchkine lit à 15ans ses poèmes devant un illustre poète, Derjavine, ébloui par son talent.
J'ai créé un topic sur le forum danses pluriel que j'ai ouvert, mais je double les articles ici, car tout ce que j'avais écrit autour de nombreux ballets a été perdu après que le premier dansespluriel a été fermé brutalement, sans que je puisse rien récupérer, sous réserve de payer des sommes folles tous les ans pour permettre sa réouverture.
Il est toujours intéressant de se pencher sur la vie d’un écrivain pour comprendre son œuvre, les thématiques qui lui sont chères, et ce qui l’a marqué dans son enfance et son adolescence et qui, à coup sûr, réapparaîtra sous une forme ou sous un autre dans ses écrits, même profondément transformé ou réinventé. Le tempérament de l'écrivain, ses origines, son observation de la vie, sa sensibilité, ses goûts, sa culture, sont la matière première de sa création ; mais il faut ensuite associer au travail un vrai talent pour que ce matériau accède à une forme d’universalité et à une réelle maturité. En ce qui concerne Pouchkine, il est donc important de parler de son illustre ancêtre, Abraham Hannibal (1696–1781) (nom que l’arrière-grand-père s’est lui-même choisi, en référence au héros de l’Antiquité,) qui est peut-être né en Éthiopie ou ailleurs, et qui, enfant, a été vendu comme esclave à Constantinople, vaste plate forme de trafic d’esclaves. ( Il suffit de penser à des œuvres comme L’Enlèvement au Sérail, ou encore le Corsaire pour s'en rappeler !!!). A cette époque et jusqu'à la première Guerre Mondiale, l’Empire Ottoman s’étend sur l’actuelle Roumanie, Bosnie, Serbie, etc. Seule, la Grèce reste en dehors de cet empire car elle a pu acquérir son indépendance en 1821. ( drame de Missolonghi.)
Bref, cet Hannibal est finalement acheté par Pierre Le Grand qui vient juste de créer la nouvelle capitale de la Russie en abandonnant l’ancienne, qui était Moscou. : Saint-Pétersbourg, affirmant ainsi sa volonté d’ouverture à l’Europe tout en lui donnant son propre nom. (Peter).
Il remarque en Hannibal des qualités exceptionnelles et le fait élever à la cour. Il ne sera pas déçu, car cet officier va devenir une sorte de Vauban à la Russe après avoir été envoyé en France étudier les mathématiques, les sciences militaires, l’ingénierie. A l’époque, toute l’élite russe ne parle et ne correspond que dans une langue : le français.
Malgré ce célèbre ancêtre qui accédera à la noblesse pour services rendus, Alexandre Pouchkine souffrira toute sa vie de son physique de « singe », surnom sans doute donné par ses camarades de lycée.
Un autre écrivain, mais français cette fois, a un illustre ancêtre militaire, son propre père, né à Haïti, d'un père normand et d'une esclave noir : Thomas Alexandre Davy de La Pailleterie (1762-1806) qui s’est illustré pendant la Révolution française et la campagne d’Égypte. Cet écrivain s'appelle Alexandre Dumas.
Paquita est un ballet qui ne supporte pas l’à peu près : très bavard, il met en scène des personnages creux, qui n’emportent nullement l’adhésion comme peuvent le faire Giselle, Siegfried ou encore Tatiana. Musicalement, il n’est pas non plus soutenu par une partition très inventive, et encore, Minkus s’est-il penché sur l’orchestration pour lui insuffler un peu de vie. Cela veut dire que les interprètes, solistes et corps de ballet, doivent placer la barre très haut pour que le spectateur puisse entrer dans ce ballet, surtout dans le premier acte, où les groupes se succèdent joyeusement, mais superficiellement.
Deux souvenirs forts nous restent en mémoire : l’un avec Paquette et Hecquet, inoubliables, car les deux artistes, charismatiques, dotés d’un très fort sens théâtral, avaient insufflé à leur personnage ce qu’il fallait de joie de vivre, d’humour, de noblesse, de virtuosité, de pas ciselés, mais aussi de lyrisme et de poésie, le tout soutenu par une formidable entente sur le plan artistique.
Le deuxième souvenir c’est une matinée en 2015 avec Heymann et O Neill : nous avions titré « le charme de la jeunesse » ; les deux protagonistes étaient pleins de fraîcheur, de délicatesse et de poésie ; et ils nous avaient mis d’office dans leur poche !
Le dernier tableau de ce ballet est notre préféré, car, bien dansé, il met le spectateur dans un état de frénésie, de fièvre, d’ivresse, d’hystérie joyeuse : on ressort sans qu’aucun mot, aucune pensée ne puisse se former dans le mental qui s’est vidé de son blabla habituel : il ne reste que cette vibration extraordinaire, qui pulse dans nos veines : quel bonheur que ce partage d’une ivresse à travers l’art !
Qu’en a-t-il donc été de ce Paquita, dernier cette longue série de cette saison 2024/2025 ?
Un puissant moment de grâce né du magnifique partenariat de Marc Moreau, un Lucien d’Hervilly au grand cœur, aussi élégant que racé, qui insuffle à l’éblouissante Bleuenn Battistoni une humanité et une poésie vibrant de profondeur, d’authenticité.
Bleuenn, plus princesse que gitane, manque un peu de cette spontanéité, de cette vivacité ou de cette gouaille qui signent selon nous les vraies Paquita. Mais qu’importe : la qualité de sa danse est telle qu’on laisse de côté le personnage. Ses lignes sont pures, ses pas ciselés avec une précision d’orfèvre, son élégance, naturelle. Mais surtout, sa virtuosité semble incroyablement naturelle. Tout semble exécuté avec facilité.
Mais c’est avec Marc Moreau qu’elle donne le meilleur d’elle-même, sans doute mise en confiance par un partenariat aussi solide que rassurant : avec lui, l' intériorité qui la coupe un peu de son public disparait. Les portés, magnifiques, nous laissent bouche bée. Et les deux artistes, poignants de lyrisme, animés d’un même souffle, d’une même poésie, d’une grâce qui nous élève au-dessus de nous même, nous rappellent que seul le spectacle vivant peut générer ces instants aussi fugitifs qu’intenses, et que des années après, ils se sont fixés si profondément en notre âme qu’ils y vivent pour l’éternité. Certains disent que les danseurs sont là pour faire rêver ; mais hier, c’était bien plus fort que cela : éblouis, émus, vibrants avec eux comme dédoublés, les spectateurs ont reçu le plus rare des cadeaux : ils ont reçu leur âme d’enfant et l’émerveillement pur de la première fois.
J’ai toujours aimé Marc Moreau, remarqué dans le génial Triade de Millepied en 2008 au côté Bézard, Pujol et Gillot, quatuor plein de fougue. Il avait 23 ans. Et puis ce fut l’éclipse… quelques solos ici et là, un pas de trois, une petite apparition dans un grand ballet qui m’a toujours plu. Mais plus de mise en valeur.
Heureusement, ces trois dernières années ont rendu justice à ce bel artiste : que ce soit en Siegfried, en Drosselmeyer ou en Lucien d’Hervilly, ses personnages marquent par leur présence, leur sincérité, et par cette joie extraordinaire d’être sur scène. Hier, Moreau offrait chaque moment de scène à son public avec une générosité vivifiante, et, autour de lui, le corps de ballet, surtout au deuxième acte, a répondu présent.
Car le démarrage du ballet a été quelque peu laborieux et le premier acte a accusé bien des longueurs : fatigue sans doute de cette longue série, le corps de ballet manquait de puissance et de propreté. Heureusement la présence charismatique d’Andréa Sarri qui s’en est donné à cœur joie donné de la vie à l’immense scène de Bastille. La scène de la taverne était drôle et bien narrée.
Mais c’est le dernier acte qui a mis le feu à mon cœur ; il a été un festival éblouissant de danse et de joie de vivre ! Chapeau bas aux danseuses du « Pas qui tuent » final ! Le spectateur a été emporté dans un éblouissant tourbillon : changements de rythme, de groupes, de dynamique, de couleur, le tout précédé par un pas de deux plein de poésie puis ponctué par les magnifiques solis des deux artistes où la joie de danser de Moreau ne faiblit jamais.
Et puis il y a eu les petits gags qui marquent la dernière représentation : les demoiselles qui se dotent de cornes de taureau pour foncer dans les capes des toreros ; deux danseurs du corps de ballet qui s’agenouillent avec les enfants et font du charme à Paquita, un des brigands qui porte un masque de Omi (démon japonais) dans la scène de la taverne et sans doute d’autres que je n’ai pas vus ! Le tout fait avec beaucoup de légèreté, car si on n’a jamais vu le ballet, on ne se rend sans doute compte de rien ;
Quant au bouquet de fleurs apporté par José Martinez pour saluer Ninon Raux, quadrille dont c’était la dernière scène, car elle part à la retraite, c’était non seulement très émouvant, mais cela montre l’attention que le directeur porte à chaque danseur de sa compagnie dont il avait lui-même autrefois gravi tous les échelons.
Enfin chapeau bas au chef d'orchestre russe, Mikhail Agrest qui a conduit avec beaucoup de joie, de délicatesse et de doigté l'opéra national de la Bastille
Dansespluriel après 12 ans d'activité a été sauvagement fermé du jour au lendemain sans préavis par les nouveaux gestionnaires de XOOIT. Prise en otage avec une demande de rançon scandaleuse - 1200 euros par an pour conserver ce forum, j'ai décidé avec Elisabeth d'en ouvrir un nouveau et gratuit, celui-là.
Vous pourrez donc continuer de lire les passionnés de danse à cette adresse :
Bien que le scénario aux dialogues bien écrits ne soit pas vraiment conforme à la réalité et prenne certaines libertés avec la vie de Ravel (Raphael Personnaz, excellent et physiquement souvent très proche) bouleversant même la chronologie, j'ai eu un plaisir infini à suivre ce compositeur qui a toujours été tenu pour discret, sensible, et bien que très secret, empreint d'une profonde humanité ce qu'attestent tous ses liens, qu'ils soient professionnels, amicaux ou encore privés et secrets, lorsque par exemple, il se rendait dans les maisons closes.
Et c’est bien cette personnalité tout en retenue, aussi énigmatique que sensible qu’Anne Fontaine a mise en scène avec beaucoup de subtilité, écrivant un scénario certes libre, mais qui permet de mettre en scène un compositeur attachant.
Le choix de Boléro est un bon choix, car c’est l’œuvre la plus connue de Ravel. Le titre ne pouvait ainsi que donner envie à un public non connaisseur d’aller à la rencontre de ce compositeur à la fois très connu et parfaitement inconnu…
Pour Boléro, la composition n'a pas été du tout longue et pénible contrairement à d'autres œuvres, mais le choix de la réalisatrice de montrer à travers cette création le processus de création minutieux, obsessionnel jusqu'à réécrire plusieurs fois certains passages afin d'atteindre à la perfection, résume ce qui s'est passé pour de nombreuses autres œuvres, comme par exemple pour le Tombeau de Couperin, dont chaque pièce est dédiée à un ami mort pendant la Première Guerre mondiale.
Rien ne prouve non plus qu'il y ait eu entre Misia Sert (Doria Tillier) et Ravel un sentiment amoureux - les deux entretenaient une amitié profonde - mais je trouve que toute cette partie du film aux dialogues souvent spirituels, met bien en lumière la volonté du très secret Ravel ne pas s'engager amoureusement parlant, - pudeur, peur, timidité, ou désir de rester libre de son temps pour la musique ? - ainsi que l'intérêt lui portaient les mécènes et le rôle de leurs encouragements à composer suivant son désir et non pour rechercher l'approbation des critiques ( le critique Lalo fils - l'excellent pianiste A Tharaud - qui passe dans le film est savoureux de méchanceté).
Rien ne prouve non plus que la relation entre Ravel et sa pianiste Marguerite Long ( E. Devos) ait été aussi affectueuse, mais ce n’est pas grave ; elle faisait partie des artistes qui admiraient le compositeur et ont mis une grande partie de leur énergie au service de l’œuvre de Ravel.
Enfin, Jeanne Balibar en Ida Rubinstein, commanditaire du Boléro campe un personnage fantasque et haut en couleur, ce qu'elle était. C’était une femme riche, libre et avant-gardiste, tout comme Ravel. Ils se comprenaient très bien sur ce plan de l’avant-garde et Rubinstein toujours eu une confiance absolue en Ravel. Là encore, certaines libertés ont été prises concernant les relations professionnelles et respectueuses qui existaient entre la danseuse et Ravel, mais cinématographiquement, les scènes sont de ce fait intenses en mettant en valeur leurs dissensions qui n'existaient pas en réalité ; il avait son accord pour créer le ballet dont elle rêvait sur deux mélodies uniques ( on chantonne en général la première jusqu'à la moitié, la mémoire devenant imprécise ensuite, et on oublie complètement la seconde, très orientale !) qui prennent une densité et une ampleur exceptionnelle grâce au génie de son orchestration.
Beaucoup d’encre a coulé sur ce Boléro qui reste une œuvre atypique, sorte de gigantesque crescendo qui repose sur un travail d’orchestration minutieux, véritable exercice de style.
Pour résumer, j'ai aimé la façon dont Ravel est raconté, la beauté de l'image, et la délicatesse des dialogues. L'extraordinaire musique de Ravel longtemps taxé de compositeur sans coeur ponctue le film, et ce bel hommage m'a enchantée. Merci à la réalisatrice et à toute son équipe. J'ai revu le film trois fois en tout.
J’ai donc aimé le film, profondément, et le portrait de Ravel et de son époque qui s’y dessine subtilement ; il est si rare que des biopics soient aujourd’hui consacrés à des compositeurs de musique dite « classique » et celui est, de mon point de vue, une parfaite réussite.
Parmi les nombreuses scènes qui me restent en mémoire, je citerai celle dans l'usine avec Ida Rubinstein, les insomnies de Ravel, qui nuit comme jour, est obsédé par sa création, Les Contes de ma Mère l'Oye joués avec Misi Sert, qui restitue tout une époque, celle du mécénat artistique, les mécènes étant parfois de grands connaisseurs, pratiquant eux même la musique, la répétition de la Valse ( créée pour Diaghilev qui finalement n'en voudra pas) " tout finit toujours en catatstrophe !" scène dans laquelle Personnaz est très crédible en chef d'orchestre, les scènes dans les maisons closes, intimes et chaleureuses.... bref, un film terriblement attachant, tout comme Ravel.
En attendant de retrouver les salles de spectacles, une première vidéo de harpe 27 cordes pour laquelle je réalise des arrangements de traditionnels irlandais, écossais ou autres ; je propose gratuitement les partitions sur mon site d'analyses musicales : https://musiques-pluriel.webnode.fr/partitions-musescore/
A télécharger en PDF.
La première est Lord Mayo; suivront Foggy dew, Tri Matelod, Scarborough fair, Brian Boru, Chanter song, et bien d'autres ! ...
Et toujours les chansons que j'ai écrites, et les chorégraphies issues des anciens spectacles de ma compagnie de danse, qui métissait le jazz, l'oriental, avec une touche d'autre chose, indéfinissable.
Sur youtube, j'ai mis en ligne quelques créations et notamment quelques maquettes ou live de chorégraphies réalisées pour mon ancienne compagnie de danse comme aide-mémoire afin qu'elles puissent répéter chez elles. Je n'ai malheureusement pas beaucoup de vidéos filmées sur scène, ou bien celles-ci sont de piètre qualité.
J'ai retrouvé par hasard ces maquettes réalisées il y a presque une vingtaine d'années il y a quelques jours, et je les ai revues d'un oeil neuf. Certaines m'ont paru suffisamment intéressantes pour que les mette en ligne.
J'avais créé un style qui alliait l'énergie du jazz à la danse orientale saupoudrée de pas inspirés par toutes sortes de choses. Je ne faisais pas encore à l'époque de danse indienne, j'ai commencé lorsque j'ai arrêté la compagnie à 50 ans. Les musiques pouvaient être classiques, orientales, ou bien encore empruntées à un répertoire comme la world music et bien d'autres choses.
Quand les artistes parlent couramment le Noureev…!
Sae Eun Pak, Paul Marque et Pablo Legasa ont été en état de grâce ce dimanche 30 juin. Cela arrive parfois, quand tout à coup, les interprètes racontent non seulement tous la même histoire, mais qu’en plus, la technique qui est à son sommet, est entièrement au service de la narration. Il se passe alors entre le public et les artistes quelque chose d'inoubliable dont les traces impalpables vibreront toujours. Et c’est bien pour cela qu’on retourne, année après année, voir des Lac, des Giselle, des Sylphides, pour partager avec les artistes ces moments imprévisibles, qui ne se produisent pas systématiquement à chaque fois, même si c'est la même distribution, mais qu’on n’oublie jamais lorsqu’ils arrivent.
Prologue
En ce dimanche 30 juin, le Lac des cygnes s’ouvre sur un Prince endormi sur un trône, pendant que sur scène, se déroulent ses rêveries. Il y aurait beaucoup de choses à dire du point de vue psychanalytique sur la symbolique de la princesse transformée en oiseau par une figure de l’ombre. Mais ce qui est sûr, c’est que Paul Marque ce jour-là arrive, je ne sais pas quelle magie, à nous faire entrer dans son esprit : on y lit clairement tout ce qui s’y passe. Et on peut donc voir tout le ballet comme si on était le prince. La sensibilité de Paul Marque, artiste d’une infinie subtilité artistique donne une immense lisibilité à cette version de Noureev, si décriée aujourd’hui, alors qu’elle est de toute beauté, si les artistes ont la maturité suffisante pour la danse : ainsi, l’enfermement mental du prince est total et quand bien même il le voudrait, il n’a pas accès au monde extérieur et c’est de l’esprit du Prince que l’on va suivre tout le drame.
Acte 1
Lorsque la cour arrive après ce prologue-drame intérieur, on se rend vite compte que ce prince est un enfant qui n’a pas pu grandir, un petit garçon qui voudrait vivre, être heureux, de toutes ses forces, mais à qui on n’a pas donné les clés pour s’intégrer au monde extérieur ; qu’il le veuille ou non, sa vie se passe dans sa tête, et le jeu tout en nuance de Pablo Legasa présente une nouvelle interprétation de Rothbart : Legasa ne fait pas de grand mouvement de cape, il n’est pas brutal, il ne virevolte pas dans tous les sens, il n’est pas machiavélique, il est là comme un gardien du seuil, tout-puissant, qui empêche le Prince de franchir la limite qui le sépare du monde extérieur ; quoi qu’il fasse, il échoue. Rothbart devient une allégorie, un symbole de ce qui verrouille le désir du Prince, une sorte de Surmoi, implacable, plutôt qu’un précepteur aux intentions obscures.
La variation mélancolique du Prince confirme son impuissance à vivre, bien qu’il le veuille de toutes ses forces, mais quoi qu’il fasse, il sait qu’il échouera. Ses lignes étirées, ses cambrés désaxés, expriment à la fois la douleur et l’impossibilité de prendre la vie à bras le corps. Le Prince est en même temps si léger, qu'on a peine à croire à sa réalité.
Ensuite, lorsqu’il tente malgré tout de se mêler à la joyeuse cour et aux jeunes filles gracieuses, le simple bras posé par Rothbart sur lui le cloue sur place, comme si l’interdit, le tabou lui étaient dictés par son inconscient.
Le pas de trois arrive comme une bouffée d’air, magnifiquement dansée par une Marine Ganio pétillante à souhait, une Aubane Philbert pleine d’ardeur et un Arthur Raveau à la superbe élévation.
La danse des coupes est enlevée avec panache, et le premier acte s’achève sur un prince qui symboliquement, avec son l’arbalète, est invité à prendre sa vie en main. Quel désir vise-t-il ?
Acte 2
Mais lorsqu’Odette/Park entre en scène, Siegfried est en plein rêve. Et dans ce songe, la cygne-reine qui ne sera jamais à aucun moment une femme, est son double féminin : Sae Eun est tellement irréelle, d’une fragilité si absolue, qu’elle pourrait à tout moment disparaître en fumée. Toute dévouée à ses cygnes lyriques et plaintifs, elle ne croit en rien, car tout est perdu d’avance, et c’est ce que raconte le pas de deux : le drame se refermera impitoyablement sur le prince et son rêve évanescent. Et c'est bien ce fatum que Tchaikowsky avait en tête quand il écrit la partition : " C'est le fatum, cette force du destin qui nous interdit de goûter le bonheur (...) qui reste suspendue comme une épée de Damoclès et sans répit nous empoisonne l'âme. S'il ne nous reste que la résignation et la tristesse, il est alors préférable de tourner le dos à la réalité et de se laisser aller au rêve."
Dans ce contexte, la coda d’Odette est un summum de désespoir, dont l’intensité gagne le spectateur et le cloue sur place. Il est surprenant qu’après une danse tout en retenue, en lyrisme, en apesanteur, cette coda montre cet oiseau-rêve qui se débat de toutes ses forces pour échapper à son destin, dans un dernier sursaut d’énergie, tout en sachant que cela ne servira à rien. Là encore, la métaphore est magnifique.
L’acte III offre un beau moment de danse pleine d’énergie ; on réalise une fois de plus que ce n’est pas la chorégraphie qui doit être intéressante, mais ce qu’en font les interprètes. Et ce dimanche après-midi, on est gâté : je retiens surtout la poésie de la Czardas, l’énergie de la danse espagnole, et la gaité sautillante de la danse napolitaine menée une Millet-Maurin enjouée à laquelle Manuel Garrido donne la réplique. Quant aux fiancées, quelle grâce ! J’aurais pu les suivre toutes les 6 sur scène encore de longues minutes, tant j’étais émerveillée par la fluidité de leurs mouvements, la gracilité et la féminité de leur danse. Et c’est si bien dansé que lorsque Odile arrive, personne n’est préparé au drame qui va suivre :
Dès qu' Odile entre en scène, quelque chose vénéneux se faufile dans la fête, mais à peine palpable, car il règne aussi une forme d’insouciance qui rendra d’autant plus tragique le dénouement de cet acte. Pablo Legasa a dansé sa variation avec un brio exceptionnel. Ses sauts incisifs, tranchants comme des faux, annoncent la mise à mort symbolique du prince. Lequel, au contraire, pense avoir enfin trouvé la clé pour vivre : sa variation montre une ardeur, une joie, une libération qui en font en pendant magnifique à la variation de l’acte 1. Les sauts s’envolent, tandis qu’à l’acte 1, il ne pouvait prendre son envol ; ce n’est pas seulement le sentiment amoureux qui l’anime, mais aussi la joie de se sentir vivant, vibrant, ayant enfin trouvé les clés de la liberté ; Il sait enfin qui il est, et se sent enfin légitime pour vivre sa vie comme il l’entend. Et son désarroi est d’autant plus poignant lorsqu’il réalise que ce nouveau fantasme ne franchira pas les portes de son esprit. Le passage où d’une façon machiavélique Rothbart lui fait à nouveau jurer son amour, comme il l’avait fait à l’acte 2, est d’une perfidie absolue.
Lorsque le douloureux acte 4 commence avec la sublime musique de Tchaikowsky et les plaintes des cygnes, on sait que tout est déjà fini. Princesse comme prince vivent leurs derniers instants sans lutter ; ils s’inclinent devant le destin. Et leur renoncement au bonheur sur les thèmes aux hautbois nous meurtrit complètement. Rothbart n’a même pas à lutter contre le prince, qui est déjà vaincu. Quel intelligence, chez Noureev, de reprendre en partie le duo de l’acte 1, mais ici, avec un prince qui ne peut plus lutter car il réalise que tous ses rêves ne lui ont été d’aucune utilité ; ils s’ouvrent sur un néant total, sans espoir. La dernière lueur incarnée par le cygne-rêve est anéantie par Rothbart et le prince sombre dans le « lac de larmes » de son désespoir.
À ce moment, et pour la première fois de ma vie, j’ai vu tous les cygnes littéralement flotter sur l’eau-scène, je ne voyais plus des danseuses, mais des oiseaux blancs, toutes plumes déployées, sur l’eau sombre du lac, embrumée par la détresse du prince. Quel merveilleux épilogue, pour cette tragédie, que cet ultime chant des cygnes.
L’orchestre a été dirigé avec doigté par le chef d’orchestre estonien, Vello Pähn qui a superbement mis en valeur les cuivres souvent indisciplinés de l’orchestre, et réussit à faire entendre chaque plan sonore avec une clarté nimbée d’une immense poésie.
J’ai versé beaucoup de larmes tout au long du ballet, et sans m'arrêter les dernières minutes, ce qui ne m’était pas arrivé sur un Lac avec autant d'intensité depuis Letestu/Le Riche /Romoli en 2006, et en l’écrivant, j’en ai encore les larmes aux yeux. Il y a l’émotion, mais aussi ce fameux « rasa » indien, qui naît directement de l’intensité de tous les artistes sur scène, autrement dit de ce sublime instant de grâce. Car le corps de ballet était lui aussi magnifique, et tous les artistes étaient comme en symbiose, animés par cette grâce qui a fait se lever d’un bond tout Bastille : superbe standing ovation !
Ce compte-rendu pour remercier tous les artistes du fond du cœur, ainsi tous que les techniciens de la scène, José Martinez et tous les répétiteurs, qui redonnent tout son lustre au ballet de l’opéra de Paris.
Sur le forum dansespluriel que j'administre, et que des membres réguliers ou pas animent généreusement, car tout le monde est le bienvenu, j'ai pris l'habitude depuis quelques années d'ouvrir des topics pour resituer les ballets dans leur contextes historiques et culturels. J'espère ainsi aiguiser la curiosité du spectateur, balletomane féru ou non, et de nourrir son imaginaire, afin que, si l'occasion lui est donnée de voir le ballet sur scène ou en vidéo, il puisse y entrer pleinement, de tout son être, et vibrer de toutes ses fibres.
Voici la liste des topics ouverts, que j'alimente suivant le temps dont je dispose. Certains sont récents, il y a encore peu de choses, d'autres ouverts il y a plusieurs années. Voici la liste provisoire, car je compte ouvrir ce type de topic pour tous les ballets qui me tiennent à cœur.
Le prologue qui le 24 mars, a paru bien long, passe très rapidement ce 16 avril grâce à la meilleure place qu’on a prise ainsi qu’ aux intentions très claires de Don Quichotte/Yann Chailloux, personnage au grand cœur, ainsi que celles de son comparse, Sancho Pança/ Fabien Révillion qui montre dès son entrée en scène plusieurs facettes de son personnage : la paillardise, bien sûr, mais d’autres nuances qu’on n’avait jamais remarquées avant : ce personnage possède un côté très protecteur joué avec beaucoup de conviction. Il anticipe tous les pièges dans lesquels Don Quichotte fonce tête baissée. Par ailleurs, il s’en donne à cœur joie pour donner la réplique aux trios, quatuor ou ensemble plus vaste. Gai, espiègle et protecteur, il a toujours un œil sur son chevalier qui vit dans son monde au péril de sa vie.
L’entrée de Kitri/ O Neill, bondissante et énergique, est joyeusement saluée par des applaudissements enthousiastes. Ce n’est pas si fréquent ! Kitri virevolte, pleine de gaité, s’amuse à provoquer la bonne société, teste ses charmes sur les garçons de la ville, et forme un formidable trio avec ses deux amies, la charismatique Catherine Higgins et la sémillante Célia Drouy. O Neill a une technique sûre, des lignes déliées, mais surtout un haut de corps qui respire et des bras d’une infinie éloquence. Tout n’est que grâce jusqu’au bout de ses dernières phalanges !
Basilio / Hugo Marchand entre en scène avec une joie de danser qui ne se démentira pas pendant tout le spectacle ; sa danse généreuse, habitée, donne également une grande impression de liberté. Son plaisir à danser est contagieux et on se prend immédiatement de sympathie pour son personnage. Attentif à sa partenaire qu’on sent pleinement confiante avec lui, il la met merveilleusement en valeur sans toutefois s’effacer. L’équilibre est parfait. Le quatuor composé de ce couple et des amies, qui devient un sextuor ou octuor au gré des échanges avec les différents personnages, possède une énergie qui se communique à tout le corps de ballet cette fois-ci parfaitement ensemble : tout le monde prend du plaisir sur scène et en offre généreusement au public. Et c’est ce que je retiendrais de cette soirée : cette offrande de la danse à un public extrêmement réactif qui applaudit spontanément parce qu’il interagit avec les artistes : les deux trouvent l’un dans l’autre un quelque chose qui les unit le temps de ce spectacle généreux. Car l’art, s’il peut divertir, peut surtout unir dans une même vibration public et artistes, et c’est ce qui s’est passé ce 16 avril. C’est la magie du spectacle vivant.
Au premier acte, pêcheurs et filles de Barcelone mènent joyeusement la danse avec une insouciance et une nonchalance qui tranchent avec l’entrée des matadors virils et sérieux. Leurs espagnolades et leurs jeux de cape offrent à cette joyeuse assemblée un contrepoint parfaitement dosé.
La variation aux castagnettes, ébouriffante, montre une jeune femme de caractère, ardente et passionnée ; celle de Basilio offre une batterie superbe et une belle envolée dans les sauts. Ce couple, haut en couleur, alterne les chamailleries et les jeux de séduction propres aux jeunes gens tout juste sortis de l’adolescence, qui se teste l’un l’autre ; pourtant, on sent poindre une attirance réelle qui s’épanouira tout au long du ballet.
Le Gamache de Daniel Stoke, petit nerveux teigneux et précieux, parvient à nous intéresser de longues minutes à son mouchoir ! Quant au Lorenzo de Sébastien Bertaud, il est sous le charme de sa fille, et quoiqu’elle fasse, il se fait mener par le bout du nez, et on le comprend.
Chaque petit rôle est joué avec la même intensité et cela rend le plateau si vivant qu’on ne voit pas passer le premier acte dont les 20 dernières minutes diffusent une énergie extraordinaire, soutenue par un orchestre léger, aux tempos plus rapides que le 24 mars ce qui renforce l’impression de fougue et d’entrain.
On reste assis sur son siège à l’entracte, un sourire béat sur les lèvres…
Vue de plus près, la scène des gitans n’est plus aussi sombre, et on peut admirer le gitan d’Antoine Kirscher, puissant, autoritaire, imposant, aux lignes nettes et tranchantes comme découpées dans du métal. Les gitans/gitanes fougueux campent un peuple mystérieux et fascinant qui semble avoir leur propre code et leur propre langage. Tout cela n’était pas visible le 24.
Le duo au châle, langoureux, montre un amour ardent, qui couvait jusqu’alors et qui prend vraiment forme : Kitri, sensuelle, et Basilio plein de désir, ne sont plus dans la séduction et dans le jeu, mais troublés par cette vibration particulière qui unit les vrais amoureux.
Dans la scène des dryades, on regrette Kang en reine des dryades et Mcintosh en Cupidon. En revanche, O Neill, tout en légèreté et en musicalité devient le rêve immaculé et évanescent de Don Quichotte, subjugué.
Le troisième acte passera tout aussi rapidement que les deux premiers ; l’énergie et l’enthousiasme de l’ensemble de la troupe ne faiblit pas et le pas de deux de Kitri et Basilio, impressionnant de maîtrise et de beauté visuelle, montre deux artistes animés d’un même souffle, d’une même énergie, tel deux âmes sœurs. Beaucoup de puissance, d’autorité et de poésie émanent de leur danse, ensemble ou seuls ; leur registre semble infini et ils s’insufflent l’un à l’autre l’énergie nécessaire pour tenir ce marathon dansé jusqu’au bout où triomphe leur amour. On reste le souffle suspendu pendant le passage lent, empreint d’une grande maîtrise et de beaucoup de classe, d’élégance et d’autorité, qui nous cloue sur nos sièges, et le souffle coupé lors du déferlement de leur virtuosité. On sent leur énergie remuer nos tripes et on n’a qu’un désir : leur donner tout notre enthousiasme de spectateur pour que leur danse les porte encore plus loin. C’est bien de fusion qu’il s’agit…. Rasa, diraient les Indiens mène au Tout…
Le finale, somptueux, déclenche un tonnerre d’applaudissement : le public est heureux et tout le plateau l’est aussi ; on ressort follement joyeux d’avoir vu la compagnie en si grande forme, dans un spectacle d’une incroyable générosité soutenu par un orchestre impeccable ! Et on mettra de longues heures à redescendre de notre petit nuage. Il faudra l’aube pour trouver un peu de sommeil, et encore…
Cette représentation vient rejoindre nos préférées : Pontois/ Bujones, Loudières/Dupont, Le Riche/ Letestu et Pagliero/Paquette.