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  • : Un jour, une œuvre
  • : Créé en 2006, ce blog rédigé par Valérie Beck autrefois consacré à la danse et à ma compagnie se diversifie davantage.
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Noureev

 

Danser, telle la phalène sous la lune, le pinceau du calligraphe, ou l'atome dans l'infini 

                                              

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4 juillet 2023 2 04 /07 /juillet /2023 13:37

 

 

 

J’ai lu avec grand intérêt le livre de Rekha Tandom, Odissi as yoga.  J’en résume ici les premiers chapitres, vraiment passionnants.

 Dans un autre article, je commenterai de mon point de vue de danseuse et pratiquante de yoga sa vision que je ne partage pas, même si je reconnais qu’elle est la première à essayer de poser des jalons pour replacer l’Odissi dans un cadre vraiment spirituel, ce qui au fond, n’est toujours pas le cas. Car elle écrit en préface de son livre : «  Explorer les principes du yoga dans la danse indienne et construire une pratique artistique tangible basée sur cette compréhension est le but de ce livre. »  Hors, il me semble qu’elle a une connaissance bien superficielle du yoga, ce qui n’est pas le cas de la danse Odissi.

 

Les contradictions et les zones d’ombre.

 

La première chose à savoir, et qui est pour le moins surprenante est que l’Odissi est transmis comme un héritage ancien, alors que ce style a été complètement recréé au 20ème siècle en s’inspirant de diverses sources qui sont toutes éloignées de ce qu’a été cette danse de temple au 12ème siècle, lors de son apogée. 

La deuxième, que cet «  héritage » est transmis avec l’idée que s’écarter de cet enseignement fait perdre l’efficacité spirituelle, que seul le guru détient et peut donner.

 

Ce sont ces deux affirmations que Rekha développe et questionne dans ses premiers chapitres. Elle revient sur l’historique qu’elle résume ainsi :

 

Qu’est ce que l’Odissi aujourd’hui ?

 

Une construction synthétique d’un matériel culturel brut créé au milieu du 20ème siècle et qui contraste avec l’idée d’un produit fini  avec le sous-titre que c’est un héritage ancien qui doit être gardé aussi intact que possible. Le phénomène de transcendance à travers la pratique est livré tel quel sans explication.

 

 

Quelques mots sur ce que l’on sait de l’Odissi dans le passé :

 

Les temples ont été construits entre le 6ème et le 12ème siècle ; danse et temple sont inextricablement liés à partir du 7ème siècle :

  • Le culte de Jagannath est à son apogée à Puri au 12ème siècle ; il  s’incarne dans une forme humaine, sous l’aspect Krishna ; son grand amour est Radha et leur relation la lui permet une fusion avec le Soi. Tout cela est raconté dans la Gita Govinda écrite par Jayadeva
  • Ces poèmes sont évoqués en sculpture à travers les centaines d’alasyakanya qui sont des jeunes filles qui ornent les façades de temple dans des poses souvent langoureuses, et toujours extrêmement gracieuses.
  • Dès le 7ème siècle, on trouve dans les archives des temples les mentions des Maharis, servantes-danseuses-épouses de Jagannath ainsi qu’un rituel de danse pour ces Maharis ou devadasis. C’est au 7ème siècle, que le tantrisme[1] éclot au sein du courant dominant shivaïte.
  • Il est presque certain qu’à partir du 10ème siècle, la danse féminine dans ce contexte tantrique ; la danse est sans doute alors vécu comme un «  yoga » c'est-à-dire un moyen d’union ou est réalisée par des devadasis-yogini.   Rien ne le prouve cependant.
  • Shiva/Shakti, les deux pôles d’un tout,   au cœur du tantrisme au 10/ 11ème siècle, qui deviendra Jagannath,  Dieu tutélaire de l’Orissa, lequel s’incarnera dans une forme humaine en Krishna, sous-tendent cette danse féminine mais qui pourrait transcender le genre.
  • Il faut comprendre tout cela simplement comme des variations émanant d’un point unique qui se décline en différents aspects.
  • Au 12ème siècle, l’architecture des temples et leurs sculptures fleurissent dans toute  cette région. Un espace nouveau est créé au sein des temples, appelé Natya[2] mandapa, pour les prêtresses-danseuses. Il est réservé au culte à travers la danse. C’est là que sont sculptées des centaines d’alasyakanya qui serviront de base pour reconstruire la danse de ces temples après qu’elle ait été perdue.
  • Malheureusement, au 16ème siècle, les invasions musulmanes mettent un point final à ces rituels dansés ; la vie dans les temples s’arrête. Ils sont fermés, leurs occupants chassés.
  • Ils sembleraient qu’à partir de cette date, pour gagner leur vie, les Maharis dansent pour qui «  veut » mais peu à peu, leur réputation chute et elles sont progressivement assimilées à des courtisanes, ce qu’elles étaient peut-être occasionnellement pour gagner leur vie. La danse elle-même se perd et le lien avec le tantrisme.

 

 

Recréer un style de toute pièce : telle est l’odissi aujourd’hui

 

 

En 1947, la situation est tragique, car sous la gouvernance anglaise et son puritanisme, celles qui se nomment encore Maharis, souvent descendantes très très lointaines Maharis (quatre siècles ont passé) reçoivent l’enseignement de leur mère ; elles sont considérées comme des prostituées. 4 siècles ont passé qui ont peu à peu effacé toutes traces de ces rituels dansés, de ce lien puissant avec le divin, la racine sanskrit Di désignant la lumière, car son et lumière sont au cœur du tantrisme.

 

Mais heureusement, avec l’indépendance de l’Inde et grâce à l’appui d’artistes comme Rabindranath Tagore qui la défend avec vigueur, la danse va peu à peu reprendre une place digne et honorable en Inde, et même devenir une raison de fierté nationale. Mais qu’on ne s’y trompe pas : elle devra d’abord faire face à sa très mauvaise réputation, puis, quand le pas sera franchi, va être  recréée de toute pièce et n’aura plus grand-chose à voir avec ce qu’elle fut au 12ème siècle, l’âge d’or du tantrisme dans cette région. Même si certaines femmes se disaient encore descendante de Mahari, plus aucune d’elle ne dansaient dans les temples, ni ne recevaient une formation dans un cadre  sacré comme cela avait été le cas 8 siècles plus tôt.

 

Toujours est-il que la région nouvelle appelée Odisha en fera son fer de lance pour se construire une identité. Cela ne se fera pas tout seul, car les préjugés envers les danseuses considérées comme moins que rien, aura la vie dure. Au début, aucune «  jeune fille de bonne famille » n’est autorisée à prendre des cours. Mais peu à peu, après 1950, le changement est favorable pour «  ressusciter » la danse. Dans le même temps on découvre que les Maharis étaient les épouses de Jagannath, mais la danse est perdue ; l’Odisha voit dans la restauration de la danse l’occasion d’affirmer sa singularité régionale. Jagannath en devient le symbole comme Nataraja l’est pour le baratha natyam (qui a vécu la même chose)

 

Cependant,  la danse va renaître non pas dans les temples, mais au théâtre. C’est un fait à noter important.  C’est à ce moment que la danse va prendre le nom d’Odissi ;  en 1953, à Cuttack,   Priyambada Mohanty présente une pièce de quelques minutes lors d’un festival et l’un des membres du jury, le docteur Charles Fabri, historien de l’art, la «  baptise » Odissi

 

 

Jayantika et les pionniers de l’Odissi

 

 

Se forme alors un groupe de recherche, en 1957, appelé le Jayantika et composé de ceux qui seront les pionniers de la reconstruction (ou plutôt recréation) de l’Odissi : parmi eux : Pankaj Charan Das, Kelucharan Mohapatra,  Deb Prasad Das, Mayadhar Rauth.

 

Ils vont abondamment puiser dans la tradition des gotipuas[3], jeunes garçons élevés comme des danseuses dont les chorégraphies «  régionales » sont assez acrobatiques ; c’est là qu’ils puisent le matériel rythmique, mélodique, chanté ; ils s’inspirent aussi de ce que la baratha-natyam a construit ;  les sculptures sont examinées soigneusement et toutes leurs postures et gestes sont répertoriées. Les traités théâtraux seront aussi examinés à la loupe tel le natya sastra du légendaire Barathi (qui donnera son nom à l’Inde). On s’inspire de Jayadeva et de ses poèmes pour construire des abhinayas. La danseuse Sanjukta Panigrahi sera une collaboratrice très importante pour Kelucharan Mohapatra, même si son travail restera dans l’ombre du guru et pour cause, voir un peu plus loin. Malheureusement, très vite, les pionniers ne seront pas d’accord entre eux, et chacun finira par travailler dans son coin, plus ou moins amer et/ou fâché à vie.

 

Malgré tout, le répertoire va quand même surgir entre les années 1960 et 1970

 

En 1968, le Dr Vatsyayan souligne le fait que tous les styles de danse classiques partagent le principe fondamental qu’elles constituent des formes de sadhana[4]. Ses écrits vont avoir un grand retentissement et sont la cause de l’intérêt grandissant pour la danse indienne « classicisée » comme l’Odissi ou le baratha natyam, d’un point de vue philosophique.

 

Cette même idée va renforcer le statu du guru comme gardien de la connaissance. Il se met à bénéficier d’une inconditionnelle déférence et cela créé des hiérarchies pas toujours propices au but recherché à travers la danse. Ils se déclarent seuls gardiens de la connaissance, et leurs élèves, principalement des filles, sont à la fois leurs interprètes et leurs mécènes. Elles paient leur enseignement, leur permettant  ainsi de vivre et de mener leurs recherches.

 

Le guru tout puissant

 

Mais de là découlent deux problématiques : premièrement,  l’élève doit accepter tel quel l’enseignement sans jamais remettre en cause l’enseignement  ni le pouvoir «  spirituel » de son guru ; deuxièmement,  la danse enseignée est présentée comme étant ancestrale et authentique alors qu’elle n’a même pas une vingtaine d’années dans les années 1970. Jusqu’aux années 2000, plusieurs témoignages confirment l’abandon absolu au guru, sous prétexte de faire mourir son ego ; le souci, c’est que l’ego du guru, lui, était souvent bien actif !

 

Delà découlent plusieurs peurs, craintes, blocages cher les élèves/interprètes :

  • Celle d’être exclu et de perdre le lien avec le spirituel si on ose se séparer de son guru ou si on prend des cours avec un autre guru pour découvrir un autre enseignement, ce qui est – tacitement ou pas – interdit.
  • L’interdiction de modifier quoi que ce soit dans la pratique dansée ; tout est fait au millimètre, ce qui fait que tout le monde danse exactement la même chose de la même façon dans chaque école ou le  guru s’autoproclame guru.
  • L’impossibilité de créer un répertoire autre que celui que le guru transmet sous peine là aussi d’exclusion. Cette exclusion est terrifiante pour des élèves soumis, qui ont pleine confiance en leur guru et en sa manne spirituelle qui leur est alors retirée.

 

Rekha Tandom écrit : «  Ironiquement, l’hésitation et l’incapacité des danseurs qualifiés à travailler avec des visions différentes, indépendantes, reste directement proportionnelle à l’intensité de la relation guru-élève qui sous entend que son ego doit céder devant lui. Ce qui fait que tout le monde accepte de façon inconditionnelle la parole du guru. »

 

Dinanath Pathy, artiste indien à l’esprit avisé, quant à lui, écrit : «  La danse qu’ils créèrent ou fabriquèrent n’était pas authentiquement traditionnelle mais authentiquement contemporaine »

 

Une autre chose est aussi à souligner par rapport à la transmission de cet « héritage ancestral et authentique » : le guru, gardien jaloux du style, pouvait très bien à 20 ans d’écart, transmettre une chorégraphie dont le titre n’avait pas changé mais qui modifiée, remaniée, transformée, présentait  en un mot d’importants changements…

 

Enfin, il est bon de savoir que chaque école détermine ce qui est correct ou incorrect suivant ses propres critères puisque le groupe Jayantika n’a eu qu’une durée de vie très courte, quelques années seulement, avant que tout le monde se sépare pour travailler dans son coin, plus ou moins fâché, vexé, meurtri.

 Ce correct/incorrect n’est, d’ailleurs, jamais expliqué ou analysé par le guru : c’est comme ça, un point c’est tout. De même, toute discussion métaphysique est complètement absente des cours de danse…

 

Enfin, quant au lien avec le tantrisme, ce qui est certain c’est que pendant plus de quatre siècle, le tantrisme avait une telle mauvaise réputation en Inde qu’il fut progressivement délibérément ignoré (au moins en apparence car son enseignement continua dans le secret) ; on lui associait le sexe, ce qui faisait frissonner d’horreur l’Inde toute entière devenue, sous son double joug musulman et anglais, puritaine. 

La grande contradiction aujourd’hui est que tout le monde admet que l’Odissi recréé de toute pièce aujourd’hui est par nature spirituelle, tantrique, mais personne n’en apporte la moindre preuve.

Beaucoup pensent qu’il suffit d’être éveillé à soi-même (comment ? mystère !) pour que la danse se fasse à travers le danseur indépendamment de lui et soit la preuve de sa nature spirituelle. Encore sans doute une histoire de «  pleine conscience » tellement à la mode aujourd’hui, mais qui s’acquiert «  sans effort ». Pourtant,  l’une des triades tantriques est : Iccha Jnana Kryia : volonté, connaissance, action.

 

[1] Principe philosophique que cherche à unir conscience ( shiva) et énergie ( shakti)  pour fusionner dans le Soi – parashiva- en utilisant les différents corps ou koshas considérés comme temple grâce auquel l’alchimie peut se faire à travers des techniques qui utilisent le corps comme creuset et point de départ.

[2] Natya est un terme sanskrit qui désigne tout performance théâtrale, y compris la danse, et bien avant la création des théâtres puisque le natya sastra – traité de natya – attribué à Barratha

[3] On sait peu de choses sur l’historique des gotipuas, sans doute comme les onnagatas, hommes qui remplacent les actrices sur scène interdites à la même époque au Japon, deviennent-ils les dépositaires de la danse car les femmes n’en n’ont plus le droit. On a alors eu recours à de jeunes garçons aux traits féminins jusqu’à ce que la puberté leur fasse perdre leur aspect féminin

[4] En sanskrit sadhana साधन  signifie réalisation ; dans un contexte spirituel, il désigne l’engagement dans une voie mystique, quelle qu’elle soit,  par une pratique quotidienne, qui n’est pas nécessairement physique.

 

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15 juin 2023 4 15 /06 /juin /2023 08:00
André Dussolier : sens dessus dessous

La première fois que j’ai vu André Dussolier, c’était à la télé, et il avait un violoncelle… C’était dans la série Un ours pas comme les autres, de Nina Companez, et il avait pour partenaires Anny Duperey, Ludmilla Mickaël, Francis Perrin…. J’avais 16 ans et j’ai été fasciné par sa voix, par cette profondeur psychologique qui donnait à son personnage du mystère et quelque chose de profondément singulier. Au lycée, dans ma classe de 1ere à section musicale, on commentait abondamment chaque épisode et Dussolier était pour nous tous, notre personnage préféré. Cette première rencontre resta inoubliable.  

 

Elle fut suivie par d’autres qui ne démentirent jamais la fascination qu’exerça sur moi son talent d’acteur, parce que précisément, en le voyant, on oublie l’acteur et il ne reste que le personnage. Il faut beaucoup de talent et d’humilité pour s’effacer derrière un personnage ; Depardieu faisait cela très bien autrefois. L’incroyable filmographie de Dussolier révèle toute l’étendue de son registre et si j’écris ce matin sur cet artiste qui n’a nullement besoin de ma modeste voix, c’est avant tout pour retrouver en écrivant tout le plaisir que j’ai eu à le voir, à l’entendre pendant toutes ces années. Il suffit de me rappeler le jeune homme étrange d’Alice ou la dernière fugue de Claude Chabrol, de réentendre la voix du chirurgien-major encourager le malheureux invalide à se réalimenter dans La chambre des Officiers de François Dupeyron, de revoir Simon, l’agent immobilier d’On connaît la chanson d’Alain Resnais,  conduire Nicolas/Bacri d’appartement en appartement, de sentir le désespoir de Marcel dans Melo, Resnais encore, pour retrouver, intacte, toute la magie de ces moments cinématographiques parmi des centaines.  

 

Mais il y a encore plus : depuis plusieurs années déjà, j’écoute régulièrement sa lecture de Proust. J’ai l’intégrale de cette œuvre magistrale que se partagent les voix de  Gallienne, Renucci, Wilson, Londasle, Podalydès. De loin, il les surpasse tous. Son naturel nous emporte dans l’univers des Verdurin, nous fait éprouver les tourments de Swann, nous met en extase devant aubépines, et nous révèle, dans le dernier opus, les mystères de l’espace-temps. Familière de Proust depuis mes 16 ans, j’ai lu et relu bien des fois mes volumes préférés, mais Dussolier m’a révélé mille détails que ma lecture pourtant attentive, avait ignoré Sa voix, tel le Lapin blanc d’Alice, m’a guidée dans les profondeurs de cette œuvre atypique, emplie de sensibilité et d’une profonde humanité.

 

C’est la raison pour laquelle, lorsque j’ai vu par hasard l’annonce de son spectacle Sens dessus dessous,  titre d'un sketche de Raymond Devos qu'il joue pendant le spectacle, j’ai tout de suite voulu y aller. Comme j’ai acheté les places bien en avance, pour la 2ème représentation, j’ai bénéficié d’un tarif raisonnable : une trentaine d’euros pour un premier rang de corbeille. Je note ce détail car les nouveaux tarifs de l’opéra de Paris me restent toujours en travers de la gorge…

 

Et voilà Dussolier sur scène, qui, pendant un peu plus d’une heure, va nous tenir en haleine avec des textes qui nous emportent dans les univers extravagant, léger, drôle, meurtri, sombre, incongru, absurde, tragique, poétique, rêveur, douloureux, de Devos, Dubillard, Guitry, Hugo, Baudelaire, Devos… on rit, on s’effraie, on est empli de compassion, on doute, des larmes nous viennent aux yeux, - comment les refouler en entendant le crapaud de Victor Hugo? - ou bien un fou rire nous prend pour quelques instants. Et André Dussolier, soutenu par un dispositif scénique simple, mais efficace,  passe d’un registre à l’autre ;  sa voix virevolte, s’épanche, ralentit, accélère, s’irrite, se moque, s’apaise, questionne, vibre, créée sous nous yeux le plus vivant des mondes, celui des mots que chacun, dans la salle, s’approprie à son tour, et le tout avec ce naturel que j'aime tant chez lui.  Il ne joue pas, il vit ce qu'il nous raconte, avec cette humilité, cette présence à la fois lumineuse et discrète, mais surtout,  toujours cette voix-violoncelle qui à 77 ans, n’a rien perdu de son extraordinaire musicalité qui module à loisir toute l’étendue de son immense talent d’acteur   

 

 

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13 juin 2023 2 13 /06 /juin /2023 12:42
Créé en 2006, le blog prend une nouvelle direction.

    Créé en 2006 avec passion, - je lançais cette année-là ma propre compagnie de danse -  ce blog était autrefois exclusivement consacré à la danse.  J'adorais faire le compte-rendu  des spectacles que je voyais.  Au départ, le ton était maladroit, mais peu à peu, j'avais trouvé ma vitesse de croisière. Parfois il m'arrivait de voir 2 ou 3 spectacles dans le mois avec le même émerveillement. Mais les prix de la culture grimpant en flèche, un certain désenchantement face à ce qui est proposé aujourd'hui, -tout est tellement sombre! - font que ce blog prend une nouvelle direction. J'aime toujours aussi passionnément l'art, l'une de mes premières raisons de vivre, et je m'émerveille chaque jour de la capacité qu'une œuvre a de nous transformer, de nous porter, de nous aider dans nos choix. Récemment, les Hunger Games de Suzanne Collins m'ont permis de franchir un nouveau cap dans ma vie. Car c'est ce qui s'est produit tout au long de ma vie : l'art m'a accompagnée : s'il peut divertir,  l'art peut beaucoup plus  en emportant le spectateur, lecteur, auditeur bien au delà des limites de lui-même.

Ainsi, au gré de mes rencontres avec des œuvres d'art, je viendrai ici parler de celles qui me laissent " stupéfixiée" pour emprunter ce terme à J.K. Rolling. Il y aura bien sûr toujours de la danse, mais plus seulement.

Surtout, n'hésitez  pas à vous désinscrire si ce contenu ne vous intéresse plus. Il suffit de cliquer sur le lien de cette newsletter. C'est l'occasion, cher lecteur,  de vous remercier pour votre fidélité. 

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9 avril 2023 7 09 /04 /avril /2023 06:26
Chris Morin-Eitner, un artiste qui m'enchante !

Chris Morin-Eitner, un artiste qui m'enchante !

     Les prix grimpent, ceux de la culture aussi, opéras et musées inclus. A l'opéra, en 2015/2016, le redécoupage des catégories, la création de la catégorie optima, et l'augmentation des prix m'avaient fait sortir de mes gonds; j'avais alors écrit une lettre au directeur financier de l'opéra de Paris pour exprimer mon indignation; certaines places avaient augmenté de 147 % : on m'avait répondu en langue de bois

    Aujourd'hui, cela recommence. L'inflation  a bond dos. Et le redécoupage  continue, faisant disparaitre les dernières places  correctes de 4ème catégories encore accessibles. Elles passent en 3ème  catégorie ( environ 120 euro alors qu'autrefois elles étaient à 50).  Il reste le choix, pour rester dans des prix raisonnables, d'acheter à présent de la 5ème catégorie (environ 65 euros ) mais alors on se retrouve  soit  perché et on  regarde des Playmobil danser, soit on est tout au fond du parterre de Bastille, et il faut regarder le spectacle aux jumelles, ce qui est pénible, soit on est en hauteur ET de côté à Garnier et on ne voit alors pas  un tiers de la scène. 

Si écouter un opéra de n'importe quelle place m'importe peu, car les chanteurs ne sont pas là pour être regardés dans les détails, - encore que ces dernières années, ce sont les metteurs en scène qui me font fuir -  c'est différent avec la danse, où les expressions du visage sont importantes.  L'émotion perd en puissance au fur et à mesure qu'on s'éloigne de la scène. C'est comme de dialoguer avec un ami cher qui s'éloigne peu à peu...

      J'ajouterai qu'en plus, toujours en 2015, date fatidique pour la balletomane que j'étais,  on a massacré les loges de  Charles Garnier pour entasser comme du bétail des spectateurs sur 4 rangées. Serrés comme des sardines, j'imagine la joie de sentir les genoux de son voisin cogner régulièrement les siens, tout cela pour la bagatelle de 175 euros..

J''avais rejoint une association pour protester : une action en justice a eu lieu sur deux ans ; il y a eu de l'espoir, mais c'était le combat du pot de terre contre un pot de fer. L'argent a eu raison;

     Quel choix alors? Et bien tout simplement, ne plus y aller que deux ou trois fois l'année, au lieu d'une quinzaine dans les années 1986/2015. On pouvait alors voir toute la programmation, grâce aux matinées qui offraient des places 30 pour cent moins chères qu'en soirée. Et ainsi découvrir des chorégraphes, sans avoir peur de gâcher son argent.

   L'an prochain, j'irai donc voir 3 ou 4 spectacles, pas plus, car mes dernières expériences en fond de parterre (rang 28) m'ont exaspérée. Quand à mon dernier Garnier, les variations de Myrtha et de Gisèle étaient incomplètes car elles disparaissaient régulièrement dans le tiers de la scène que je ne voyais pas.

Je me console en me rappelant l'âge d'or que j'ai connu ; des artistes exceptionnels, dont les derniers se nomment Ciaravola, Le Riche, Letestu, Paquette.

Une page se tourne, ici aussi. Qui fait que je ne peux même pas me réjouir de la nomination de José Martinez ou d'Hannah O Neill. tant pis, je passe à autre chose.

Ce blog deviendra plus un lieu pour des billets au jour le jour, sur tous les thèmes culturels qui me passionnent.

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29 décembre 2022 4 29 /12 /décembre /2022 09:23
Lac des cygnes 5 mars 2019 Ganio/Park/Quer

Cela peut paraître curieux, mais je n'avais alors pas posté mon compte-rendu sur ce blog.  J'en ai eu envie cette année au milieu de cette série de Lacs un peu bancale, où il y a toujours quelque chose qui cloche. A l'époque Park n'était pas encore étoile. Sa nomination aura lieu deux ans plus tard.  Comme j'aurais aimé les revoir cette année en plus de ma soirée avec Ould Braham et Moreau.

 

Qu’est-ce qu’une soirée parfaite ? Une soirée dans laquelle tout le monde raconte la même histoire, dans une harmonie et une émotion hors du commun. Ce fut le cas le 5 mars 2019, avec des solistes portés par un corps de ballet lyrique ou dynamique à souhait, suivant les actes.
 
Dès le premier acte, Mathieu Ganio incarne un prince d’une bienveillance absolue avec chacun ; il a un grand cœur, mais pas de sens pratique. Son mentor – excellent JL Quer- essaie de lui insuffler un peu le sens des réalités, des responsabilités, de l’ancrer dans une vie présente,  mais il est en peine, non pas à cause de la mauvaise volonté du prince  mais de l’aspiration de celui-ci vers un ailleurs qu’il est incapable de définir lui-même. La reine lui rappelle pourtant qu’il doit songer à se marier ; Siegfried devient songeur ; il prend conscience que le temps passe, que le devoir le rattrape et un poids semble tout à coup peser sur lui. Seule, la vue de l’arbalète lui rend son sourire : il vit encore dans le monde. merveilleux de l’enfance où tout est possible. Aussi n’est-il guère étonné par sa rencontre avec Odette qui n’appartient pas au monde réel et prosaïque de la cour.

 

Sae eun Park, reine-cygne puissante et incroyablement fragile à la fois, se montre très protectrice avec ses sujets ; mais que le prince ne lui en conte pas : elle ne croit pas à l’amour au premier regard. D’abord, celui-ci s’incline devant elle avec respect en apprenant qu’elle est née princesse. Il la sauvera de l’enchantement et lui jure un amour immortel ; sa candeur, son émerveillement, sa bonté immense, sa tendresse révèlent un être tellement désarmant de gentillesse qu'Odette au terme d’un long d’un pas de deux d’une intense poésie, se laisse fléchir et se met à espérer. Pendant sa coda, ce fragile oiseau blessé ou bien cette princesse  évanescente, évoque Hamsa, le cygne en sanskrit, symbole de pureté et du souffle lui-même. Déterminée, mais fataliste, Odette exprime sa désolation d’être sous le joug du magicien et son peu d’espoir d’être sauvé par Siegfried, éperdu d’amour et d’admiration pour cette créature irréelle, volatile, qui incarne si bien son rêve intérieur.

 

À l’acte 3, Odile charmeuse, enjôleuse, joue avec le prince comme une jeune chatte avec une souris. Celui-ci exprime dans sa variation toute l'ardeur juvénile du premier grand amour.  Mais la supercherie brise net cet élan de vie qui avait tout juste commencé à battre en lui.
 
Au dernier acte, Odette accueille le prince avec douleur, mais aussi une infinie tendresse ; elle ne peut lui en vouloir d'avoir trahi son serment, car dès le départ, elle savait ce qui les attendait l’un et l’autre, pour lui, la mort et pour elle la captivité éternelle ; leurs adieux sont interrompus par le magicien impitoyable.

 

Mathieu Ganio et Sae Eun Park nous ont raconté un conte avec un talent porté à son plus haut point d’expression artistique ; leur  technique est entièrement au service de la narration et des émotions. Ils dansaient, comme le reste du plateau d’ailleurs,  EN musique et non SUR la musique. Tout le plateau a suivi et  la Valse, la danse des coupes, les danses folkloriques étaient un enchantement. Les cygnes avaient trouvé un moelleux et un lyrisme qu’ils n’avaient pas le 17 février. Chose étonnante, comme le chœur antique, il faisait contrepoint aux propos du cygne et du prince, complétait l’histoire.

 

Il faudrait aussi rendre justice à tous les autres solistes : JL Quer, qui a su incarner un Rothbart singulier et puissant  au et un magicien machiavélique et cruel  ; au pas de trois, plein de fraîcheur  ( Philbert, Duboscq, Magliano) ;  aux quatre grands cygnes, qui volaient littéralement  Gorse, Viikinskoski, Hasboun, Boucaud  (d’habitude je trouve cette variation peu gracieuse, là elle était puissante !) et qui faisaient contrepoint aux quatre petits cygnes fragiles et délicats (Ganio, Catonnet, Scudamore, Verdusen) ;   à Scudamore et Docquir  ( Czardas) ; à Ganio et  Vigliotti (Napolitaine) ; à Gorse, Mallen, Lorieux et Chailloux (Espagnols) ; aux six ravissantes fiancées, si fraiches !

 

Mathieu Ganio est un artiste magnifique, et Sae Eun Park s’est révélée d’une grande intelligence dans ce rôle, qu’elle a su faire sien sans le trahir, avec une technique de haut vol.
Eh oui, Cathy : j’ai compté : 16 doubles et 12 simples ! Tout cela dans un mouchoir de poche, et c’était bien le triomphe du cygne noir qui, comme le disait Petipa, tourne sur lui-même en faisant de grands cercles dans l’eau.

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27 décembre 2022 2 27 /12 /décembre /2022 08:45
photo yonathan kellermann Onp

Ce Lac du 25 décembre a été porté par des artistes soucieux de donner de la joie à un public très cosmopolite, très chaleureux avec pas mal d’enfants : comme cela fait du bien d’entendre des applaudissements pour tout et rien, des bravos criés, de l’enthousiasme !

 

La direction de Vello Pähn, a soulevé un tonnerre d’applaudissements bien mérité en montant sur scène, même s’il a du fil à retordre avec les cuivres (toujours eux) qui nous ont gratifiés de quelques couacs qui ont fait rire les trois personnes assises à côté de moi (anglaises ou américaines, je ne sais pas, ils pouffaient en se regardant !) La partition était enlevée, nuancée avec goût : l’écouter valait déjà le déplacement.

 

Les Cygnes  lyriques,  musicaux,  étaient les stars de cette matinée : ensemble sans que jamais leur danse ne soit raide ou figée, comme je l’ai vu certaines fois.  Au contraire, les bras, les cous, les doigts, les dos, délicats, pleins de douleur et d’humilité, semblaient animés par un seul souffle. Je regardais les danseuses, pour une fois toutes de tailles différentes ; c’est quelque chose de voir les grandes se plier plus que les petites qui doivent rester plus redressées quand elles marchent tête baissée, par exemple ! Mais l’effet visuel est poignant.

 

Le reste du corps de ballet était plaisant à voir, même si les garçons n’ont pas l’abattage des filles. C’était, par exemple, très visible dans la danse des Coupes, qui manquait de fougue, mais dans laquelle se remarquait particulièrement la danse incisive et racée  de Chun-Wing Lam au magnifique port de tête.

 

Le Pas de trois du premier acte était enlevé. S’y distinguait particulièrement  Inès Mcintosh spirituelle à souhait, avec des pointes d'acier,  mais des bras délicates et raffinés, et un buste déliés. Un enchantement, 

Les danses du 3e acte inégales, un peu ternes, manquaient un peu de flamme hormis la Czardas menée avec conviction, grâce, élégance et tempérament par une fois encore Mcintosh et Kirscher.

 

Le trio, composé de Marc Moreau, Myriam Ould Braham, Jack Gasztowtt, a bien des qualités ; mais il est dommage que Wolfgang soit dansé en force pour montrer la noirceur du précepteur : c’est oublier que ce précepteur qui apparait comme un sorcier dans la vision du prince,  est plus subtil que le vulgaire «  méchant » d'un mauvais comics. Ces derniers temps, à l’opéra, les Wolfgang redoublent de « méchanceté » ou de « perversité », mais ils sont à côté du personnage, très machiavélique  qui souffle le chaud et le froid sur un Prince à la fois fasciné et décontenancé, mais surtout si peu concerné par la vie.  Il faudra que l’artiste apprenne à «  jouer » car son visage pour l’instant n’a qu’une seule expression tout au long du ballet qu’il soit Wolfgang ou Rothbart. Cependant, au  3e acte, sa variation  rapide, percutante, avec du ballon offre des sauts tranchants comme des sabres et des tours en l'air plein de fougue. On y lit la joie d’avoir triompher de la naïveté du  Prince. Tout change quand un personnage vit !   

 

Le Prince de Marc Moreau, humble et altier tout à la fois, doté d’une belle technique, se montre un peu timide au premier acte, puis il prend confiance et s’épanouit peu à peu. Sa variation mélancolique du 1er acte offre un beau moment hors temps. Il est emporté par son rêve qui prend vie au second acte.  Au 3e acte,  la froideur du cygne Noir au 3e le surprend : où est passée la douce princesse de ses rêves ?   Encore un peu, il découvrirait la supercherie, ma sa mère tient tellement à le marier, que dans la précipitation, il dit oui à ce cygne sans trop réfléchir, peut-être pour éviter d’avoir à choisir parmi toutes les princesses dont il ne veut pas. C’est la première fois que je vois cette proposition et j’ai beaucoup aimé : voilà un prince qui ne «  tombe pas dans le panneau » mais a des doutes tout en se laissant envoûter par la beauté du Cygne Noir.

 À ses côtés, Myriam Ould Braham offre un cygne d’une grande douceur, à la danse ciselée, poétique, sans que jamais la danseuse ne sombre dans la « démonstration». Elle est reine avant d’être princesse et se soucie plus de ses cygnes que d’elle-même. C’est pour les libérer qu’elle espère l’amour du Prince sincère. Elle, elle est résignée à son sort. Son Cygne Noir, moins convaincant, offre un récit linéaire sans relief ; mais la danse est superbe alors on se laisse charmer.

 

Au quatrième acte, l’émotion devient poignante dans la tragédie finale qui se précipite tout à coup. Moreau s’y révèle tout d’un coup d’une puissance émotionnelle formidable. Le trio noyé dans la brume, qui a trouvé un souffle commun, est déchirant. Les cygnes, lyriques à souhait. Le jeu scénique, soutenu par un orchestre puissant, l’emporte sur la recherche de perfection technique, on est comblé et submergé par l’émotion.

 

Merci à tous les artistes !

 

  

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23 décembre 2022 5 23 /12 /décembre /2022 10:56
Le ballet de l'opéra de Paris : quelques réflexions sur les changements, lettre ouverte à José Martinez et Germain Louvet

Il y a actuellement des débats au sein du ballet de l’opéra de Paris sur un certain nombre de questions. Au gré des interviews des danseurs, on voit nombre de questions et de sujets qui sont soulevés, tous intéressants car en phase avec cette société en pleine mutation qui a du mal à se recréer. On en sent l’urgence, mais on voit bien qu’il y a aussi des limites difficiles à surmonter pour changer de fond en comble cette société figée dans le passé qui n’arrive pas, par exemple,  à régler la question climatique...

 

Les questions qui reviennent le plus chez les danseurs sont celles liées :

  1. à l’origine et à la couleur de peau, autrement dit à la diversité,
  2. au sens des ballets classiques et à leur raison d’être aujourd’hui,
  3. au wokisme comme un nouvel éclairage pour l’art,
  4. au concours qui n’a plus de raison d’être, ou en tous cas qui n’est pas si juste que ça
  5. à la hiérarchie, bizarrerie française au sein d’une compagnie de danse qui divise les danseurs en 5 groupes : quadrilles, coryphées, sujets, premiers danseurs/ étoiles (sur nomination)

 

Dans son livre, Germain Louvet soulevait ces questions, mais dans le même temps, il distribuait d’un ton péremptoire des leçons de morale « à tous les vieux cons du monde, hétéro, blancs, friqués » (c’est moi qui l’écris, je traduis sa pensée). Sans doute est-ce la fougue de la jeunesse qui lui souffle de refaire le monde ? Car en 1980, pas argentée du tout, en analyse, car j'ignorais si j'étais fille ou pas, avec des amis gay et lesbiens en veux-tu en voilà, j’allais tout le temps à l’opéra de Paris et dès la maternelle, je prenais la défense des enfants de couleur dans la cour de l’école et même face à mon père militaire hyper raciste qui m'en a collé plus d'une dans la vie!  Hey ! Germain ! Es-tu sûr de connaître ton public ??? Moi aussi je suis syndiquée  et si je gagne mieux ma vie aujourd’hui, ça ne me permet pas de m’offrir les catégories optima, 1er ou 2e ! Je me rabats plutôt sur la 4e ou 5e….

Ce ton moralisateur m’avait insupportée, car il ne laissait aucune place au débat, mais c’est dommage, car les questions posées enrichissent plus l’esprit que des réponses toutes faites.

Et tu sais, Germain, Verdi appelait déjà l’opéra de Paris «  la grande boutique » ça ne date donc pas d’aujourd’hui, cette vision d’une vitrine à fric… !

 

 

Voilà pour le préambule !

 

J’ai envie à travers une série d’articles de soulever les questions posées aujourd’hui dans cette compagnie (j’ai vu mon premier spectacle en 1974 avec Bessy, Motte et Pontois) et de donner « un point de vue » rien d’autre.

 

Commençons par  le point numéro 4 !

 

Le concours :   beaucoup de danseurs y sont défavorables. Ils expliquent qu’ils sont ensemble depuis l’école de danse, et qu’ils ont du mal à être en compétition avec ceux qui sont souvent leurs amis ; d’autres expliquent que le stress est si intense qu’ils en perdent leurs moyens ; ils sont des artistes, pas des bêtes à concours. D’autres ne veulent tout simplement plus les passer : une réponse à une hiérarchie à laquelle ils ont décidé de s’opposer. Mais pas seulement, on va le comprendre dans la suite.

 

Tous frais émoulus de l’école de danse (au minimum 6 ans souvent en internat c'est-à-dire dans un monde clos) ils ont, à l’issu de la première division dont ils ont réussi le passage, réussi le redoutable concours d’entrée dans le corps de ballet de l’opéra ; ils l’ont eu ; ils sont ravis, enfin leur rêve se concrétise ! Ils vont danser ! Ils ont entre 16 et 18 ans, sont pleins de passion, de désir de danse.

 Et puis non. On ne leur donne rien du tout à danser. La première année se passe, et ils ne dansent plus qu’une heure et demie (leur cours du matin) quand ils faisaient 6 heures de danse à l’école. Leur grade ne leur permet pas vraiment d’aller en scène sauf en renfort des grands ballets classiques. Ils sont juste là en plus au cas où . Pour remplacer quelqu’un qui se blesse. Sinon, rien. On le voyait déjà dans le film de Nils Tavernier «  tout près des étoiles » ; d'ailleurs, une jeune quadrille avait fini par partir pour Lyon.

 

Donc nos jeunes quadrilles prennent leur barre, regardent les autres danser et attendent. Ils piaffent dans leurs stalles comme de jeunes purs sangs. S’ils réussissent le concours, ils seront coryphées. Ce ne sera pas beaucoup mieux, mais ils iront en scène. Mais voilà. Ils ratent le concours une fois, deux fois… ils ne dansent pas ; ils se sentent exclus, ils remettent en cause leur capacité, leur talent ; ils cherchent alors un sens à leur raison d’être à l’opéra de Paris. Un chorégraphe contemporain passe par là et les choisit. Et         alors, tout s’éclaire : ils retrouvent le plaisir de danser, ET d’exister à travers le regard du chorégraphe, car perdus au milieu de 152 danseurs, ils avaient disparu, ils s’étaient dilués hormis pour leurs amis. Alors, ils se mettent à détester le classique, cette danse élitiste ringarde dont on les a exclus alors qu’ils ont travailllé durs à l’école pour elle.

 

C’est ce mécanisme qu’expliquent à mi-mots certains quadrilles.

 

 

Je serai personnellement favorable à la suppression de ce concours.  Les arguments pour sont qu’il  donne  à tous la possibilité de danser en soliste sur la scène de Garnier. Certes, mais on sait bien qu’un concours ne permet pas de danser dans de bonnes conditions.  Certains sont galvanisés par le public et mortifiés par un jury. D’autres ne supportent pas d’être en concurrence avec des amis, et de devoir prouver qu'on est meilleur que le voisin. Et puis on sait que le concours n’est pas toujours juste ; parfois, on nomme quelqu’un premier danseur pour barrer la route à un autre…

 

Cette troupe nourrie de rivalité, de mise en compétition depuis l’école, est actuellement comme le dit Ghislaine Thesmard « une machine à broyer les faibles ». Des Guillem, des Le Riche vivent tout cela sans problème ; pour d’autres, ils sont broyés. Doivent-ils dans ce cas quitter l’opéra, aller chercher ailleurs ? Ou bien n’est-il pas temps de changer les règles ? Noureev ne se fichait-il pas complètement de la hiérarchie ? Plus d'une fois, il l'a prouvé!

 

Comment éviter les copinages dans ce cas ? 

 

 

Supprimer le concours peut être la porte ouverte à toutes les bassesses auprès du directeur pour obtenir les postes convoités. Sauf si on imagine un collectif, un groupe d’experts qui se réunit une fois l’an et décide en fonction de l’année écoulée ( prise de cours régulier, scène, etc) de qui est apte à «  monter » ( encore que je doive écrire un autre article sur ces cinq grades que je n’aime pas) ; donc un groupe de personnes et pas une seule personne. Comment mettre cela en place ? Et bien en invitant des danseurs à la retraite à assister à un certain nombre de spectacles dans l’année qui compléterait un groupe composé de maîtres de ballet + professeurs qui donnent leur cours, + bien sur le directeur.

 

On pourrait aussi imaginer des soirées Jeunes danseurs tout au cours de l'année. Comme il n’y a que deux salles de spectacles, elles pourraient avoir lieu en banlieue, en province, ou la danse classique est si rare. Cela réglerait aussi la question de l’école de danse qui pourrait recruter partout en France, car l’opéra deviendrait visible car l'école se plaint que seuls certains enfants issus de certains milieux et vivant plutôt dans de grandes villes où il y a déjà des écoles de danse se présentent.

 Je pense sincèrement que cette question est à creuser. Les jeunes qui quittent l'école ont soif de danser, et cela les stimulerait, créerait une émulation. Ils danseraient des pièces faciles à monter, sans trop de décors ni costumes ; des extraits de ballet, des pas de deux, de trois,  comme ceux que j’avais vus à Orléans au palais des sports de ma ville : c’était il y a 48 ans, et je n’en ai rien oublié !

 

Quand je pense qu'actuellement est toujours quadrille Lucie Mateci, une artiste que j'ai toujours énormément aimée, car même " perdue" dans le corps de ballet, elle diffuse une lumière d'une singulière beauté; c'est l'une de ces artistes qui injustement pour moi, justement aux yeux du concours, n'est jamais " monté".

 

 

Rappel des grades

  1. Quadrille, le premier. 
  2. Coryphée
  3. Sujet : possibilité de danser des rôles de solistes
  4. Premier danseur
  5. Etoile ( sur proposition du directeur de la danse
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6 novembre 2022 7 06 /11 /novembre /2022 09:13
José Martinez, directeur du ballet de l'ONP : trois bonnes raisons de se réjouir! ( et même plus!)

 

José Martinez prendra officiellement la tête du ballet de l’opéra le 5 décembre, mais déjà, on peut se réjouir :

Pour commencer, nous l’avons adoré comme danseur étoile : tous ses rôles sont inoubliables : Les Prince,  qu’il a dansés avec une élégance raffinée, bien sûr, et le dernier que je lui ai vu danser était Jean de Brienne dans Raymonda aux côtés de MA Gillot en 2008; il était parfait pour mettre en valeur ce rôle ingrat. Du lyrisme, un partenariat engagé, et une distinction qui mettait en valeur la rusticité d'Abderam ;  mais ses autres personnages portent cette marque d’une danse aux lignes longues, élégantes, virtuose, tel son Lucien dans Paquita qui a fait l'objet, heureusement, d'une captation.

Mais parmi les autres rôles qu’on garde en mémoire, il y a son magistral Ivan le Terrible, ballet de Grigorovitch absolument inoubliable : des années plus tard, je revois au début de l'oeuvre,  sa longue descente des escaliers, ses longues jambes se déployant telles les pattes d'une araignée, inquiétante, mystérieuse, empreinte d’un soupçon de folie; dans un tout autre style,  le personnage de l' Appartement de Mats Ek qui s'ennuie sur ce bizarre canapé concentre en lui ce ridicule plein de tendresse des personnages de Ek, qui ne savent pas trop pourquoi ils sont là, qui s'ennuient ou se déchirent;  enfin, son  Endymion endormi dans Sylvia de Neumeier était empreint d'une poésie indicible.  Voici quelques-uns des rôles dans lequel Martinez m'aura marquée.

Ensuite, nous l’avons aimé comme chorégraphe et parmi les œuvres chorégraphiées, il y a le délicieux Enfants du Paradis ; outre que ce ballet est plein de fraîcheur, de trouvailles, d’inspiration, de vie, d'humanité, c’est aussi le choix qui nous plait car c’est l’un des films que nous revoyons tous les deux ou trois ans, depuis des années.

Enfin, José a déjà l’expérience de la direction d’une compagnie, puisqu’il a dirigé le ballet de Madrid pendant une dizaine d’années. De plus, il est humble puisqu’il a affirmé que «  le poste aurait dû revenir à Manuel Legris »…

Tout s’annonce donc sous les meilleurs auspices, surtout si l’on se rappelle que lorsqu’il était à l’opéra de Paris, il avait à cœur de défendre le métier de danseur  et  n'hésitait pas à dénoncer l'incohérence des saisons proposées par Lefevre qui ne tenait pas compte de la fatigue des danseurs en leur imposant un travail surhumain en fin de saison, ou bien en les distribuant en alternance sur des ballets classiques et contemporains sachant que Bastille et Garnier ont des scènes à l’inclinaison et au sol différents. Les blessures s’enchainaient d’ailleurs à la vitesse de la lumière. Et souvent, à la fin d'une série de classique, il fallait aller puiser dans les réserves pour la terminer...

Nommé un «  ancien » à l’opéra, qui a déjà une bonne expérience et aime le classique tout en étant ouvert à la création puisqu’il chorégraphie lui-même redonne de l’espoir à la spectatrice que je suis qui trouve que ces dix dernières années sont à pleurer pour toutes sortes de raisons, et dont la principal est le gâchis de talents….

 

Et peut-être de la sorte vais-je retourner à l’opéra, moi qui ne vois plus qu’un ou deux ballets par an et réécrire sur ce blog commencé en 2006 ?

 

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4 novembre 2022 5 04 /11 /novembre /2022 08:55
Patricia Ruanne faisant répéter E. Maurin et M. Legris

Patricia Ruanne faisant répéter E. Maurin et M. Legris

Après avoir tristement appris la mort d'Ezio Frigerio en février 2022, le créateur génial des décors de Roméo et Juliette de Noureev, j'apprends le décès de Patricia Ruanne, la créatrice du rôle de Juliette dans la version de Noureev à Londres en 1973.

Noureev reste l'une des personnalités qui m'aura le plus marquée au cours de ma vie. J'ai eu la chance d'assister à la création de tous ses ballets à l'ONP dans les années 1980 et je n'ai jamais retrouvé un tel choc. 

Je parle longuement de Roméo et des décors dans un autre article sur ce blog, mais aujourd'hui, je voudrais simplement rendre hommage à une ballerine qui a ensuite consacré la deuxième partie de sa carrière à transmettre les rôles qu'elle avait dansés, et notamment celui de Juliette.

Les photos sont de simples captures d'écran du magnifique Rêve d'étoile consacré à Roméo et Juliette, lorsque celui passe de la  " petite " scène de l'opéra Garnier à la grande salle froide de l'opéra Bastille. 

Elle y explique la conception de la pièce par Noureev qui a apporté une attention extrême à tous les détails des personnages " secondaires" : Tybalt, Mercutio, Benvolio, la nourrice...  elle y explique comment il lui demandait de transposer sur pointes la technique contemporaine de Marta Graham avec qui il avait travaillé. " A pieds plats, j'aurais facilement pu le faire, mais sur pointe". Car pour Noureev, il s'agit de mettre en lumière  le caractère volontaire, affirmé, garçon manqué de Juliette qui doit " exister" dans un contexte politique violent et sans concession. Elle doit physiquement avoir une immense force, beaucoup de puissance, ce qui demande un investissement hors pair à la ballerine.

 

Sur la scène de la Bastille avec F. Jahn créateur de Tybalt.

 

Lorsqu'elle fait répéter les danseurs, Patricia Ruanne souligne l'importance de tous ces détails, de leur psychologie et de ce que voulait Noureev.

A chaque fois que Patricia Ruanne a été présente pour des répétitions, - elle n'a pas toujours été appelée à jouer ce rôle après 1996, malheureusement - je savais que la qualité de l'interprétation serait au rendez-vous et que la technique sera exclusivement au service des personnages.

C'est Rudolf lui-même qui lui avait demandé de le rejoindre à l'opéra de Paris pour y être maîtresse de ballet, fonction qu'elle assurera de  1986 à 1996, c'est  à dire après que Brigitte Lefèvre prenne la place de Patrick Dupont comme directrice de la danse... et pour moi, ce fut alors le début de la fin... Ensuite, elle revient rarement pour mon plus grand désespoir. Mais quand par la suite, elle est revenue superviser des répétitions ou transmettre des rôles, quel bonheur ça a été de voir le résultat sur scène! En danse, la transmission est la clé de la réussite d'une oeuvre;  sans direction, les danseurs ne peuvent eux-mêmes avoir accès à toutes les clés d'un rôle, d'un personnage.

Modestement, à travers cet article, je lui exprime en tant que spectatrice amoureuse inconditionnelle des ballets de Noureev, toute ma gratitude pour tout le travail qu'elle a accompli. 

 

A LIRE SUR CE BLOG

Les décors de Roméo et Juliette par Ezio Frigerio  : 

 

 

 

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31 octobre 2022 1 31 /10 /octobre /2022 08:57
Trois bonnes raisons pour ne pas voir Mayerling de Kenneth Mcmillan !

Un mot pour résumer ce ballet : c'est un gros navet. Et j'ai du mal à comprendre l'engouement général ! La narration est inexistante, on assiste à une succession de saynètes aussi vides les unes que les autres, sans aucune tension dramatique ni montée en puissance. La psychologie des personnages est grotesque et caricaturale. Du Freud mal digéré.

 

Raison 1 : Les personnages ? Il y en a tant sur le plateau, que si on n’a pas lu le synopsis trois fois avant de voir le ballet, on ne comprend rien. Parmi eux,  Rodolphe, pas aimé par son méchant papa castrateur, l’empereur François-Joseph, ni par sa libidineuse maman, Sissi, qui se tape une tripotée d’amants. Alors, le pauvre Rodolphe est obsédé par le sexe et la morphine. Et il est très violent ! Bad boy ! Il joue tout le temps avec une tête de mort façon Hamlet et un pistolet! 

Face à lui, une tripotée de femmes : des ex-amantes,  baronne, comtesse, des prostituées, et Mary Vetsera.

Raison 2 : Les pas de deux s’enchaînent avec les jambes tendues dans tous les sens, des dos cambrés dans tous les sens, et ça pirouette à droite et ça pirouette à gauche... et vas-y que je te mets la tête en bas, que je te grimpe dessus, et puis c'est à ton tour... ça n’évolue jamais…

Raison 3 : Et puis encore des prostituées ? Il nous en a déjà servi dans Roméo, resservi dans Manon... mais là, audace suprême,  on voit un officier qui se fait faire une pipe derrière une table et les filles écartent leurs gambettes et montrent leurs fesses. Haha, quelle audace ! On aura encore droit à des viols comme dans Manon : dites-moi, il avait pas un problème sexuel, le Mc Millan ?  

Bref, vous l'aurez compris : tout cela ne m’intéresse pas vraiment parce que la chorégraphie se répète encore, et encore, et encore quand elle n’est pas d’une naïveté à pouffer de rire comme la ridicule scène de la chasse, le grotesque tirage de carte, les officiers qui jouent à « coucou c’est moi » avec les rideaux. On s’ennuie ferme ! Racontée autrement, chorégraphiée autrement, peut-être aurais-je pu entrer dans ce ballet mais là, vraiment non...

Et pourtant, la troupe est toujours aussi excellente : à commencer par Mathieu Ganio, écorché vif, neurasthénique, malade, à bout de son mal de vivre. Toutes ses variations sont intenses, on sent quasiment battre son cœur malade-  où l'on sent d'une façon palpable la vie lui peser de tout son poids. Ensuite, il y a l'excellente Laura Hecquet, façon Me de Merteuil dans les Liaisons. Elle manigance, elle intrigue. Mais quel dommage que cette magnifique danseuse n'ait rien à danser! Battistoni, charismatique, et Bourdon impériale avec des bras d'un délié à tomber en pâmoison parviennent à insuffler un peu de vie dans leurs personnages creux.
Mais là encore le manque cruel d'imagination de la chorégraphie me laisse sans voix. Ça tient de l’héroïsme pour ces danseuses d'arriver à être convaincantes avec un texte vide.

Petit bémol pour l'interprétation et non la danse de Pagliero qui passe d'une jeune fille sautillante de 17 ans à une fille suicidaire folle furieuse sans aucune progression. Guérineau sourit pendant tout le pas de deux de sa  nuit de noces alors qu'elle vient d'être terrorisée par un mari brutal et sans tendresse.

J'avais vu quelques extraits par le Royal ballet qui ne m'avaient pas convaincue non plus, même si j'avais été époustouflée par la fluidité des portés, et c'était encore le cas hier.
Une fois encore, l'engagement des danseurs, leur beauté et celle de la danse n'est pas à remettre en cause.
Mais tout ce déploiement de costumes pour ça ? Alors oui, on met du sexe et de la violence factice pour sauver le tout, mais là, on est au niveau des mauvais films américains.

 

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