Le ballet de José Martinez, empli de poésie est une œuvre extrêmement généreuse de part ces nombreux clins d’œil et référence au théâtre, au cinéma, au film et à la danse elle-même et les multiples chorégraphes que Martinez a rencontrés au cours de sa carrière; ces Enfants du Paradis font plaisir à voir, à revoir, même si d’un point de vue personnel le ballet néo-classique en remplacement de l’inénarrable répétition de l’auberge des Adrets et de ses trois auteurs puis de la représentation qui en suivra fait sortir le spectateur de l’histoire. Il est difficile ensuite de reprendre le fil de l'intrigue après les 10 ou 15 minutes de ce long passage.
Autre bémol, le manque visible de liberté que José Martinez a eue pour sa création, car obligé de se plier à la scénographie de François Roussillon – qu’on connaît pour ses documentaires sur la danse – qui elle-même suit pas à pas le film, peut-être par obligation.
Enfin, dernier double bémol, les scènes de mime un peu trop nombreuses pour le rôle de Baptiste à qui on aurait aimé voir confier une variation dansée supplémentaire.
Il n’en reste pas moins qu'on est sous le charme d’une poésie qui se déploie au fur et à mesure comme le parfum du jasmin dans l'air des soirs d'été.
Les plus de ce ballet sont le langage chorégraphique qui personnifie magnifiquement chaque caractère : lyrisme, cruauté, honnêteté, truculence, esprit calculateur, mesquinerie, petitesse dans la grandeur,méchanceté, douceur et faiblesse, il est facile de reconnaître chaque personnage du film pour lesquel Martinez a fait du sur mesure.
Cette année, il fallait accepter de se priver d’Isabelle Ciaravola dans le rôle de Garance. La distribution que j’ai choisie présentait de l’excellent et du moins enthousiasmant.
Vu il y a maintenant quinze jours, mais n’ayant pas eu le temps d’écrire le compte rendu pour diverses raisons, il me revient tout de suite à l’esprit le lumineux Karl Paquette, qui décidément aura tout fait cette année, y compris revêtir le costume du lion pour le plus grand plaisir du public! Il n'y a que lui pour mettre en joie 2000 personnes, rien qu'en se costumant en lion!
Et il faut le voir s'envoler dans le ballet néo-classique et y déployer une technique solide, brillante, enthousiasmant de sa présence solaire toute une salle sous le charme.
Après son merveilleux Lucien dans Paquita, le retrouver dans un rôle aussi truculent est un vrai bonheur. Karl Paquette continue à donner beaucoup à son public qui l’aime de tout son cœur ; sans doute l’un des artistes les plus populaires actuellement à l’opéra de Paris.
Ganio est parfait en Baptiste , qui malheureusement n'est pas assez " dansant"; une ou deux variations supplémentaires au lieu des scènes de mime auraient été bienvenues, car celles-ci directement sorties du film, font un drôle d'effet dans ce contexte; elles sont un peu fades, un peu longues, parce que JL Barraut est juste inégalable, - et quand bien même on ne l'aurait jamais vu, il n'en reste pas moins que le mime filmé de près ne peut donner la même chose que celui-ci réalisé sur une grande scène de danse au milieu d'un ballet. On regrette de ne pas voir autre chose que ce que l'on connait déjà ; malgré cela, Ganio n’a pas son pareil pour susciter de la compassion pour son amour contrarié, ou nous faire ressentir les affres de l’amour dans le pas de deux final.
A ses côtés, un Lacenaire extraordinaire en la personne de Vincent Chaillet qui s'effile comme la pointe d'un couteau, est capable de se recréer en deux dimensions pour glisser comme une ombre inquiétante, se montre cinglant, ou brillant, génial ou vaniteux. Un personnage fait de génie et de cruauté.
Un rôle sur mesure pour lui où il déploie une technique brillante et un jeu de haut vol
Zusperreguy, incarne Nathalie avec vérité, émotion et finesse de jeu. Il y a une toute petite scène avec elle, Ganio et un enfant de l’école de danse qui en quelques glissades évoque tout le bonheur familial. On m’a dit le plus grand bien de Mélanie Hurel dans le rôle, et je regrette de n’avoir pas vu une autre distribution pour voir cette belle artiste trop rare à mon goût.
Je n'ai pas du tout aimé la proposition de Pujol en Garance qui, trop effacée, trop douce, ou trop enfantine, a du mal à faire un vrai choix pour incarner son personnage ; il est difficile de croire à son amour pour Baptiste; sa relation avec F Lemaître ou avec le comte n'est guère plus convaincante. Ciaravola manque beaucoup dans ce rôle et on se fait la remarque que sans elle, les enfants sont bien orphelins.
La danse est belle, fluide, virtuose, comme souvent, mais on dirait qu'elle n'ose pas être Garance, peut-être tout simplement pas fait pour elle.
La madame Hermine de S Romberg n'est pas non plus formidable, le jeu est trop appuyé; même commentaire pour le Comte de Benjamin , fade et pas assez hautain (quel contraste avec son excellent Mr de GM d'il y a un mois!
Le premier acte est joyeusement enlevé avec une troupe soudée, et malgré une scénographie très scolaire qui s'emploie à reproduire trop fidèlement le film, on se laisse très facilement emporté par toutes ces petites scènes qui se succèdent assez rapidement et auxquelles Martinez insuffle beaucoup de vie.
Le second acte manque de ressort à tous points de vue, du fait de cette sorte d'alliance ratée entre les différents protagonistes de la distribution de ce soir là. Pech n’est pas assez présent, Garance non plus ; comme il s’enchaine au ballet néo-classique, on sort tout à fait de l’histoire et on devient spectateur du spectateur qu’on est….
Bien qu’ il n'ait pas du être facile pour Martinez de composer quelque chose de fluide sur un canevas rigide, le chorégraphe en variant les clins d’œil multiples, les hommages et en exportant souvent le ballet hors de la scène a créé un propos inventif, sensible, parfois joyeusement désordonné comme peut l'être un plateau de cinéma. Joli clin d'oeil que d'être accueilli par les personnages dès notre arrivée, de voir les tracts tomber du plafond pour nous annoncer à l'entracte Othello dansé dans le grand escalier pendant que le ballet narratif est répété sur scène avec Martinez himself en maître de ballet, ou de voir Garance traverser toute la salle pour disparaître loin de Baptiste par l'entrée des spectateurs à l'orchestre. Les pas de deux sont vraiment superbes, poignants, les variations et les tableaux regorgent de vie et de créativité, les actions se superposent parfois dans un même espace, et cela très habilement: que d'idées pour une seule oeuvre! On aimerait le voir créer d'un bout à l'autre autre chose rien que pour le plaisir de le voir libre et sans contrainte..
La musique, plaisante, a dû elle aussi se plier à la scénographie ce qui lui donne un petit côté collage musical comme dans les « musicals », mais elle suit agréablement le ballet.
On regrette en sortant de n’avoir pas vu une autre Garance, et un découpage du film un peu plus libre afin que tout le talent des danseurs et du chorégraphe, José Martinez soient mieux exploités.